‘De nouvelles logiques pour de nouvelles générations’ par María Angélica Soler Carreras, un outil pour penser et construire un autre avenir

L’application de la triple vision impliquée par la Méthode Structurelle Dynamique (MSD) « résout des questions très profondes, des questions vraiment très profondes, et cela vaut la peine d’être étudié ». C’est – selon Soler Carreras – une méthode qui peut aider à comprendre le présent complexe dans lequel nous vivons et à construire un autre avenir.

María Angélica Soler Carreras (Argentine, 1947) a présenté son livre Nuevas lógicas para nuevas generaciones (Nouvelles logiques pour nouvelles générations) (2022) au Parque Toledo. Il s’agit d’une adaptation de la méthode structurelle dynamique (MSD) pour l’amener dans les écoles, ainsi que pour l’appliquer à notre vie quotidienne.  María Angélica est enseignante et conférencière. Depuis des années, elle se consacre à la diffusion de cette méthode, conçue par Mario Rodríguez Cobos (Silo), qui l’a introduite dans différents pays d’Europe, d’Amérique et d’Afrique.

Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec elle de manière plus approfondie dans cette interview, dont vous trouverez la transcription ci-dessous.

Vidéo : Álvaro Orús

Pour voir la vidéo ( 16′ 57′′ ) avec les sous-titres en français sur un ordinateur : 1. Cliquez sur l’icône Sous-titres (rectangle blanc en bas à droite de la fenêtre du lecteur vidéo).   2. Cliquez sur l’icône Paramètres (roue dentée en bas à droite), puis cliquez successivement sur Sous-titres, puis sur Traduire automatiquement.    3. Dans la fenêtre qui s’ouvre, faites défiler la liste des langues et cliquez sur Français.

TRANSCRIPTION

Vous êtes en train d’écrire le livre De nouvelles logiques pour de nouvelles générations. Quel est le but de ce livre ?

L’objectif est de fournir un outil simple, facile, un outil pour une nouvelle façon de penser. Nous voulons tous nous projeter dans l’avenir. Nous voulons tous nous adapter au changement, mais nous ne savons guère comment penser d’une nouvelle manière.  On peut voir les grands progrès, mais avec une vieille tête, avec des façons de penser qui ne sont plus valables ou, dans le pire des cas, avec une tête irrationnelle. Nous avons besoin de lignes directrices logiques et les nouvelles générations en ont aussi besoin.

Qu’apporte cette nouvelle méthode par rapport aux méthodes précédentes ?

Eh bien, il existe de nombreuses méthodes scientifiques, philosophiques, etc. Mais celle-ci a une particularité : elle peut être utilisée par des personnes de toutes cultures. Elle n’est pas basée sur des idéologies mais sur l’expérience de la pensée ; elle est donc basée sur une expérience qui peut être partagée par tout être humain et, de plus, en utilisant ses éléments de base, elle peut être utilisée au quotidien. Il existe des méthodes philosophiques, par exemple, qui sont très intéressantes mais qui nécessitent un type de réflexion et de processus très difficile à mettre en œuvre au quotidien. En revanche, cette méthode a l’avantage que vous pouvez la mettre en œuvre dans la vie quotidienne mais aussi, en suivant ses lignes directrices, vous pouvez faire une étude très profonde et sophistiquée.

Nous sommes habitués à penser en noir et blanc, bon/mauvais… tout est basé sur une forme binaire. À quoi correspond la méthode structurelle dynamique ?

Nous avons hérité du binaire des Grecs. C’était un grand progrès à l’époque, il faut le reconnaître, mais aujourd’hui nous le dépassons. C’est un outil, c’est un habit qui ne correspond plus à cette étape et la triple vision n’est pas nouvelle, elle est utilisée par des gens en science, même en sociologie, mais elle n’est pas utilisée de manière structurée.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Ça veut dire qu’on peut faire l’effort de se mettre à la place de l’autre, de comprendre la position de l’autre, de dépasser sa propre vision ou de ne pas voir l’autre comme un ennemi, en tout cas, mais on n’a aucun appui pour faire ça, c’est une tentative. Au contraire, grâce à cette méthode, on peut avoir la possibilité d’une triple pensée.

Simplement, si j’essaie d’étudier un problème, une situation ou quoi que ce soit d’autre, en regardant à l’intérieur (à ses composantes), dans ses relations et dans son histoire (dans son processus) … Cette triple vision est quelque chose qui peut être acquis au fur et à mesure qu’on l’utilise et qui est beaucoup plus complet que le simple « si je ne suis pas ton ami, je suis ton ennemi ».

