Au cours des trois dernières décennies, les gestionnaires du ministère fédéral des Pêches et des Océans ont régulièrement démontré qu’ils étaient capables du pire, et pas assez souvent du meilleur.
S’il ne fait aucun doute que divers services de ce ministère, les divisions scientifiques et économiques par exemple, brillent par leur rigueur et leur compétence, la gestion, qui découle du cabinet ministériel, se démarque surtout par l’errance.
Comment expliquer qu’à quelques jours du début de la pêche au hareng de printemps et au maquereau, à la fin de mars 2022, Pêches et Océans Canada ait décidé de suspendre la capture de ces deux espèces dans le golfe Saint-Laurent? Cette suspension a été valide pour toute l’année pour le maquereau, et jusqu’en août pour le hareng.
Pourtant, les stocks de ces deux espèces pélagiques déclinent depuis des années, sans que le ministère reconnaisse que les phoques représentent leur principal prédateur. Une étude datant de 2021 signale que les phoques mangent 12 fois plus de hareng que la pêche en prélève, bon an mal an!
En plus d’avoir appris à la dernière minute la suspension de leurs activités en mars 2022, les pêcheurs pélagiques affectés par ces fermetures subites n’ont même pas bénéficié d’indemnisations, ce qui aurait été justifié considérant l’absence d’avis raisonnable par Pêches et Océans Canada. Pourtant, les gestionnaires de ce ministère devaient savoir depuis des mois que cette pêche serait suspendue. Ils savaient depuis 2011 que le stock se situait sous un seuil critique.
Était-ce un manque de courage de ces gestionnaires face au contexte? Était-ce une stratégie pour annoncer la fermeture tellement tard qu’il serait pratiquement impossible d’accorder à ces pêcheurs des allocations ponctuelles, les autres ressources ayant été distribuées à la fin de mars?
Ou était-ce simplement un manque de respect élémentaire à l’endroit de ces pêcheurs, alors que les revenus globaux de 2022, toutes espèces confondues débarquées dans les havres québécois, ont fracassé le record précédent?
Est-ce normal, quand on sait à quel point les visites ministérielles sont planifiées d’avance dans la plupart des officines fédérales, que lors de son passage en Gaspésie, les 1er et 2 mars derniers, la ministre des Pêches et Océans Canada, Joyce Murray, de même que sa garde rapprochée, n’aient pu trouver le temps de rencontrer les pêcheurs de hareng et de maquereau? Il s’était pourtant écoulé 11 mois depuis la décision tardive de ce même ministère.
Elle a l’air bien sympathique, Mme Murray, mais il est évident qu’elle n’a pas maximisé son temps en Gaspésie, pas plus qu’aux Îles-de-la-Madeleine, où les captures de plie rouge et de limande à queue jaune, deux autres espèces servant d’appâts, ont été suspendues en 2023.
Il n’est bien sûr pas plaisant pour une ministre et son entourage de rencontrer des pêcheurs insatisfaits, surtout quand, un an après la suspension de la pêche au maquereau et au hareng de printemps, ils n’ont pas pris la chose suffisamment au sérieux pour présenter des solutions claires.
Vaut mieux dire qu’on « travaille fort » et qu’on « ne vous oublie pas », des formules éculées.
Les observateurs restent avec l’impression que les gestionnaires d’Ottawa ont peur des pêcheurs et de potentielles actions intempestives. Alors, on « protège » la ministre. Pourtant, quiconque connaît un tant soit peu les meneurs de groupes de pêcheurs commerciaux en fonction depuis plusieurs années en Gaspésie, et ailleurs, savent qu’ils peuvent discuter calmement.
Le même raisonnement tordu a incité les gestionnaires de Pêches et Océans Canada à garder le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie complètement à l’écart des discussions portant sur les ententes de réconciliation avec les Premières Nations de Listuguj, Gesgapegiag et Gespeg.
Pourtant, ces ententes ont mené à la dévolution d’une capacité de capture de homard, ce qui est bien. Toutefois, comment peut-on imaginer ce transfert de capacité en faisant abstraction totale d’un groupe de pêcheurs ayant fait autant de sacrifices depuis 1997 pour que la ressource prenne une telle expansion en Gaspésie? Les débarquements de homard y ont quadruplé.
Encore là, le ministère a fait une « gestion de crise appréhendée », comme si les pêcheurs et les Autochtones étaient incapables de s’asseoir dans une même pièce. Ils cohabitent pourtant dans le plus grand calme, sur l’eau et ailleurs, depuis plus de 20 ans. Le ministère semble l’ignorer.
S’agit-il de paternalisme maladroit ou condescendant, d’une stratégie de division pour régner, qui s’inscrirait dans une longue tradition au gouvernement fédéral? Ou s’agit-il d’ignorance volontaire, alors que tous les éléments sont en place pour que la ministre et sa garde rapprochée fassent le rattrapage nécessaire en matière d’évolution des mentalités? Toutes ces réponses s’appliquent probablement.
Un poste de ministre, comme des postes de hauts fonctionnaires, ça vient avec des responsabilités parfois lourdes. Une partie du travail consiste à faire face à l’adversité, pas à se planquer à Ottawa, loin de la mer, en toute ignorance des particularités inhérentes aux pêches commerciales.
Ce n’est pas d’hier que la gestion de ce ministère vogue régulièrement dans l’errance. Souvenons-nous du moratoire sur la morue, décrété en 1992 et confirmé l’année suivante en Atlantique. Le ministère avait ignoré des indices de déclin visibles depuis des années. Les quotas constituaient des cibles à atteindre, établies en fonction de critères largement politiques, au lieu de freins tenant compte de la pérennité de la ressource.
Quand elles ne sont pas prises à Ottawa, les décisions portant sur les pêches gaspésiennes, madeliniennes et nord-côtières de Pêches et Océans Canada sont prises à … Québec, devant un fleuve à l’eau douce. Il serait plus que temps de mettre fin à cette déconnexion.
Le manque de stabilité à la tête du ministère explique sans doute en partie le cafouillage administratif. Au cours des 32 dernières années, 17 ministres ont mené Pêches et Océans Canada. Ce ministère a essentiellement servi d’outil politique visant à satisfaire les électeurs des provinces atlantiques et de la Colombie-Britannique. Aucun Québécois n’a fait partie de la liste.
À priori, il n’est pas nécessaire d’être un expert des pêches pour diriger ce ministère. Il faut toutefois s’y intéresser et appliquer des principes de gestion saine. Puisqu’ils décident de la composition du cabinet, les premiers ministres canadiens des dernières décennies ont largement oublié ces principes de base.
Il serait temps de corriger la situation. C’est une question d’équité et de respect à l’égard des pêcheurs et de toutes les communautés qui dépendent de leurs activités.
Gilles Gagné