Le 29 mars dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution demandant formellement à la Cour Internationale de justice (CIJ) de se prononcer sur les obligations des États face aux effets du changement climatique, et ce par le biais d’un avis consultatif.
L’adoption de cette résolution a été saluée par le Secrétaire général des Nations unies (voir son discours) ainsi que par le Haut Commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme (voir le communiqué de presse), tout comme par un grand nombre d’États et d’organisations de la société civile.
La demande d’avis consultatif en bref
Cette initiative a d’abord été prise par un État insulaire du Pacifique, le Vanuatu, et ce depuis plusieurs années : cette note de 2019 en témoigne ; plus d’informations sur le long cheminement suivi par le Vanuatu sont disponibles sur cet hyperlien.
En juillet 2022, les chefs d’État et de gouvernement des États insulaires du Pacifique réunis au sein du Pacific Forum Islands ont réitéré leur ferme soutien à cette initiative (voir leur communiqué officiel).
Le Vanuatu étant à la tête du groupe des États insulaires du Pacifique les plus touchés par le changement climatique, et ayant habilement articulé ses efforts diplomatiques avec la société civile et d’autres États au sein des Nations unies, le texte de cette résolution a été adopté sans vote, grâce à la technique du consensus.
Il convient de noter qu’en 2011 et 2012, le Président d’un autre État insulaire du Pacifique, Palau, avait déjà exprimé la même possibilité de recourir à la justice internationale lors de sa visite aux Nations unies (voir cette note de 2011 et ce communiqué de presse des Nations unies de février 2012). Pour des raisons qu’il serait très intéressant de connaître, Palau a finalement décider de désister de cette proposition.
Le projet de résolution A/77/L.28 adopté le 29 mars 2023 (voir hyperlien pour accéder aux différentes versions officielles) est intitulé « Request for an advisory opinion of the International Court of Justice on the obligations of States in respect of climate change / Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques ».
Les deux questions auxquelles devra répondre le juge international de La Haye sont les suivantes :
« Eu égard en particulier à la Charte des Nations unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, à l’Accord de Paris, à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, à l’obligation de diligence requise, aux droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement et à l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin :
- a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ?
- b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
- i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou y sont particulièrement vulnérables ;
- ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ?”
Une résolution adoptée par consensus
Contrairement à un texte adopté par vote (où les opposants sont obligés de se démasquer avec leur vote contre, tout comme les États qui s’abstiennent), un texte adopté par consensus (qui n’est rien d’autre que l’absence constatée d’objection à un texte) constitue en soi un exploit diplomatique. Comme il s’agit de l’Assemblée Générale des Nations unies, ce texte envoie un signal important au reste de la communauté internationale et, soit dit en passant, renforce le rôle joué par les promoteurs de cette initiative. Ce résultat sous-entend que la formulation du texte a été révisée à maintes reprises afin de garantir qu’aucun État ne puisse s’opposer au contenu du texte lors de sa présentation par le Président de l’Assemblée Générale aux 193 États membres.
À cet égard, il convient de saluer la grande habileté de l’appareil diplomatique des promoteurs de cette initiative (et de leurs alliés) pour s’être mis d’accord sur une rédaction des questions formulées au juge international de La Haye, et ce malgré les objections que certains des États responsables des plus fortes émissions de gaz à effet de serre ont pu exprimer : malgré les réserves que ces derniers ont pu avoir, aucun d’entre eux ne s’est aventuré à demander un vote le 29 mars, de telle sorte que cette résolution a été adoptée par consensus.
Le délégué américain, dans l' »explication de vote » qui ne s’est jamais matérialisée en tant que telle, dès l’adoption de la résolution, a cru bon d’indiquer son opposition à certaines références faites dans le préambule et de souligner, entre autres points (voir texte officiel), que :
« Nous avons examiné attentivement cette question, reconnaissant la priorité que Vanuatu et d’autres petits États insulaires en développement ont accordée à la demande d’un avis consultatif auprès de la Cour internationale de justice dans le but de progresser vers la réalisation des objectifs en matière de climat.
Toutefois, nous craignons que ce processus ne complique nos efforts collectifs et ne nous rapproche pas de la réalisation de ces objectifs communs. Nous pensons que le lancement d’un processus judiciaire – en particulier compte tenu de la vaste portée des questions – accentuera probablement les désaccords et ne sera pas propice à faire avancer des processus diplomatiques et de négociation en cours. À la lumière de ces préoccupations, les États-Unis ne pensent pas que cette initiative soit la meilleure approche pour atteindre nos objectifs communs et saisissent cette occasion pour réaffirmer leur point de vue selon lequel les efforts diplomatiques sont le meilleur moyen de s’attaquer à la crise climatique. »
(Traduction libre de l’auteur de :
« We have considered this carefully, recognizing the priority that Vanuatu and other Small Island Developing States have placed on seeking an advisory opinion from the International Court of Justice with the aim of advancing progress towards climate goals.