C’est-à-dire qu’en ce moment, cela nous aiderait à rompre avec l’extrême polarisation que nous avons atteinte…

Absolument. La méthode permet la conjonction de visions opposées, l’enrichissement grâce à la diversité, mais tous ces désirs, qui s’expriment socialement dans différents domaines, peuvent être structurés ici, on peut leur donner – pour ainsi dire – un parapluie de pensée générale qui les couvre, qui peut les guider non seulement dans leurs démarches quotidiennes mais aussi dans la recherche.

Peut-on dire – même si c’est une simplification – qu’il s’agit d’un outil qui peut nous permettre d’analyser ou de modifier des situations ?

Sans aucun doute. Il nous permet de faire une analyse beaucoup plus profonde car, en plus de la triple vision, il a une autre composante qui est fondamentale : la dynamique. Nous avons hérité d’une façon binaire et statique de voir les choses, nous pouvons voir des photographies, mais nous ne voyons pas les transformations, et nous ne voyons pas non plus les transformations dans le temps. Donc, toute analyse où cette méthode est appliquée, même partiellement, est beaucoup plus profonde, et nous voilà avec l’autre composante…

Oui, pour résumer, quelles sont les composantes fondamentales de cette méthode ?

Dans ma synthèse particulière, ce sont : la triple vision, la dynamique et l’honnêteté. Qu’est-ce que j’entends par honnêteté ? La reconnaissance du propre point de vue de l’observateur, parce que certaines personnes donnent des opinions sans expliquer pourquoi elles les donnent, à partir de quel intérêt, ce qui les pousse à voir cette réalité de cette perspective particulière… et par contre la méthode que je présente est très honnête, elle vous oblige à présenter, à expliquer l’intérêt qui vous pousse, la perspective que vous avez choisie… vous pouvez dire « par rapport à cette situation, mon opinion est la suivante… ».

Pourriez-vous nous donner un exemple simple, comment pourriez-vous étudier un objet, un phénomène avec la Méthode Structurelle Dynamique MSD ?

Par exemple, cette tasse dans votre main peut être un objet utile, de ce point de vue, de cet intérêt… ou bien de son design.

La tasse en tant qu’objet utile n’est pas en conflit avec l’autre perspective, qui est celle du design. Je peux dire, du point de vue utilitaire : la poignée est merveilleuse, très confortable, elle a une capacité suffisante, elle contient la bonne quantité de café dont j’ai besoin, ni plus ni moins… mais, du point de vue esthétique : elle est minimaliste, elle a une couleur appropriée, elle exprime la modernité des dernières tendances… Les deux points de vue ou perspectives ne s’opposent pas. La méthode permet la simultanéité des opinions, la diversité des opinions ; c’est-à-dire que le point de vue utilisé par celui qui donne son avis est explicité ou clair.

Pourriez-vous également tenir compte du point de vue de la personne qui reçoit cet avis ?

Absolument, cela permet un travail d’équipe, parce que comprendre un objet à partir de différentes perspectives nous permet d’obtenir une vision plus grande, plus profonde et, en plus de cela, si nous le voyons de trois façons, pas seulement de l’intérieur, dans ses relations ou dans son histoire, nous obtiendrons une profondeur de pensée que nous n’avons pas pour le moment. Aujourd’hui, l’irrationalité est en hausse, n’importe qui peut donner une opinion sans aucun fondement. On peut être complètement dans l’erreur et c’est accepté. Le problème n’est donc pas l’irrationalité, mais de quel point de vue nous parlons… Si nous voulons penser logiquement, si nous voulons réaliser des avancées scientifiques et si nous voulons préparer les générations au monde à venir – un monde beaucoup plus complexe et beaucoup plus sophistiqué – nous ne pouvons pas leur donner des outils qui appartiennent encore à un monde qui est mort.

En d’autres termes, cette méthode est fondamentale pour la construction d’un autre avenir…

Effectivemment.

Parlons d’un sujet que vous avez abordé dans la présentation ici, au Parque Toledo, mais que vous avez rapidement passé sous silence : comment la Méthode Structurelle Dynamique MSD peut-elle aider à construire le nous, qui est une sorte d’intuition, mais que nous avons peu expérimenté ou qui est en construction ?

