Thomas Lechner est conseiller municipal de la ville de Munich. Il a inauguré par un discours la Conférence pour la Paix de Munich, qui se déroule en parallèle de la Munich Security Conference, la Conférence pour la Sécurité de Munich, et est en quelque sorte son pendant alternatif.
Discours inaugural de la ville de Munich à l’occasion de la Conférence pour la Paix
Chers invités, chères personnes présentes ici et en ligne,
Déjà en temps de paix relative, une conférence pour la Paix est un véritable défi. Mais quand il y a la guerre, l’air se raréfie énormément pour les pacifistes et une conférence pour la Paix devient encore plus compliquée.
Il a toujours fallu des efforts considérables et parfois également du courage pour mener un discours qui contraste avec le courant dominant, avec le narratif prévalant.
Une guerre militarise la société, les approches, la langue, le récit. C’est exactement ce que nous vivons en ce moment lorsque, soudain, les talkshows virent au débat d’experts sur les armes et que des stratégies militaires deviennent sujet de discussions populaires. Nous ne voyons bien entendu qu’un détail de la vérité, jamais le contexte en entier, ni les antécédents, les imbrications, les dépendances et encore moins les conséquences. C’est donc un travail d’Hercule que de tenir une conférence pour la Paix lorsqu’une guerre a lieu et il faut savoir encaisser lorsqu’on veut développer des bases pacifistes en politique.
Nous savons pourtant pertinemment que pour trouver la paix, il faut toujours partir de la fin de la guerre et ce n’est malheureusement pas encore le cas dans notre politique prédominante d’aujourd’hui.
Certes, c’est pratiquement un truisme de constater qu’un monde de paix ne sera possible que lorsque toutes les armes seront détruites et que plus aucune ne sera fabriquée. Toutefois, en ce moment, en affichant cette idée, on est POUR LE MOINS qualifié d’irréaliste naïf, parfois de cinglé et par-dessus s’ajoute la rhétorique belliciste : on ne veut pas aider les gens en Ukraine, on est compréhensif envers Poutine, dans le pire des cas, le terme affligeant de l’année 2022 est déballé : « Vous comprenez Poutine ».
Mais pour mettre fin à la guerre, il faut en comprendre les protagonistes, il faut analyser les intérêts qui sont derrière — ceux de tous les participants, il faut aussi exprimer haut et fort des choses qui dérangent et tenter en permanence de rouvrir le dialogue général, qui se simplifie volontiers la vie en ne démordant pas, avant tout, des positions des attaqués. De : « l’Ukraine est attaquée, elle a besoin de chars pour se défendre », on passe insidieusement à : « elle ne peut se défendre vraiment qu’avec des avions de combat » et peu après, nous voilà en train de répéter les phrases des ministres de la Défense et des seigneurs de la guerre, dans lesquelles il est question que la justice ne peut être établie qu’avec une victoire des attaqués. Le droit à la défense devient ainsi le droit — ou même l’obligation (pour défendre la liberté) d’une victoire et nous savons tous pertinemment que dans notre monde hyper-technologique, une telle victoire ne peut pas exister. Car les êtres humains ET la nature sont les perdants, car ils sont les perdants dans toute guerre, si nous continuons ainsi. Parce que tout est lié. Parce que si nous renforçons notre soutien pour les personnes en souffrance et attaquées en Ukraine, nous ne pourrons le faire que si nous renonçons ailleurs à d’autres choses : que ce soit à des missions de paix ou des livraisons humanitaires dans d’autres régions du monde, que ce soit parce des dizaines de millions de plus seront investis dans l’armement plutôt que dans l’enseignement.
Il faut dire que toute guerre est aussi un commerce, une foutue saleté de commerce.
Tandis que nous réfléchissons encore comment gérer la crise énergétique, des millions et des milliards de bénéfices et de recettes fiscales nous font signe, car si la production d’armement est maintenant massivement augmentée, c’est dans le journal d’aujourd’hui : Kraus-Maffei-Wegmann n’attend que le signal de Berlin et peut à tout moment « démarrer ».
Et parce que la guerre démolit tant de choses, dès la destruction commencent déjà les plans de reconstruction, des bâtiments et de l’infrastructure, de la technique et des voies de commerce… tout cela répond à une logique, tout peut s’expliquer, et nous avons déjà vu et vécu tout cela tant de fois dans l’histoire. Et néanmoins, il semblerait que nous nous éloignions d’un ordre mondial stable plutôt que nous nous en rapprochions – car nous continuons à miser sur la croissance et le capitalisme prédateur. Nous ne pourrons atteindre un monde paisible, juste et vert que si nous considérons TOUTES les options, ce qui implique également l’option de ne pas croître sans limites et de ne pas vouloir sans cesse développer l’économie.
Pour finir, je voudrais quand même évoquer un aspect positif, une tendance positive… car un léger virage du discours ambiant s’est enfin amorcé au cours des dernières semaines : les amis de la paix ne sont plus attaqués sans cesse, impitoyablement, comme au début de la guerre et 60 % des Allemands ne veulent plus suivre la logique d’escalade militaire et s’opposent par ex. à la livraison d’avions de combat. Ce sont des petits pas, mais des pas très importants, précisément pour une conférence pour la Paix, car le débat va enfin devenir un tout petit peu plus objectif – espérons qu’il le reste – et ouvrira de nouveaux espaces. Espérons également qu’il y aura des espaces où prendre fait et cause pour les déserteurs sera possible, pour le droit de refuser de servir sous les armes. Exerçons ensemble, à ce sujet, une pression sur les responsables politiques pour que le droit à une procédure de demande d’asile soit garanti à tous les déserteurs.
Car personne ne doit être forcé de tuer d’autres êtres humains.
Espérons donc qu’à partir de maintenant, un véritable tournant s’annonce, et même un autre tournant (1), au cours duquel la priorité principale sera d’atteindre le plus rapidement possible la paix, au cours duquel tous les arguments seront écoutés et échangés, au cours duquel nous tiendrons compte des contextes mondiaux et agirons en conséquence.
Et si notre chancelier ne discutait pas uniquement avec les puissances occidentales, mais tentait une initiative de paix avec l’Inde ou la Chine, qu’en diriez-vous par ex. ? soit dit en passant…
La guerre est très bruyante, la MSC (2) de l’autre côté aussi, on entend jusqu’ici le bruit des bottes…
Et c’est pour cela qu’il est si important que cette conférence aussi soit bruyante, que vous soyez stimulés pour commencer à discuter tous ensemble et qu’à la suite de cet évènement, il en ressorte peut-être l’une ou l’autre initiative pour un monde plus paisible! À vous, à nous, je souhaite beaucoup de succès et pour cela de la ténacité et une endurance à toute épreuve, car nous en aurons besoin !
Thomas Lechner
Conseiller municipal de la fraction DIE LINKE./Die PARTEI
représentant le maire Dieter Reiter
Munich, 17.2.2023
(1) Allusion au terme employé par le chancelier Scholz, « Zeitenwende »
(2) MSC : Munich Security Conference (en allemand SIKO: Münchner Sicherheitskonferenz)
Traduit de l’allemand par Laurence Wuillemin, Munich