En Europe, le phénomène des villes-refuges a connu un développement important depuis les années 1990, sous l’impulsion de groupes cosmopolites tels que le Parlement international des écrivains.
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Alessandro Mazzola, Université de Liège

En 1985, San Francisco se dotait d’une loi faisant de celle-ci une sanctuary city (ville sanctuaire) pour les réfugiés venant d’Amérique centrale. Appuyée par la maire de l’époque, Dianne Feinstein, cette résolution fut étendue quelques années plus tard à tous les migrants. Elle imposait à la police de ne pas coopérer aux contrôles et arrestations effectuées par l’autorité fédérale de contrôle de l’immigration. Depuis ce moment historique, de nombreuses villes de part et d’autre de l’Atlantique se sont officiellement déclarées lieux d’accueil pour les migrants.

En Europe, le phénomène des villes-refuges a connu un développement important depuis les années 1990, sous l’impulsion de groupes cosmopolites tels que le Parlement international des écrivains. Celui-ci a donné naissance à ce qui est aujourd’hui l’International Cities of Refuge Network pour la protection des écrivains et journalistes menacés dans leur propre pays.

Parallèlement, en raison du processus de décentralisation du pouvoir politique, les municipalités sont devenues des acteurs de premier plan dans la gestion des migrations. Les villes ont donc commencé non seulement à se déclarer accueillantes en soutenant des politiques de protection et d’inclusion, mais surtout à structurer des réseaux avec d’autres villes partageant les mêmes idées à l’égard des questions d’asile.

Les réseaux accueillants ont explosé depuis 2015

Un article récent souligne que lors de la crise migratoire de 2015 tels réseaux se sont développés et multipliés en suivant une dynamique descendante et une dynamique ascendante. Dans le premier modèle, des organisations internationales soutiennent la mise à l’ordre du jour des questions d’accueil au sein de réseaux de villes préexistants. Ceci est le cas, par exemple, de l’Organisation Internationale de la Migration avec sa participation au Forum mondial des Maires.

Le modèle ascendant, d’autre part, se caractérise par le regroupement spontané de différentes municipalités, mais aussi d’organisations, de collectivités territoriales et autres acteurs de la société civile. C’est l’exemple du réseau ANVITA en France, ou du projet City of Sanctuary UK au Royaume-Uni, dont le principe est d’associer l’expertise et les pratiques des organisations à l’action politique formelle des municipalités.

La société civile joue un rôle clé

D’une manière générale, de nombreuses communautés de citoyens sont prêtes à revendiquer l’accueil et l’ouverture à l’étranger en quête d’asile comme des éléments de leur identité historique. Dans de nombreux cas, le monde associatif est à l’origine du choix d’une ville de se déclarer accueillante. Les associations sont souvent porteuses d’initiatives, de campagnes de sensibilisation ainsi que d’appels à l’action directement adressés aux autorités locales.

Le collectif CNCD-11.11.11 interpelle les municipalités belges pour les transformer en « communes hospitalières ».

Si ces idées sont généralement bien accueillies par les pouvoirs politiques, elles restent parfois limitées à une dimension symbolique, sans donner lieu à des politiques réelles de protection et d’inclusion.

Quelles sont les limites des villes accueillantes ?

C’est précisément dans cette dichotomie entre symbolique et politique réelle, entre approche soft et hard, que l’on peut identifier un premier enjeu. Dans le débat politique contemporain, la migration et l’asile figurent parmi les questions les plus chargées d’une force médiatique et d’une valeur démagogique. Les autorités locales peuvent alors se déclarer accueillantes pour des raisons stratégiques, pour montrer leur opposition à un gouvernement d’une autre couleur politique. Cependant, il peut arriver qu’elles s’engagent que dans une mesure limitée dans la mise en œuvre concrète d’un système d’accueil alternatif.

Deuxièmement, même lorsque les villes adoptent une approche hard et mettent en œuvre des pratiques locales d’accueil et protection plus inclusives, elles peuvent se heurter à des obstacles structurels. Cela souligne les limites d’autonomie de la gouvernance locale, mais surtout le fait que les villes seules peuvent être confrontées à une disponibilité limitée des ressources. Elles doivent souvent faire face à des problèmes préexistants qui sapent l’efficacité des politiques d’accueil. Plusieurs cas identifiés comme des modèles positifs d’intégration ont montré par exemple des problèmes de ségrégation spatiale des nouveaux arrivants.

Il existe également des obstacles juridiques

Être une ville accueillante au sens hard et s’engager à protéger les migrants en opposition aux directives des gouvernements nationaux, signifie agir précisément sur l’appareil juridique et policier. C’est sans aucun doute le cas dans le contexte actuel, où le phénomène migratoire est souvent traité comme un problème de sécurité publique. Pour donner suite à son engagement en tant que ville accueillante, le conseil communal de Liège a par exemple voté une motion contre le projet du gouvernement qui visait à instaurer des visites domiciliaires pour trouver et arrêter les personnes en séjour illégal.

En agissant de manière autonome et en défiant le gouvernement central, les représentants politiques locaux risquent souvent d’outrepasser les limites juridiques. Tous les acteurs impliqués, à la fois migrants et non-migrants, peuvent se retrouver à enfreindre des lois perçues comme contraires à leurs principes et objectifs humanitaires, et en subir les conséquences. Les non-migrants peuvent notamment être condamnés pour un paradoxal délit de solidarité. Tel est le cas de l’ancien maire de Riace, Mimmo Lucano, accusé d’avoir facilité l’immigration clandestine dans son célèbre modèle d’accueil, et récemment condamné à 13 ans de prison.

Sans vouloir diminuer la contribution des villes accueillantes qui continuent à soutenir de nouveaux paradigmes d’inclusion, il faut toutefois se demander quels sont les risques pour les migrants impliqués dans ces modèles alternatifs et contestataires. La limite des villes accueillantes apparaît donc comme un problème de responsabilité envers des populations extrêmement vulnérables, lorsque elles doivent justifier leur droit de protection devant nos systèmes d’asile, prouver leur bon comportement, leur mérite. Les risques, évidemment, sont encore plus grands dans le cas des sans-papiers.

Comme le constatait un demandeur d’asile interrogé en 2018 dans un centre d’accueil en Belgique :

« Je ne veux pas changer le système, j’ai besoin de mes papiers, j’ai besoin d’être reconnu comme un réfugié. Quiconque veut nous aider doit comprendre ça […] et il faut trouver une solution dans le système, nous ne pouvons pas risquer d’aller contre le système […]. Si je me fais arrêter aujourd’hui, quelles seront mes chances demain ? »

Alessandro Mazzola, Cultural and Political Sociologist, Université de Liège

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

L’article original est accessible ici