Les technologies dites vertes occupent une place grandissante dans l’actualité. Elles concernent une multitude de procédés qui visent à réduire les effets néfastes de l’activité économique sur l’environnement, dont les émissions de CO2 dans l’air. Pour la plupart de ses promoteurs, ces technologies permettraient de maintenir le rythme actuel de la consommation et de la production, et donc la croissance économique que l’on qualifie alors de verte. Cette promesse est-elle réaliste ? Disposons-nous du temps et des ressources nécessaires pour mettre en œuvre ces innovations ? Qu’en est-il au juste ?
Les nouvelles technologies vertes concernent autant l’électrification des transports que les infrastructures destinées à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables, ainsi que les procédés industriels décarbonés. Si certaines technologies sont déjà appliquées (solaire et éolien), d’autres n’en sont qu’au stade du développement.
Tour d’horizon
Les énergies solaire et éolienne ont l’avantage d’être parfaitement renouvelables et de disposer d’une matière première gratuite et inépuisable, mais elles ont deux limites. D’une part, leur efficacité énergétique (l’énergie produite par rapport à la lumière et au vent reçus) est faible, soit 25 % pour le solaire et 40 % pour l’éolien, en raison de l’intermittence du soleil et du vent. D’autre part, leur capacité de déploiement est limitée puisqu’elle nécessite des quantités de territoires gigantesques, de sorte que leur installation se fait souvent au détriment des forêts et des terres agricoles.
Certains fondent des espoirs dans la production d’hydrogène vert comme vecteur d’énergie propre. À la différence de l’hydrogène gris, qui émet beaucoup de CO2 parce qu’il est fabriqué à partir du gaz naturel, l’hydrogène vert n’en émet pas, car on utilise l’électricité pour l’extraire de l’eau. Certains scientifiques, comme le professeur Claude Villeneuve, doutent de sa viabilité en raison de sa faible efficacité énergétique, étant donné qu’il requiert plus d’énergie à sa production qu’il n’en génère, d’où ses coûts de production très élevés.
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et continuer à prospérer, les géants pétroliers mondiaux, dont l’industrie des sables bitumineux de l’Alberta, misent sur une technologie de captage et d’enfouissement sous terre des CO2. Cette technologie soulève encore une fois un certain scepticisme en raison des coûts extrêmement élevés pour capter du CO2 dans l’air, qu’on évalue entre 200 et 300 dollars américains pour une seule tonne de CO2. La facture pourrait donc atteindre plusieurs centaines de millions de dollars par an pour capter les 16 milliards de tonnes de CO2 émis chaque année par l’industrie pétrolière dans le monde.
Parmi les technologies qui font le plus sourciller, c’est la géo-ingénierie solaire qui remporte la palme d’or. Cette technologie consisterait à injecter du soufre dans la stratosphère (jusqu’à 15 km d’altitude) pour créer un effet miroir des rayons solaires et ainsi réduire le réchauffement de la planète. Le hic avec cette hypothétique technologie est qu’elle diminuerait la productivité des panneaux solaires et les rendements agricoles.
L’électrification des transports
L’électrification des transports constitue un des éléments-clés de la décarbonisation de l’économie, cependant qu’elle soulève une question fondamentale : doit-elle servir à remplacer les 1,5 milliard de voitures à essence dans le monde ou viser la transition de la voiture solo aux transports collectifs efficaces ? Cette question prend tout son sens dans la mesure où les batteries des autos électriques requièrent des quantités substantielles de métaux « verts » (lithium, graphite, cobalt, titane, etc.), lesquels sont des ressources non-renouvelables. C’est le cas du lithium qui sera de plus en plus rare compte tenu de la demande qui devrait se multiplier par 40 d’ici 2030, entraînant une forte hausse du prix des véhicules électriques. Pour illustrer ce phénomène de rareté, si le Québec voulait remplacer 30 % de son parc automobile par des voitures électriques d’ici 2030, il lui faudrait 10 000 tonnes de lithium, ce qui équivaudrait à plus de 10 % de la production mondiale de lithium par an. Imaginez la situation au niveau mondial !
L’urgence climatique
Comme nous venons de le voir, la plupart des technologies proposées pourraient prendre beaucoup de temps pour prouver leur faisabilité. Or, notre monde dispose d’une période très courte pour limiter le réchauffement entre 1,5 °C et 2 °C, comme le prévoient les accords sur le climat. L’urgence climatique est d’autant plus évidente que le réchauffement a déjà atteint 1,2 °C.
Si la limite de réchauffement entre 1,5 °C et 2 °C est indispensable, c’est parce qu’au-delà de cette fourchette, le climat serait incontrôlable. Il s’ensuivrait une cascade d’événements telle que l’accélération de la fonte des calottes glaciaires et du Groënland (déjà commencée), qui réduirait l’effet miroir des rayons solaires, ce qui précipiterait la fonte du pergélisol, libérant dans l’atmosphère les centaines de milliards de tonnes de méthane qu’il contient, entraînant la destruction d’écosystèmes marins et terrestres et causant des risques pour la santé et le bien-être des populations humaines.
C’est pourquoi nous devons décarboner beaucoup plus rapidement notre économie, non seulement en remplaçant les énergies fossiles par des formes d’énergie renouvelables, mais aussi en diminuant notre consommation d’énergie. Pour ce faire, les gestes individuels sont importants mais insuffisants. C’est pourquoi nous devons restreindre radicalement la production et la consommation de nouveaux biens matériels afin de mettre fin au système actuel basé sur l’extractivisme et le productivisme illimités, et donc sur la maximisation des profits à court terme, sans quoi les solutions technologiques à la crise climatique ne feront qu’aggraver la crise de la biodiversité.
Alain Dumas