Dans ce moment historique, des courants émergent et dénoncent la violence sans en faire usage eux-mêmes, que ce soit dans les luttes d’émancipation homme/femme, dans celles du rapport capital-travail ou encore celles contre la verticalité des pouvoirs. Comment se fait-il alors que très peu de voix s’expriment sur cette violence pourtant manifeste qu’est la guerre ?
Alors que celle-ci a de nouveau éclaté sur le territoire européen, en Ukraine, avec un risque accru de nucléarisation du conflit, nous sommes étonnés par le silence apathique de la population française, et à priori européenne.
La propagande belliciste et la censure sont de retour
Dès l’entrée des troupes russes en Ukraine en février 2022, quelques voix ont tenté de renvoyer dos à dos les belligérants. Certaines tentèrent aussi de rappeler les origines du conflit pour chercher à le comprendre et proposer des solutions diplomatiques. Mais ces propos pourtant de sagesse et de tempérance ont rapidement été bâillonnés, voire discrédités par les médias et leur propagande en faveur de la guerre et du camp occidental. Simultanément, nous avons vu s‘organiser la censure et la caricature des médias russes.
Il n’est maintenant question que d’envoi d’armes, plus ou moins massif. Le gouvernement s’est d’ailleurs engouffré dans la logique de guerre, prévoyant 413 milliards dans sa loi de programmation militaire 2024-2030, sans que personne ne sourcille. Rares sont les partis politiques et personnalités qui osent s’élever contre cet esprit guerrier. Il faut dire que la crainte d’être calomniés de « pro Poutine » génère des réserves.
La population, bombardée par cette propagande belliciste, est sommée de choisir son camp, de préférence contre Poutine. Et si elle ne semble pas choisir vraiment (méfiante des manipulations médiatiques !), elle ne s’indigne pas non plus fermement contre cette guerre. Il est vrai qu’en France comme en Europe de l’Ouest, elle n’a jamais vécu la guerre et reste dans l’illusion de la paix post-URSS et promise par l’Union européenne. Le pire serait qu’elle se laisse endormir par le fatalisme des formateurs d’opinion, bien prompts à rappeler – d’un ton désinvolte – que l’histoire n’est faite que de cycles de « guerres et paix », au nom d’une soi-disant « nature humaine ».
Il faut dire que l’histoire leur donne en partie raison, si on ne la regarde que sous le prisme des rapports de force entre États.
Quand les peuples européens croyaient à la paix définitive en Europe, les grandes puissances y préparaient la guerre !
En effet, l’effondrement du bloc soviétique – symbolisé par la chute du mur de Berlin – a marqué, à la fin des années 80, une période de détente et la fin de la menace nucléaire entre les grandes puissances (États-Unis et ex-URSS)[1]. En Europe, les générations nées dans les années 50 à 70 ont alors cru en une paix définitive, les suivantes n’ayant pas même le logiciel ‘’guerre » en mémoire. Cependant, les comportements agressifs de ces mêmes puissances n’ont en réalité jamais cessé.
Alors que le bloc soviétique se déstructurait, laissant ses ex-pays satellites libérés de son pouvoir central et ses ex-républiques acquérir leur « indépendance », les pays de l’Union européenne, – dans un mouvement inverse – se structuraient en un nouveau bloc autour du traité de Maastricht et d’une gouvernance centralisée à Bruxelles.
La même logique de « reconstitution de blocs » était à l’œuvre sur le plan militaire : alors que le pacte de Varsovie était dissous (1991), la stratégie de l’OTAN s’étendait progressivement, d’abord en intervenant dans la guerre du Kosovo (1999), puis en acceptant l’intégration des pays de l’ex-URSS à l’Alliance (Tchéquie, Hongrie, Pologne en 1999, puis Pays baltes, Slovaquie, Slovénie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie en 2004, Albanie et Croatie en 2013, Monténégro en 2017, Macédoine en 2020). Et de manière quasi concomitante (2004-2007), la plupart de ces mêmes pays intégraient l’Union européenne qui, passant de 12 à 28 pays, constituait ainsi un bloc européen arrimé sur le plan militaire aux États-Unis.
