La loi de programmation militaire est actuellement en discussion au Parlement. Pour l’instant, dans l’indifférence quasi générale. Pourtant, ce sont pas moins de 413 milliards d’euros qui vont être votés pour « moderniser » l’armée française. En réalité, ces investissements colossaux n’ont d’autre objectif que de préparer le pays à entrer en guerre.
La précédente LPM 2019-2025 prévoyait de consacrer 295 milliards d’euros à la défense. La nouvelle Loi de Programmation Militaire prévoit un budget de 413 milliards d’euros pour la période 2024-2030. Ainsi, pour atteindre ces objectifs, le budget de la défense a été augmenté de 1,7 milliards par an entre 2019 et 2022. À partir de 2023, la hausse annuelle sera de 3 milliards d’euros jusqu’en 2027, puis de 4,3 milliards d’euros jusqu’en 2030. Le budget de la défense nationale qui était de 32 milliards en 2017 sera de 69 milliards en 2030 ! Il est de 44 milliards en 2023. Ainsi que l’a souligné lui-même, le ministère des Armées, c’est une « hausse sans précédent »…
À l’heure où notre pays est en crise sociale et démocratique du fait de la réforme des retraites, qui cherche à économiser 13 milliards par an en imposant aux Français deux ans de travail supplémentaire, ces augmentations significatives des dépenses d’armement posent sérieusement question et sont en décalage avec les besoins réels et prioritaires de notre pays sur le plan social et écologique : l’école, l’hôpital, les services publics, le pouvoir d’achat, la transition énergétique, notamment. En réalité, ces dépenses considérables ne visent qu’à permettre à la France de garder son statut de « puissance », comme si notre pays n’avait pas d’autres atouts à faire valoir dans le monde pour être entendu et reconnu.
Le gouvernement justifie ces augmentations du fait du nouveau contexte géo-stratégique qui a vu le jour avec la guerre en Ukraine en février 2022. Pourtant, nous pouvons remarquer que la décision d’augmenter significativement le budget de la défense a été prise dès 2017. La guerre en Ukraine offre une nouvelle source de justifications, mais celle-ci n’est pas convaincante. La conséquence de ce réarmement de l’Europe à laquelle la France participe est d’accroître les zones de tension politiques et militaires avec un risque accru de guerre nucléaire.
En réalité, notre politique de défense, basée essentiellement sur la dissuasion nucléaire, ne permet de faire face à aucune des menaces réelles actuelles qui pèsent sur notre pays : le réchauffement climatique, la chute de la biodiversité, la pollution, la montée des idéologies extrémistes et xénophobes, le terrorisme, tout particulièrement. Les principales frontières à défendre ne sont plus les frontières de la géographie, mais les frontières de la démocratie et du climat.
La faiblesse de notre défense nationale est qu’elle repose essentiellement sur la « dissuasion » nucléaire. Nous rappelons que depuis la création du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) et les premières recherches sur la bombe atomique, la « dissuasion » nucléaire a coûté plus de 430 milliards d’euros à la France. La nouvelle LPM prévoit d’augmenter encore les crédits alloués à la « dissuasion » (6,5 milliards par an). Mais, contrairement à ce qui est souvent dit, la « dissuasion » nucléaire n’est pas l’assurance-vie de notre pays, mais l’assurance-mort. En effet, l’arme nucléaire n’est pas un moyen légitime de défense, mais un moyen criminel de terreur, de destruction, de dévastation et d’anéantissement. L’usage de cette arme est littéralement impensable car il implique la mort de milliers et de millions de civils innocents.
En réalité, la « dissuasion » nucléaire ne protège pas la France. Comment cette arme qui ne doit pas être employée (« arme de non-emploi ») pourrait-elle être dissuasive contre un éventuel agresseur qui voudrait s’attaquer aux intérêts vitaux de la France ? C’est pourquoi vouloir continuer à la moderniser est un investissement coûteux, mais surtout inutile. À cet égard, le nouveau porte-avion nucléaire envisagé par la nouvelle LPM, pour un coût de 10 milliards d’euros, est lui aussi parfaitement superflu. Il ne sera au mieux qu’un outil de gesticulation pour afficher notre « puissance », au pire une cible idéale pour nos ennemis potentiels.
Plus que jamais, il est temps que la France agisse pour la paix dans le monde et signe le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) qui officialise l’illégitimité de la possession d’armes nucléaires. En ne le signant pas, la France s’accroche à une doctrine dépassée, immorale, irréaliste, coûteuse et dangereuse, et contribue à la prolifération nucléaire. La France avait pourtant signé le Traité de Non Prolifération (TNP) et s’était donc engagée à appliquer son article 6 qui précise « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. »
De plus, il est particulièrement grave et inquiétant que la Loi de Programmation Militaire 2023-2030 annonce le passage de notre pays à une « économie de guerre » dans le but d’augmenter et d’accélérer la production d’armement. La volonté de « moderniser et d’adapter le régime des réquisitions en temps de paix et en temps de guerre » est également lourd de sens. La priorité donnée aux armées dans la livraison des biens et des services se fera au détriment des besoins réels et sociaux de la population. Cela confirme que les projets de la défense nationale sont d’abord au service de l’industrie de l’armement et, de ce fait, renforcent le complexe militaro-industriel, ce « pouvoir sans visage » qui dicte aux politiques les choix militaires de notre pays, bafouant ainsi notre démocratie. Cette « économie de guerre », si elle voit le jour, ne peut que détourner les ressources de la nation au détriment des secteurs civils qui doivent rester prioritaires.
La France, au contraire, doit s’engager dans la voie d’une économie de paix. Il s’agit de réorienter les investissements et les dépenses dévolus au militaire et aux armes vers des objectifs civils et environnementaux, tout particulièrement. La reconversion des industries d’armement doit devenir un sujet prioritaire. Les activités de recherche et développement doivent être consacrées aux priorités sociales et écologiques, et non militaires. La protection des ressources naturelles, le développement des énergies renouvelables, la défense du vivant et de la biodiversité, sont aujourd’hui des priorités pour faire face au gigantesque défi du réchauffement climatique, qui est une menace concrète et immédiate face à laquelle notre quincaillerie militaire s’avère totalement inutile. Il s’agit donc de passer d’une économie militarisée à une économie démilitarisée où la place et le poids du militaire seront progressivement réduits. Ceci dans l’intérêt de notre pays, et plus largement de la planète.
De fait, la France, par ses choix militaristes, depuis des décennies, contribue à la course aux armements, facteur de déséquilibre et de menaces pour la paix et la sécurité mondiale. Elle participe désormais activement à la militarisation de l’Europe par des choix qui, par ailleurs, contribuent à son insécurité. Les choix des armements opérés dans cette LPM s’inscrivent directement dans une logique de guerre de haute intensité, y compris de guerre nucléaire. Macron prépare les esprits à l’entrée en guerre de la France.
On ne peut que déplorer que les citoyens français demeurent à l’écart de ces débats stratégiques. Tout est fait d’ailleurs pour que cette loi militariste soit approuvée dans l’indifférence générale. Où sont les voix en faveur de la paix ? Et qui ne voit que ces dépenses colossales se font au détriment des indispensables investissements sociétaux et écologiques ? En France, pays largement militarisé[1], la question militaire reste encore taboue. Les marchands de canons et tous les va-t’en guerre ont encore de « beaux » jours devant eux.
[1] Voir notre livre, Démilitariser la France, plaidoyer pour un pays acteur de paix, Chronique Sociale, 2022.