Les CAF, branche famille de la Sécurité sociale, constituent un service public central en matière de cohésion sociale. Sous la double tutelle du ministère du Budget et du ministère des Solidarités, elles distribuent chaque année 100 milliards d’euros de prestations. La Convention d’objectifs et de gestion (COG) adoptée le 4 juillet était très attendue pour voir comment les CAF pouvaient sortir de la tourmente où les a plongées une série de réformes, à commencer par celle des APL, une dématérialisation largement confiée à des prestataires privés et une réduction drastique de leurs moyens qui les a désorganisées, entrainant de multiples problèmes pour les allocataires.

 

La Convention d’objectifs et de gestion passée entre la CNAF et l’État a été adoptée le 4 juillet par le Conseil d’administration de la CNAF à une large majorité. Les administrateurs ont notamment été sensibles à la concertation préalable, à l’accroissement des moyens de l’action sociale, aux mesures en faveur de l’enfance et la jeunesse et à la création de 650 emplois en CDI. Le gouvernement a lâché provisoirement du lest, sous la pression conjuguée des alertes des CAF et de leurs agents et des critiques multiformes émanant notamment des associations de défense des droits ou de lutte contre la pauvreté dans un contexte constaté par tout le monde d’une forte détérioration des services rendus aux usagers. Mais il n’a pas abandonné son objectif à terme de dématérialisation totale, synonyme de déshumanisation totale.

 

On peut saluer les 650 postes obtenus, alors que dans le même temps la COG conclu par la CNAM va se traduire par la suppression totalement irresponsable de 1700 postes. La COG adoptée par la CNAF reconnaît une détérioration de la qualité des services en matière de liquidation des prestations avec une ’forte hausse des indus et des rappels (p 106), un accroissement des délais de traitement des dossiers et une dégradation de la relation avec les allocataires. Il précise que les variations de droits, les successions d’indus et rappels, les suspensions préventives de versement des prestations sont génératrices d’incertitudes pour les allocataires, créent de l’insécurité et engendrent un renoncement aux droits. Il y a donc un net infléchissement du discours, longtemps marqué par une certaine dénégation de l’ampleur des problèmes, même si ces difficultés sont seulement attribuées au contexte difficile depuis 2020 (crise, réforme des APL…), sans que ne soit évoqué la dématérialisation à marche forcée, les suppressions d’emplois, l’organisation du travail au sein des CAF et lles méthodes de management.

 

En revanche, en matière de relations avec les allocataires, la convention tient deux discours contradictoires. D’un côté, elle parle de relations de confiance et d’accès aux droits, mais en restant dans le registre des promesses. De l’autre, elle organise un renforcement des contrôles. L’amélioration du recouvrement des indus apparaît comme l’objectif majeur  (page 107). La confusion entre l’erreur et la fraude n’est pas levée, car la convention fixe des objectifs quantitatifs de constatation de « préjudices frauduleux et ou fautifs », en forte hausse par rapport à la précédente convention (p 114). Les objectifs étaient de 280 millions d’euros en 2022. Ils doivent atteindre 375 millions en 2023 et 480 millions en 2027, ce qui favorise les contrôles abusifs et à charge. En revanche, aucun indicateur chiffré n’est fixé en matière d’amélioration de l’accès aux droits et de lutte contre le non-recours, alors que ce dernier  représente 12 millliards d’euros, un montant colossal de prestations perdues pour les ménages.

 

La COG prévoit un renforcement des moyens des services informatiques. C’est positif si cela permet de renforcer la maîtrise d’ouvrage des programmes par la CNAF et de développer une amélioration continue des procédures et des services, en y associant les allocataires. L’accroissement des moyens consacrés à l’informatique est de 38 %, alors que l’accroissement du nombre d’emplois en CDI sera de 2 %. La nécessaire amélioration de la qualité de service et une plus grande humanisation des CAF devraient se traduire par une attention au moins aussi marquée que celle portée à la dématérialisation, et bénéficier aussi de davantage de crédits et de postes.

 

Il faudrait recruter plusieurs milliers d’agents pour rendre effective la promesse d’un traitement rapide des dossiers sans interruption des droits, afin de développer l’accueil, mieux accompagner les allocataires dans leurs pratiques déclaratives, restaurer un traitement physique des dossiers suspendus automatiquement par les algorithmes. Il faudrait également rompre avec les pratiques actuelles de suspensions préventives de toutes les prestations à la moindre variation de situation (ressources, configuration familiale, etc.) ou la moindre suspicion d’irrégularité sous prétexte de prévention des indus, objectif posé en priorité absolue. Visiblement, la tutelle n’est pas prête à accorder les moyens nécessaires, ni à revenir sur ces pratiques.

 

Pour résoudre les difficultés, la convention s’en remet aux effets attendus de la solidarité à la source, tout en reconnaissant que même après sa mise en place de nombreux risques d’erreurs resteront à couvrir et devront être traités par les gestionnaires (p 105), et que les améliorations attendues n’interviendront qu’à la fin de la période quinquennale. De ce fait, on risque de voir se perpétuer certains errements actuels pendant toute la durée de la convention, notamment ceux dénoncés par « Changer de Cap » (voir le dossier en lien ci-dessous). L’amélioration de la qualité des paiements apparaît comme une promesse assez lointaine et les nombreuses pratiques illégales ou discriminatoires constatées à travers les témoignages risquent encore de perdurer longtemps.

 

Ainsi, malgré un infléchissement sensible et bienvenu des discours et des objectifs affichés, on peut craindre de voir se poursuivre la chasse aux indus, quoi qu’il puisse en coûter humainement, les pratiques engendrant du non recours et une maltraitance des plus vulnérables, au mépris de conséquences sociales et humaines souvent dramatiques.

 

Cette forme de maltraitance institutionnelle n’est pas propre aux CAF et se développe dans de nombreux services publics. Elle suscite un rejet et une exaspération croissante de la population. Elles se sont exprimées contre la réforme des retraites. Aujourd’hui la révolte des jeunes nous montre une perte de confiance dans la justice et la police. Le fossé se creuse entre la population et les institutions, source de toutes les dérives.

 

Si l’on veut rompre avec cette évolution mortifère, il est essentiel que la branche famille de la Sécurité sociale ait les moyens et la volonté, à travers des mesures précises et immédiates, pour pleinement tenir les intentions affichées dans la COG et rétablir une relation de confiance avec les allocataires. Faute de quoi le divorce ne pourrait que s’accentuer entre les citoyens et l’action publique.

 

Télécharger le dossier « Agir ensemble face à la déshumanisation des CAF »