However, we have serious concerns that this process could complicate our collective efforts and will not bring us closer to achieving these shared goals. We believe that launching a judicial process – especially given the broad scope of the questions – will likely accentuate disagreements and not be conducive to advancing ongoing diplomatic and negotiations processes. In light of these concerns, the United States disagrees that this initiative is the best approach for achieving our shared goals, and takes this opportunity to reaffirm our view that diplomatic efforts are the best means by which to address the climate crisis »).
Comme indiqué précédemment, ni les États-Unis ni aucun autre État n’ont demandé de vote lors de l’examen de ce projet de résolution. La position du délégué américain peut être comparée avec celle exprimée par l’Union européenne (UE) (voir hyperlien) ou avec la position de la déléguée de l’Allemagne (voir hyperlien) ou encore celle du délégué de la Norvège (voir hyperlien).
En fait, le texte adopté le 29 mars 2023 est similaire à celui rendu public fin novembre 2022 : après de longues journées et consultations, un groupe d’États réuni par le Vanuatu en octobre 2022 (dit » Core Group » évoqué par le Vanuatu dans son discours à l’Assemblée générale) a rédigé le texte de la future résolution. Ce groupe a rassemblé les 18 États suivants, issus de latitudes et de continents très divers : l’Allemagne, l´Angola, Antigua-et-Barbuda, le Bangladesh, le Costa Rica, le Liechtenstein, la Micronésie, le Maroc, le Mozambique, la Nouvelle-Zélande, le Portugal, la Roumanie, Samoa, la Sierra Leone, Singapour, l´Ouganda, Vanuatu et le Vietnam (voir note du CIEL). Dans l’hémisphère américain, seuls Antigua-et-Barbuda et le Costa Rica ont intégré ce groupe d´Etats.
Dans les prochaines semaines, cette demande d’avis consultatif sera transférée à la CIJ pour être examinée par les 15 juges de La Haye.
Il y a quelques mois, la même Assemblée Générale des Nations unies a également demandé un avis consultatif au juge de La Haye sur une autre question sur laquelle il fut impossible de parvenir à un consensus entre ses 193 membres : les effets juridiques de l’occupation et de la colonisation prolongées de la Palestine par Israël. En l’absence d’accord, il a fallu procéder à un vote : nous avons eu l’occasion d’analyser les résultats du vote du 30 décembre 2022 et notamment la position adoptée par les États d’Amérique latine (voir notre brève note en espagnol à ce sujet intitulée « América Latina ante solicitud de opinión consultiva a justicia internacional sobre la situación en Palestina, breves apuntes sobre insólito voto en contra de Costa Rica« , publiée dans LaRevistacr, édition du 1/02/2023).
Demande similaire adressée au Tribunal international du droit de la mer
En décembre 2022, le Tribunal international du Droit de la Mer (TIDM, connu par ses sigles en anglais “ITLOS”) a été saisi d’une demande d’avis consultatif émanant d’États insulaires préoccupés par l’élévation du niveau de la mer et la pollution marine, ainsi que par d’autres altérations du milieu marin qui les affectent. Ces États insulaires étaient menés par Antigua-et-Barbuda et Tuvalu.
La question posée concerne les dispositions de la Convention sur le droit de la mer de 1982 (voir le texte en francais de la demande) et se lit comme suit :
“Quelles sont les obligations particulières des États Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« la CNUDM »), notamment en vertu de la partie XII :
- a) de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin eu égard aux effets nuisibles qu’a ou peut avoir le changement climatique, notamment sous l’action du réchauffement des océans et de l’élévation du niveau de la mer, et de l’acidification des océans, qui sont causés par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ?
- b) de protéger et préserver le milieu marin eu égard aux incidences du changement climatique, notamment le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, et l’acidification des océans ?”
Comme chacun sait, la Convention sur le Droit de la Mer de 1982 est à ce jour le seul instrument normatif universel existant dans le domaine marin (voir l’état officiel des signatures et ratifications), avec 168 États parties.
