Compter sur l’agriculture urbaine pour assurer la sécurité alimentaire dans une ville est une gageure, soutient le professeur Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie en Nouvelle-Écosse. 

Même s’il est utile de la développer, ce serait difficile de voir les jardins urbains ou les serres sur les immeubles remplacer, à moyen terme, la production en plein champ.

Or, une démarche volontariste, comme celle qu’on observe à Ahuntsic-Cartierville, pour assurer une part de l’alimentation des gens localement, ne serait donc pas un gage de succès, selon le chercheur. «Je pense que toute initiative alimentaire a ses mérites, mais la viabilité des projets dépend beaucoup du leadership local et de la viabilité financière des exploitations», soutient le professeur.

Même les arguments de la proximité et de l’origine du produit ne sont pas suffisants pour assurer le succès de cette approche. «Pour ce qui est du jardinage, c’est sûr que la provenance est importante, dit-il. Le prix demeure tout de même un enjeu déterminant. La viabilité du projet est un aspect assez critique pour le succès à long terme.»

Mobilité

Pour le Pr Charlebois, c’est finalement la manière d’habiter les villes qui handicape l’agriculture urbaine. «Les gens déménagent, bougent beaucoup. Pour l’instant, c’est sûr qu’on observe l’engouement pour l’autonomie alimentaire dans des secteurs résidentiels, en raison du prix des aliments notamment, mais les prix vont diminuer éventuellement», analyse-t-il.

Quand on parle de production à grande échelle, capable de fournir une alimentation à des prix concurrentiels en ville, il faudrait peut-être regarder du côté des banlieues, et encore. 

«On pourrait miser sur des projets de fermes verticales, mais, rendus là, nous ne sommes plus dans l’agriculture urbaine», croit-il.

Une projection dans le temps, une vision à long terme sont indispensables pour voir mûrir des exploitations agricoles en ville.

«Il faut qu’il y ait des gens, un groupe de personnes qui s’intéressent vraiment, qui s’engagent à faire quelque chose comme cela. C’est sûr que ça peut fonctionner très bien, mais il faut de la stabilité. Il faut que les gens soient là pour longtemps», explique-t-il.

Le modèle à chercher est donc foncièrement économique et obéit à une logique de marché. «Ce n’est pas tout le monde qui est prêt à dédier le montant et le temps nécessaires pour que ça arrive», observe-t-il. 

Les militants sont certainement utiles pour attirer l’attention des gens sur les limites du modèle de production alimentaire actuel, mais la conversion des milieux urbains en exploitations agricoles demande plus que de l’activisme. «Ça peut marcher si on a un plan d’affaires et des gens qui ont une vision d’entrepreneur», conclut Sylvain Charlebois. 

Omble chevalier d’Ahuntsic à Montréal

Un projet illustre peut-être cette approche. L’Omble chevalier, élevé par Opercule, une entreprise installée dans la Centrale agricole, arrive petit à petit dans les assiettes. D’abord livré à des restaurants, on le trouvait proposé à 49 $ l’assiette chez Foxy et 19 $ au Lawrence. Le prix, ici, dépend du menu du restaurateur et n’est pas révélateur de ce qui pourrait être offert au grand public.

Au marché IGA famille Duchemin, à Saint-Laurent, le kilo d’Omble chevalier d’Ahuntsic, poisson entier, était proposé à 32,25 $, et les filets à 50,68 $. Ces prix rejoignent ceux du même poisson vendu par la poissonnerie La mer, sur le boulevard René-Lévesque, non loin de Radio-Canada. L’Omble chevalier d’élevage proposé est produit, dans ce cas, par Raymar Aquaculture, située à New Richmond, au Québec, à 800 km de Montréal.

Amine Esseghir

Journaliste de l’Initiative de journalisme local (IJL)

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