S’ils passent en jugement en Grèce, c’est parce qu’ils ont aidé des réfugiés : ce mardi 10 janvier 2023 a commencé à Lesbos un procès hautement controversé contre 24 sauveteurs en mer. Amnesty International demande aux autorités grecques de renoncer aux accusations.
Moritz Ettlinger
« Si je suis criminalisé rien que pour avoir distribué des bouteilles d’eau et un sourire, alors c’est que cela peut arriver à tout le monde. » Ces paroles, citées dans un rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International, sont de Seán Binder. L’Allemand de 24 ans est plongeur de sauvetage qualifié et au cours des dernières années, il a sauvé de nombreuses personnes de la noyade devant l’île de Lesbos. À présent, avec l’activiste syrienne Sarah Mardini et 22 autres accusés, il passe en jugement en Grèce.
Les accusations des autorités grecques dans le procès qui a débuté mardi 10 janvier portent sur l’espionnage et la contrefaçon ; dans le cadre d’une autre enquête, Binder et Mardini sont dans le collimateur des autorités pour présomption de trafic de migrants, d’appartenance à une organisation criminelle et de blanchiment d’argent. Au total, les deux sauveteurs en mer encourent un emprisonnement de plus de 20 ans en cas de condamnation.
« Rien que le fait que ce procès ait lieu est une mascarade », affirme Nils Muižnieks, directeur régional pour l’Europe d’Amnesty International. « Sarah et Seán ont fait ce que nous devrions tous faire à leur place. Aider des gens qui risquent de se noyer sur l’une des routes maritimes les plus meurtrières d’Europe et les assister sur la côte n’a rien d’un crime. Ce procès montre que les autorités grecques vont jusqu’au bout pour contrecarrer l’aide humanitaire et empêcher les migrants et les réfugiés de chercher un abri sur les côtes du pays. »
D’après Muižnieks, c’est le cas dans de nombreux pays européens. D’autres ONG l’ont confirmé récemment sur ORF.at, qu’il s’agisse de Sea Watch, SOS Humanity ou Médecins sans Frontières : la tendance à la criminalisation de l’action humanitaire aux portes de l’Union européenne s’intensifie.
Le cas de l’Italie le montre clairement. Selon un nouveau décret du gouvernement, lors d’une action de sauvetage, les organisations d’aide doivent dès le premier sauvetage mettre le cap sur le plus proche port assigné et ne doivent plus ni aider d’autres bateaux ni d’autres personnes. Les réfugiés sont de surcroît tenus par le gouvernement italien de préciser déjà sur le bateau de sauvetage dans quel pays de l’Union européenne ils veulent déposer une demande d’asile. Si les sauveteurs bénévoles enfreignent ces règles, le ou la capitaine encourent des amendes allant jusqu’à 50 000€ et la saisie de leur navire par les autorités.
Il s’agit donc dans ce procès, qui aurait déjà dû avoir lieu en novembre 2021 et qui, en raison de vices procédure, a été repoussé, non pas de faire le procès des accusés eux-mêmes, déclare Seán Binder à Amnesty International. « Les autorités grecques tentent davantage par ce procès de s’opposer à la compassion pour les autres et d’empêcher les gens de se mettre en sécurité. »
La frontière extérieure européenne passe pour être la plus meurtrière du monde. Rien qu’en 2022, selon l’Organisation internationale pour les Migrations, plus de 2 000 personnes sont mortes ou sont portées disparues en Méditerranée, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés parle de 1 940 personnes décédées et portées disparues. Ainsi, en 2022, une personne en moyenne est morte toutes les cinq heures en Méditerranée.
Traduit de l’allemand par Laurence Wuillemin, Munich