Oui, il est en construction, il appartient à la nouvelle sensibilité. L’espèce humaine, parce que nous sommes liés, même si nous ne réalisons pas ou n’apprécions pas ce contact, nous sommes tellement interdépendants les uns des autres que nous avons aussi besoin de moyens pour comprendre ce moment, ce processus, avec une nouvelle tête, le nous, la pensée collective, dans la possibilité d’une espèce qui prend conscience d’elle-même.

En tant que tel, en tant qu’espèce, pas en tant qu’individus...

Oui, certaines choses commencent à émerger. Nous voyons l’interdépendance que nous avons entre les continents grâce au COVID, mais c’est un peu tard. Nous sommes tous des êtres humains, qui ont vécu des circonstances difficiles.

Il s’agit de penser, d’embrasser la diversité, de voir les processus, de définir l’avenir… Nous ne parlons pas de devins, nous parlons de processus qui sont étudiés de manière rationnelle, de sorte que si vous connaissez les étapes d’un processus, vous pouvez en tirer des conclusions. Cela peut vraiment permettre une nouvelle façon de nous structurer, d’entrer en relation les uns avec les autres et d’avancer vers l’avenir, avec des projets cohérents que nous n’avions pas auparavant.

Ma perspective est limitée, je suis une enseignante. Donc, le domaine le plus favorable est celui de l’école, fondamentalement pour les enseignants eux-mêmes parce que, en ce moment, la charge qu’ils ont, la pression qu’ils subissent est énorme et ils peuvent difficilement remplir les objectifs qu’ils se sont fixés à l’occasion, qui étaient vraiment de fournir des connaissances, de fournir des possibilités, de fournir des recherches… Il y a beaucoup de façons de décrire cela, mais la vocation professionnelle existe et est dans le cœur de nombreux enseignants et professeurs. Ainsi, je vois que si l’enseignant peut mettre en œuvre cela en lui-même et peut redécouvrir sa réalité, mieux comprendre sa situation en utilisant ces quelques outils… nous parlons simplement de la triple vision, de la dynamique, de la reconnaissance de son propre intérêt… S’il commence à reconnaître que c’est utile pour lui-même, et qu’il transfère ces outils aux étudiants pour qu’ils puissent comprendre les processus dans les sciences, les sciences humaines, n’importe quelle matière… Pouvoir appliquer ces outils est merveilleux… Parce que les étudiants ont aussi l’impression de recevoir quelque chose qui n’est pas attendu ou voulu et qu’ils doivent parfois mémoriser, et cela leur donnerait la possibilité d’ouvrir leur tête à de nouvelles recherches.

Vous disiez avant que, pour un nouvel avenir, pour l’éducation des enfants qui naissent maintenant, des enfants qui sont adolescents, qui ont besoin d’une autre façon de penser… la méthode binaire n’est plus valable.

Le binaire ne fonctionne plus et c’est curieux parce qu’il y a beaucoup de pédagogues qui ont rendu cela possible depuis leur travail chez les nourrissons. Il y a beaucoup de pédagogues qui ont franchi les étapes. Mais là, il y a une sorte de parapluie, qui permet à cela de fructifier et d’avancer et, en fait, pour un lycéen qui peut s’ouvrir à l’investigation des choses, qui peut s’interroger sur ses propres intérêts… parce que beaucoup finissent le lycée sans savoir ce qu’ils ont voulu et simplement se demander ce que je sais faire, où j’ai eu les meilleures notes, est-ce que c’est une décision professionnelle… puis apprendre à regarder en soi, son potentiel, ses intérêts pour développer des activités et avoir pu le faire minimalement avec quelques exemples….

Nous avons parlé du rôle d’enseignant, mais vous avez également dit que l’enseignant peut commencer par lui-même et que c’est là qu’il en verra l’utilité. Est-ce vraiment si facile de l’appliquer à sa vie quotidienne ?

Ma grand-mère avait l’habitude de dire que la gale ne démange pas (rires). Je pense que s’il y a un besoin de penser d’une manière nouvelle, d’aborder les choses d’une manière différente, s’il y a une extrême fatigue des anciennes façons de résoudre les choses… Je pense que c’est une grande force motrice et cette force motrice existe en ce moment. C’est-à-dire que c’est une société qui se maintient dans son ensemble mais qui génère un vide tellement énorme chez les gens qu’ils posent des questions beaucoup plus existentielles, beaucoup plus profondes que celles qui étaient posées il y a des générations. Je crois que c’est le moteur. Ce n’est pas un sujet général ou utilisé ou connu, mais cela résout des questions très profondes, des questions très très profondes, et cela vaut la peine d’être étudié.

Traduction de l’espagnol, Evelyn Tischer