Décès de l’analyste Daniel Ellsberg le 16 juin 2023
Son héroïque action de copier en partie les Pentagon papers, à l’intention du NY Times et du Washington Post, pour informer la population américaine des décisions militaristes criminelles de ses présidents successifs, précède de presque un demi-siècle celles de Julian Assange et Edward Snowden, courageux journalistes encore ostracisés de nos jours, le premier emprisonné en Grande-Bretagne, le second confiné en Russie, ce qui doit être particulièrement malcommode depuis le 22 février 2022.
Grâce à Ellsberg, on peut raisonnablement conclure que la guerre du Vietnam a été raccourcie, sans voir l’effet domino horrifiant se produire, tel qu’évoqué par les militaristes endurcis. On lira l’excellent article écrit par Robert D. McFadden dans le New York Times[i] le jour de sa mort, prévisible, vu un cancer inopérable du pancréas.
À noter principalement, dans ses actions depuis 1971, celles de son activisme anti-nucléaire reflété dans ses mémoires The Doomsday Machine: Confessions of a Nuclear Planner (2017), particulièrement bien documentées vu ses fonctions officielles des années 50 et 60 dans la RAND Corporation et au Pentagone.
La Suède a accordé à M. Ellsberg le Prix Olaf Palme 2018 pour son « profond humanisme et exceptionnel courage moral ». Graham Allison, dans le Times, « félicita les efforts d’Ellsberg pour dénoncer la folie de faire parier notre survie sur la MAD (Mutual Assured Destruction) », ce que de nos jours le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires veut éliminer grâce à 91 pays de l’ONU, selon ICANW.org.
Pendant ce temps, le gouvernement libéral croit participer à la paix dans le monde en dépêchant une frégate dans le détroit de Taiwan, alors que sa mission de paix en Haïti annoncée par la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly jeudi le 15 juin, révèle un caractère totalement improvisé, sans doute destiné encore une fois à apaiser les responsables américains désireux de voir le Canada s’impliquer militairement : on peut bien la féliciter d’avoir plutôt avancé une volonté policière d’apaiser le chaos des gangs armés haïtiens, mais annoncer une construction en République Dominicaine en remerciant le ministre des Affaires étrangères local Roberto Alvarez sans l’avoir consulté est un autre exploit diplomatique exceptionnel canadien qui rebondit avec la rebuffade du dit ministre.
Notre façon active aujourd’hui de rendre encore hommage à M. Ellsberg après notre article d’il y a cinq ans[ii], sera de vous présenter une pétition bien documentée qui vous convaincra de la duplicité des outils de guerre américains encore à l’œuvre partout dans le monde, dont l’OTAN n’est pas le moindre. Même si l’OTAN n’est techniquement PAS en Ukraine, ce sont ses actions qui sont principalement responsables de l’opération russe, condamnable elle aussi selon les Artistes pour la Paix.
Femmes du monde pour la paix, unies contre l’OTAN
Déclaration commune
Nous sommes des femmes du monde entier qui aimons profondément notre planète. Nous chérissons les principes universels d’égalité, de justice et de paix affirmés par la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme ; nous luttons pour l’affirmation des droits des femmes et des peuples, contre toutes les formes de violence, d’exploitation et de discrimination. Depuis des décennies, nous sommes engagées dans la recherche d’une paix globale, d’un nouvel ordre mondial qui abolirait la guerre. Nous reconnaissons le rôle du capitalisme dans la création du militarisme et de la guerre, et nous voulons une nouvelle sécurité, non militarisée, qui garantirait la vie et la santé des générations présentes et futures de tous les habitants de cette planète – et de la planète elle-même.
Notre aspiration pour la paix est aujourd’hui menacée par l’escalade de la course aux armements et le risque de guerre nucléaire, le renforcement des alliances militaires et la militarisation des relations internationales. Tout cela risque de conduire l’humanité à la catastrophe. Les décisions prises par l’OTAN depuis 1991 sont en grande partie responsables du développement de cette confrontation mondiale. La dernière étape de ce processus politique est le « nouveau concept stratégique » adopté lors du dernier sommet des chefs d’État de l’OTAN à Madrid en 2022.
Le Nouveau concept stratégique continue d’établir des rôles et des tâches qui vont bien au-delà des objectifs « défensifs » initiaux de l’OTAN et qui remplacent des fonctions et des tâches relevant de la seule responsabilité des Nations unies. L’OTAN, de plus en plus globale et agissant dans l’intérêt des nations riches de l’Occident, a étendu ses activités jusqu’au Pacifique. Elle cherche à imposer un « modèle de civilisation » bien au-delà de la zone euro-atlantique du traité initial. Le nouveau concept stratégique est en totale contradiction avec « l’esprit d’Helsinki » qui prône la coopération pacifique entre les États et le rejet de la menace ou de l’usage de la force.
