Quel modèle choisir lorsqu’on veut monter un projet d’épicerie dans sa ville ou dans son village ? Les tailles autant que les manières de s’organiser sont multiples. Jean-Claude Richard nous aide à nous y retrouver dans les différents modèles existants.
Début 2015, il existait, sur l’ensemble du territoire français, une douzaine d’épiceries ouvertes par les consommat·rices. Il y en avait presque 300 en mai 2022, lors de la parution du livre Les consommateurs ouvrent leurs épiceries (1), et elles sont sans aucun doute plus de 350 lors de la parution de cet article.
Les différents modèles
Il est extrêmement difficile de classer les 350 « épiceries » ouvertes par les consommat·rices. La forme juridique, qui pourrait sembler une bonne approche, ne convient pas puisque certaines sont en associations, d’autres en SCIC, d’autres en coopératives de consommat·rices et enfin certaines en SAS (2) ! Il est donc nécessaire de rechercher une autre classification qu’il conviendra de lier aux dimensions et aussi aux valeurs portées par l’expérimentation.
Ces lieux peuvent se répartir en trois grands modèles : les épiceries associatives de village, les supermarchés coopératifs et enfin les coopératives alimentaires autogérées.
Deux modèles bien différents d’épiceries associatives de village
Il est intéressant de noter que sur les 300 « épiceries » ouvertes en mai 2022, près de 200 se situaient dans les petites villes et villages abandonnés par le pouvoir central et la mondialisation (3). À partir de ce premier constat, nous observons la mise en place de deux modèles extrêmement différents. Le premier modèle (un tiers des épiceries) est mis en place avec des subventions diverses et variées, une proposition de produits à des prix élevés (marges de 30 à 35%) et la présence de salarié·es souvent à temps partiel et mal payé·es afin de rendre possible une large amplitude d’ouverture. Le second modèle (deux tiers des épiceries) propose des prix avec très peu de marge ajoutée, pour permettre un accès large de la population à des produits de qualité majoritairement bio. Il repose sur une forte implication des membres dans un cadre d’éducation populaire. Le propos n’est pas seulement de remplacer l’épicerie fermée mais aussi de créer un lieu convivial où les habitant·es, au-delà de la nourriture, pourront devenir acteurs et actrices. Il conviendra de passer les commandes, s’occuper des réceptions et, bien entendu, d’ouvrir les portes.
Les « supermarchés coopératifs »
Les « supermarchés coopératifs » (4) se trouvent plutôt dans les grandes villes. Onze se sont ouverts dans des villes de plus de 200 000 habitant·es,et quatre à Paris. Treize ouvertures ont eu lieu dans des villes de 100 000 à 200 000 habitant·es, et les treize suivantes dans des villes habitées par moins de 100 000 personnes. Ce qui caractérise tout d’abord ce modèle, ce sont les prix. Les marges ajoutées tournent autour de 20 à 23 %, ce qui amène une proposition de vente à des prix élevés pour beaucoup de consommat·rices. De plus, les procédures sont volontairement complexes. La mise en place, suivant le modèle de La Louve, doit se faire sur plusieurs années avec un plan de financement et un savoir-faire qui est loin d’être commun à tou·tes les futur·es membres du projet. Enfin, pour couvrir les investissements de départ (5) et la rémunération des salarié·es, il faut plusieurs milliers de membres, selon Tom Boothe, initiateur de La Louve.
La réussite de tels projets d’ampleur est un vrai défi : sur les vingt-six « supermarchés » ouverts dans des villes de moins de 200 000 habitant·es, et souvent après deux, trois ou quatre années d’existence, un seul a dépassé le seuil des 1 000 membres !
Les coopératives alimentaires autogérées
Une « coopérative alimentaire autogérée » n’est pas toujours une véritable coopérative. Très facile à mettre en place, elle peut être créée par une quinzaine de personnes. Il faut bien entendu un support juridique (par exemple associatif) qui permettra de louer un local, d’ouvrir un compte dans une banque quelconque. Il faudra aussi un numéro de Siret, pour les fournisseurs, et, surtout, une assurance pour sécuriser les activités des membres.
Pour avoir les moyens financiers d’acheter les premiers stocks, le mieux est de fonctionner par avances sur achats, comme nous le faisons dans les Amap : chacun·e dépose une somme sur son compte individuel. Cette somme est transformée en produits et chacun·e se sert puis déduit ses achats de la somme qu’il ou elle a déposée. Et ainsi de suite. Cette méthode aisée permet de toujours avoir une trésorerie suffisante pour effectuer les achats (il n’y a pas besoin d’emprunt ni de subvention). Cette organisation financière, évitant les emprunts et autres subventions, balaye l’inquiétude du déséquilibre financier, puisque les achats aux fournisseurs ne peuvent se faire qu’en fonction des fonds déposés par les membres. Enfin, que des choses bien élémentaires !
Bonne chance pour votre épicerie en devenir.
Jean-Claude Richard DionyCoop de Saint-Denis (93)
Notes :
(1) Jean-Claude Richard, Les Consommateurs ouvrent leurs épiceries : Épi, Épicerie associative, Supermarché coopératif, Coopérative alimentaire autogérée, 152 p., Éditions libertaires, 2022
(2) SCIC : société coopérative d’intérêt collectif ; SAS : société par actions simplifiée.
(3) Quatre-vingt-trois sont implantées dans des villages de moins de 1 000 habitant·es, 62 dans des petites villes comptant entre 1 000 et 5 000 habitant·es. (4) Le terme « supermarché » nécessite, administrativement, d’avoir une surface supérieure à 400 m². Sur les 41 « supermarchés » autoproclamés, seuls six dépassent cette surface.
(5) 1 600 000 euros pour La Louve à Paris, 1 200 000 pour Super Quinquin à Lille, 200 000 pour La Cagette Coop à Montpellier, 260 000 pour Demain à Lyon, 390 000 pour La Coop sur Mer à Toulon, etc.
Les consommateurs ouvrent leurs épiceries
Quel modèle choisir pour votre ville ou votre village ?
Jean-Claude Richard
Membre de la coopérative alimentaire autogérée DionyCoop, à Saint-Denis, Jean-Claude Richard suit de près l’évolution des épiceries collectives, associatives ou autogérées en France. Après ses nombreuses rencontres et observations, et au prisme d’un regard libertaire, il analyse les différents modèles d’épiceries collectives qui se sont montées. La richesse du livre tient en ce qu’il détaille de nombreux exemples de chaque modèle. Il ne cache pas non plus sa préférence pour les coopératives alimentaires autogérées s’affranchissant du modèle associatif classique, ni ses critiques envers les autres formes d’organisation. Il fait émerger des points de vigilance et de débat qui remettent du politique au cœur de ces pratiques. Cela aidera chacun·e de se positionner avec clarté et à s’orienter vers la création de la forme qui lui convient le mieux. Avec une liste de plusieurs centaines d’épiceries. GG
Éditions libertaires, 2022, 154 pp., 13 euros.
L’auteur du livre se déplace pour faire des conférences sur plusieurs thématiques :
- le fonctionnement autogéré des DionyCoop ;
- les différents modèles d’épiceries ouvertes par les consommat·rices ;
- gouvernance et autogestion ;
- la liberté comme base d’un fonctionnement autogestionnaire.
- Les frais de transport sont à leur charge et leur intervention est gracieuse.
Contact : Jean-Claude Richard, dionyversite@orange.fr.