Au même moment, les guerres en Irak (1991 puis 2002) et en Afghanistan (2001) pour les États-Unis et l’OTAN ; en Tchétchénie (1999 – 2009) et en Syrie (2015) pour la Russie ont démontré la permanence guerrière de ces deux puissances. Leur ingérence au sein de mouvements populaires comme ceux de « la révolution Orange » en Ukraine (2004) manifeste leur désir de garder une hégémonie sur le monde.
Pendant cette période, le bloc chinois devenait le 3e bloc : s’ouvrant à l’économie de marché et devenant l’usine du monde, le pays commence à dicter ses orientations et à irriter ses voisins.
Force est de constater que durant toutes ces années, l’influence de l’ONU a quasiment disparu comme s’est perdu le respect des droits et des traités internationaux.
Le conflit de l’Ukraine – qui se cristallise sur un territoire historiquement stratégique et convoité – s’inscrit et résulte en réalité de cette logique belliciste entre blocs recomposés.
Alors, nos doctes commentateurs de plateaux télé ont peut-être raison de rappeler que les provocations et les guerres qui s’en suivent ont toujours existé. Cependant, il convient de compléter les propos de ces esprits superficiels par cette autre réalité sartrienne : « Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent ».
Le cycle « guerre et paix » doit appartenir à la préhistoire humaine
C’est pourquoi les peuples devraient exiger immédiatement de leur gouvernement l’arrêt des livraisons d’armes qui constituent un chemin vers un embrasement général du conflit et un risque nucléaire.
Mais ce ne sera pas suffisamment pour sortir de cet « éternel recommencement » et éviter le chaos.
Tout le monde reconnaît que la guerre est un désastre. L’aspiration à vivre en paix est dans le cœur de tous les peuples et doit se faire entendre. Rappelons-nous l’impulsion qui a porté nos dirigeants à instituer des organisations de Paix comme l’ONU ou son ancêtre la Société des Nations, après avoir embarqué les populations dans la guerre.
Pour sortir de cette répétition, cette même impulsion a besoin d’un souffle nouveau, et d’un nouveau sens, plus profond et plus durable : la force intentionnelle de la non-violence active. Cette approche et sa méthodologie sont capables d’initier un nouveau processus qui vise à contraindre les gouvernements à sortir de ce cercle vicieux et contradictoire qui ne produit que souffrance.
Dès aujourd’hui, à propos de l’Ukraine et au-delà, exigeons de nos gouvernements que soient mis en œuvre sous l’égide d’une ONU réhabilitée :
- Un plan de paix qui établit un cessez-le-feu immédiat en présence des casques bleus ; un retrait des troupes russes des territoires annexés et un retrait des bases militaires de l’OTAN en Europe et dans le monde.
- L’organisation de référendums impartiaux et transparents auprès des populations, dans les régions contestées entre les deux belligérants.
- La destruction des armes sur la zone de conflit avant qu’elles ne servent ailleurs.
- La mise en œuvre d’un programme de réconciliation entre les peuples belligérants, basé sur la compréhension réciproque de l’origine des conflits et la coopération mutuelle pour la reconstruction des infrastructures dans des zones détruites.
- La reprise des pourparlers sur le désarmement nucléaire et l’établissement d’un plan de désarmement multilatéral.
- La reconversion des complexes militaro-industriels et celle graduelle des forces armées au service des populations.
- La réaffirmation du respect des accords internationaux et des droits partout dans le monde.
- L’organisation d’une conférence des frontières.
Enfin, à l’instar du Costa Rica ou de la Bolivie qui montrent l’exemple, demandons à nos gouvernements d’inscrire dans leur constitution, l’interdiction d’utiliser la guerre comme moyen de résoudre les conflits. Et entamons une nouvelle ère par un vaste plan de réconciliation et d’apprentissage à la non-violence active, propre aux nécessités d’une nouvelle civilisation.
[1] Ces grandes puissances ont elles-mêmes déclaré la fin de la guerre froide.
Centre de Recherche du Nouvel Humanisme