Quelles sont les vraies raisons expliquant ce conflit ? Est-ce la possibilité que l’Ukraine puisse faire partie de l’OTAN et, plus largement, le fait que l’OTAN se soit élargie pour inclure 14 nouveaux pays depuis la fin de la guerre froide (de 16 à 30 pays en 20 ans) ? Est-ce l’inclusion de l’Ukraine dans l’Union européenne (UE) ? Ces enjeux font sans doute partie de l’explication, mais un recul est nécessaire pour avoir une meilleure vue d’ensemble. On se rapproche davantage d’une explication adéquate si on ne fait pas l’impasse sur la volonté de puissance économique étatsunienne.
Il ne suffit pas cependant d’évoquer les ambitions hégémoniques des États-Unis. Il faut aussi souligner le fait qu’une véritable angoisse s’est emparée des dirigeants américains. Cette dernière s’explique par la crainte de se retrouver dans une situation financière périlleuse et, pour tout dire, foncièrement intenable. Il est progressivement apparu aux dirigeants américains que pour empêcher l’effondrement économique du pays, il ne suffisait pas d’apporter des correctifs internes. Il fallait s’en prendre violemment à la concurrence russe et chinoise.
La neutralité de l’Ukraine est un enjeu existentiel pour la Russie et non pour les États-Unis. L’angoisse américaine aurait pu et dû être canalisée autrement que par une guerre par procuration en Ukraine, mais c’était sans compter sur la russophobie qui afflige les administrations américaines successives depuis plus d’un siècle.
Qui vit par la piastre périra par la piastre
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dollar américain a remplacé l’or comme référence monétaire, mais c’était un couteau à deux tranchants. Cela permettait aux États-Unis d’emprunter à un faible taux d’intérêt. Ils ont ainsi été incités à importer plus qu’ils ne produisent, ce qui les a progressivement endettés. La dette fédérale américaine atteint 30 000 milliards de dollars aujourd’hui[1]. Le déficit de sa balance commerciale se creuse encore pour atteindre maintenant la somme astronomique de 1 000 milliards de dollars par année[2]. Puisque le PIB des États-Unis est d’environ 25 000 milliards de dollars, la dette publique représente déjà 120% du PIB.
Entre-temps, la Russie s’est redressée économiquement et la Chine a poursuivi sur sa lancée et elle pourrait, d’ici dix ans, dépasser les États-Unis comme première puissance économique mondiale. Pire encore, les échanges commerciaux entre les pays du BRICS se font de plus en plus dans d’autres devises. La Chine souhaite également payer en yuans le pétrole saoudien. Nous nous dirigeons donc vers la fin du pétrodollar. Si l’offre du dollar devient progressivement supérieure à la demande et que la valeur du dollar US diminue, cela est une source d’inflation qui ne s’explique pas par l’augmentation des salaires et des coûts de production, ni par la rareté des biens, mais d’abord et avant tout par la baisse progressive de la valeur du dollar, qui constitue une tendance lourde. Les importations coûteraient de plus en plus cher parce que le taux de change ne favoriserait pas le dollar américain. Pour empêcher que cela se produise, la Réserve fédérale doit maintenir des taux d’intérêt élevés pour convaincre les investisseurs d’acheter des obligations fédérales, mais elle ne pourra pas toujours colmater les brèches de cette façon.
Les scénarios futurs laissent présager un avenir sombre pour les finances publiques étatsuniennes. Le Congressional Budget Office estime que d’ici 2052, un tiers des recettes publiques sera consacré au service de la dette. La dette fédérale pourrait atteindre 185 % du PIB à cette date[3].
Panique à la Maison Blanche
Les responsables de la Maison Blanche sont désormais conscients de leurs gigantesques difficultés financières. Ils pensent que la seule façon de se sortir de cette spirale infernale est de détruire la concurrence économique internationale. Si l’économie américaine parvient à s’imposer dans le monde et que son marché s’accroit aux dépens de la concurrence, le dollar reprendra de la vigueur et retrouvera sa place comme monnaie de référence. La situation est toutefois tellement grave qu’ils ont décidé de poursuivre une guerre économique par d’autres moyens[4] : essayer de détruire les économies russe et chinoise en menant une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine, puis une confrontation militaire directe avec la Chine en se servant de Taiwan comme prétexte. Pour rester à flot, il faut couler les autres.
Conclusion
Cela ne relève pas d’une « théorie du complot ». Les dirigeants américains ont appliqué à la lettre les suggestions de la Rand Corporation, énumérées dans un document publié en 2019 (‘Extending Russia’). Ce document recommandait de se retirer du traité portant sur les missiles à portée intermédiaire, de renforcer l’OTAN, d’imposer des sanctions nouvelles à la Russie, de fournir des armes létales à l’Ukraine, de mettre fin au commerce du gaz et du pétrole de la Russie avec l’Europe, et d’interrompre le développement du gazoduc Nordstream, provocations devant pousser la Russie à réagir et s’engager dans des guerres coûteuses pour elle.
Le Représentant démocrate Adam Schiff, le Représentant républicain Michael McCaul, le secrétaire à la défense Lloyd Austin, le Sénateur républicain Lindsay Graham, l’ancien secrétaire à la défense Leon Panetta, Hilary Clinton et Oliver North l’ont dit : les USA se servent de l’Ukraine pour affaiblir la Russie. Les Américains ont allumé la mèche, ils ont mis le feu aux poudres et ont ensuite jeté de l’huile sur le feu.
L’appui militaire et financier étatsunien à l’Ukraine n’est pas motivé par la générosité ou le sens du devoir. Il s’agit d’instrumentaliser l’Ukraine dans une guerre par procuration afin d’abattre la Russie. Pour connaître la source de cette politique et comprendre les enjeux économiques et géopolitiques, il faut se tourner vers la situation économique intérieure des États-Unis.
Notes
[4] https://lautjournal.info/20230505/la-militarisation-de-tout-un-concept-strategique