Une démarche similaire observée au niveau interaméricain
Au niveau interaméricain, l’urgence climatique a également donné lieu à une récente demande d’avis consultatif : en janvier 2023, c’est la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme qui a été saisie conjointement par le Chili et la Colombie concernant les obligations des États en matière de droits de l’homme face à l’urgence climatique et les mesures urgentes qu’ils devraient prendre (voir le texte complet de la demande d’avis consultatif en espagnol). La Cour de San José devra répondre à six questions. On notera que deux d’entre elles (B et E) se réfèrent expressément aux dispositions de l’Accord d’Escazú : nous avons eu l’occasion d’analyser les deux récentes ratifications (Belize et Grenade) enregistrées en mars 2023, ainsi que l’utilisation remarquée – et fort peu commentée – de l’Accord d’Escazú par le juge interaméricain dans l’un de ses derniers arrêts condamnant le Chili (voir notre note sur le sujet en espagnol intitulée « Acuerdo de Escazú : a propósito de dos nuevas ratificaciones (Granada y Belice) y de su uso reciente por parte de la Corte Interamericana de Derechos Humanos publiée sur le site juridique DIPúblico (Argentine), édition du 28/03/2023).
En guise de conclusion
Il est assez inhabituel d’observer que trois juridictions internationales différentes soient sollicitées presque simultanément sur des questions similaires en matière consultative. Comme on le sait, la fonction consultative permet à une juridiction internationale de faire connaître son interprétation sur des questions juridiques faisant l’objet de dissensions et/ou de désaccords. Son interprétation concernant la portée exacte d’une norme internationale applicable jouit d’une autorité qu’aucun État, groupe d’États ou organisation internationale ne peut contester.
Cet intérêt soudain pour des avis consultatifs de juridictions internationales en vue de clarifier la portée des obligations internationales des Etats en matière de changement climatique trouve probablement son origine dans la réponse timide de la communauté internationale lors de la dernière COP-27 qui s’est tenue en novembre 2022 en Egypte : il a finalement été convenu, face aux demandes légitimes de compensation pour les dommages et pertes causés à de nombreux Etats par le changement climatique, de créer un organe (voir hyperlien officiel). Il convient de noter que le 29 mars 2023, les travaux du « Comité de Transition » se sont achevés lors de sa première réunion dans la ville de Louxor (voir hyperlien officiel), un organe mis en place lors de la COP-27 pour examiner la question des dommages et des pertes.
Par ailleurs, la situation climatique et l’extrême vulnérabilité de certaines populations au changement climatique expliquent également ces trois initiatives devant les juridictions internationales, deux au niveau universel et une au niveau interaméricain.
Cet empressement résulte également du fait qu’à ce jour, la communauté internationale n’a pas encore pu se mettre d’accord sur des mesures permettant d’inverser substantiellement l’augmentation progressive des températures, malgré plus de 25 ans de données scientifiques sur les effets dramatiques du changement climatique : voir sur ce sujet le dernier rapport du Groupe Intergouvernemental d´Experts sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies de 2023.
Ces demandes adressées à trois juridictions internationales différentes constituent un défi pour elles en tant que telles et suscitent déjà beaucoup d’espoirs dans divers milieux. En effet, il est fréquent de voir les décisions de juridictions internationales invoquées devant les juges nationaux.
Il est à noter qu’en droit interne cette fois, la justice climatique fait également l’objet de nombreuses actions en justice en raison d’un certain nombre d’activités autorisées par les États eux-mêmes, qui sont parfois en contradiction avec leurs engagements internationaux en matière de lutte contre le changement climatique. On peut citer l’exemple, parmi tant d’autres, de la justice néerlandaise qui, en 2019, dans l’affaire Urgenda (voir lien et un commentaire de l’arrêt publié en Belgique), a condamné l’État pour ne pas avoir maintenu le rythme de réduction des émissions de gaz qu’il s’était engagé à respecter. Même chose observée en Allemagne, avec son juge constitutionnel en 2021 (voir lien et commentaire de l’arrêt publié dans une revue spécialisée en Espagne). Plus frappant, étant donné qu’il s’agit de l’État dans lequel se sont déroulées en décembre 2015 les négociations d´un accord portant le nom de sa capitale, le juge administratif français a condamné la France pour son inaction climatique en octobre 2021 (voir note et décision du Tribunal Administratif). Plus récemment, une autre décision du Conseil d’État a condamné l’État français pour non-respect de ses engagements, cette fois-ci en matière de qualité de l’air (voir décision d’octobre 2022).
Dans le cas de l’Amérique latine, les actions en justice intentées par différents collectifs sociaux devant les juridictions nationales sont très diverses et variées : cet hyperlien énumère quelques-unes des actions intentées devant les tribunaux nationaux par des organisations sociales qui, sans nul doute, attendent anxieuses que la justice internationale les aide à renforcer, dans un avenir proche, leurs arguments face au manque de volonté évident afin de parvenir à une véritable justice climatique.