Cette reconfiguration offensive de l’OTAN est en contradiction flagrante avec les principes constitutionnels de nombreux États membres. Souvent approuvée sans le consentement des parlements nationaux, elle est également en contradiction avec le désir manifeste de paix d’un grand nombre de peuples des États membres de l’OTAN. Alors que beaucoup sont confrontés à une grave crise du coût de la vie, les gouvernements sont tenus par l’OTAN d’augmenter les dépenses militaires au-delà de 2 % du PIB, afin de répondre au réarmement frénétique en cours. Cette situation s’accompagne souvent d’une montée de l’autoritarisme et de la réapparition d’idéologies néofascistes, nationalistes, xénophobes et sexistes, encouragées par une culture de plus en plus militarisée.
Le prochain sommet des chefs d’État de l’OTAN se tiendra à Vilnius, en Lituanie, les 11 et 12 juillet. Le Nouveau concept stratégique sera élaboré plus en détail, ce qui augmentera le danger mondial, et il y aura des demandes pour de nouvelles augmentations des dépenses militaires. Un fonds d’investissement spécial d’un milliard d’euros sera mis en place, financé par des fonds publics pour les start-ups et le renouveau technologique ; il encouragera ouvertement le mélange de l’éducation scientifique et de la formation des jeunes avec la recherche militaire. Le sommet de Vilnius proposera également une nouvelle « approche de genre », encourageant la promotion de femmes à des postes de haut niveau au sein de l’OTAN.
En tant que femmes de paix, nous rejetons l’OTAN et sa vision du monde. Elle alimente l’instabilité et exacerbe les conflits internationaux. Elle est inconciliable avec notre principe de prendre soin du monde – un principe que nous nous efforçons d’affirmer au niveau mondial.
Le temps du colonialisme et de l’impérialisme est révolu. Le temps de la prétention de l’Occident à la domination unipolaire et à la « suprématie morale » est révolu. Aujourd’hui, nous accueillons un nouvel ordre mondial multipolaire fondé sur des décisions partagées, sur la justice sociale et environnementale, sur le partage des ressources et des technologies, sur la transition vers des arsenaux militaires nuls. C’est ce que nous, les femmes, avons dit lors du sommet de la paix de Madrid l’année dernière. Nous le réaffirmerons à l’occasion du sommet de l’OTAN à Vilnius en 2023.
Que voulons-nous ?
Nous nous réunirons à Bruxelles, siège de l’OTAN, pour dire :
- NON à l’OTAN mondiale, non aux blocs de plus en plus militarisés, non à la guerre comme mode de règlement des différends internationaux.
- Non à la militarisation de la recherche scientifique. Les jeunes générations ont droit à une éducation laïque et démocratique, inspirée par les valeurs de la coexistence pacifique entre les peuples et les États.
- Non à l’implication des femmes dans les plans de guerre patriarcaux. Non à toute « approche de genre » au sein de l’OTAN. Confier aux femmes des rôles de premier plan au sein d’une organisation militaire belliciste ne contribuera en rien à promouvoir les principes d’égalité, de justice et de paix qui sous-tendent les luttes des femmes pour la liberté.
En revanche, nous disons oui au respect des intentions authentiques de la résolution 1325 de l’ONU sur la participation des femmes aux négociations et aux processus de paix. Nous prévoyons d’aborder tous ces points à Bruxelles.
Nous organiserons une discussion ouverte les 7 et 8 juillet 2023, et nous invitons les femmes du monde entier à se joindre à nous – qu’elles soient ou non des pays membres de l’OTAN.
Nous souhaitons la bienvenue à tous ceux et celles qui partagent ces objectifs avec nous – pour parler en faveur de la paix, de la vie et de la libération des femmes.
Afin de signer cette déclaration, Ulla Klotzer <ullaklotzer@yahoo.com> de Finlande m’écrit pour accepter, en un premier temps, les signatures féminines, question de stratégie, pour ouvrir la déclaration à celles de signatures masculines à partir du 21 juin.
[i] https://www.nytimes.com/2023/06/16/us/daniel-ellsberg-dead.html?smid=nytcore-iosshare&referringSource=articleShare
[ii] http://lautjournal.info/20180117/le-post-daniel-ellsberg
Par Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix