Depuis la crise du Corona, Klaus Schwab et le Forum économique mondial FEM se sont retrouvés au centre d’une multitude de théories du complot. La plupart de ces « nouvelles » sont tellement partiales, mal ou pas du tout accompagnées de sources fiables et pleines de vieux clichés (« ils viennent nous chercher », « tous les riches sont mauvais ») qu’elles se discréditent elles-mêmes. Mais malheureusement, la démocratie, notre santé et le cadre de vie de notre planète Terre sont effectivement sérieusement menacés. Même si les menaces ne viennent pas forcément de là où nous les attendons.

 

Le « Great Reset » et le totalitarisme contre la véritable révolution verte

Dixième partie de la série en dix épisodes « La lutte pour la reconquête de notre planète Terre ».

Le Forum économique mondial FEM – la tanière du lion ?

Il ne fait aucun doute que le Forum économique mondial FEM (World Economic Forum, WEF) est une plaque tournante des principaux représentants économiques de la chaîne alimentaire hypercapitaliste. Les réunions annuelles des délégués des entreprises et des gouvernements (ainsi que de quelques observateurs d’organisations non gouvernementales) inquiètent de nombreux militants sociaux et de la nature, et ce pour de nombreuses raisons raisonnables. Mais est-ce le lieu, comme le craignent les théories du complot actuelles, où les puissants planifient notre perte à tous en éliminant l’humanité (sauf eux-mêmes) pour régner sur un nouveau monde rempli de robots et d’intelligence artificielle ?

Ou ce cauchemar dystopique n’est-il que ce que le Forum économique mondial FEM veut faire croire à certaines personnes ? Car le FEM ne semble pas se soucier de diffuser des messages mitigés et contradictoires qui alimentent la paranoïa conspirationniste dans le monde entier. Les inquiétudes concernant les objectifs possibles du FEM sont sans aucun doute justifiées, car le réseau de robotisation et de surveillance de masse devient plus serré dans de nombreux pays. Face à cela, les gens et leurs gouvernements démocratiques doivent trouver des moyens de faire de l’avenir un lieu sûr et bienveillant pour tous les êtres humains et non humains.

Ces développements ne sont toutefois pas provoqués récemment par le FEM, mais se préparent depuis longtemps déjà, et ce par l’hypercapitalisme non réglementé lui-même. Un robot sera tout simplement moins cher qu’un ouvrier d’usine, un enseignant ou un soldat. L’argent règne en maître, telle est la devise depuis la disparition du capitalisme social dans les années 1980. De nombreux hommes politiques (surtout du centre à la gauche) s’inquiètent depuis des décennies des pertes d’emplois généralisées dues à la numérisation et à la robotisation. (Tous les politiciens ne sont pas « mauvais » !)

C’est ainsi que le revenu de base inconditionnel (RBI) est apparu comme un concept bien intentionné pour rattraper les millions de personnes dans leur chute libre sans emploi qu’entraînerait une numérisation à grande échelle. Mais la plupart des théories du complot dénoncent désormais le RBI comme une simple astuce visant à « déposséder » les gens de leur pouvoir et à les contraindre à se placer sous l’aile d’un « gouvernement mondial ». Si l’on apprend ne serait-ce qu’un peu l’histoire du RBI (1), il devient clair qu’il s’agit d’un concept qui pourrait réellement profiter aux gens, et non à une quelconque élite. Qui profite donc le plus des rumeurs visant à déconstruire le RBI, si ce ne sont pas ces mêmes élites ?

Une chose est sûre. Le Forum économique mondial FEM et sa réunion régulière des élites du pouvoir mondial à Davos est une tentative annuelle de donner l’impression que les entreprises mondiales les plus puissantes et les fondamentalistes du marché cherchent « une meilleure forme de capitalisme » pour résoudre les nombreuses crises, alors que ce sont eux qui ont créé ces crises et les ont systématiquement aggravées. Les patrons de ces entreprises savent que le fait de redorer leur image (verte et humanitaire) réduit le risque de voir les gouvernements agir, réguler le pouvoir des entreprises et réduire les exonérations fiscales.

« Le grand reset » (la grande réinitialisation)

« The Great Reset » est le titre d’un livre de Klaus Schwab, mais aussi du programme de conférence 2020 du Forum économique mondial FEM. Comme chaque année, le programme contenait quelques bonnes choses dont on ne peut pas s’attendre à ce qu’elles soient mises en œuvre, et quelques mauvaises choses (comme plus d’automatisation, plus de surveillance de masse et des instruments de surveillance biométrique) qui sont de toute façon en route. Mais « The Great Reset » a pris une grande importance dans les théories du complot mondiales autour de la crise du Covid-19. Il est affirmé que le virus est soit un canular, soit qu’il a été délibérément libéré afin de créer une « pandémie ». Des vaccins nocifs seraient alors prescrits pour s’y opposer et serviraient de « cheval de Troie » soit pour exterminer massivement la population mondiale (génocide), soit (via des implants de micropuces cachés) pour jeter les bases de la robotisation de l’homme (transhumanisme). La présence de Big Pharma à Davos et les liens réels du FEM avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et, plus récemment, avec l’ONU, offrent un terrain fertile à de telles idées.

Comme le résume Naomi Klein, selon les théories du complot, le Great Reset transforme soi-disant le monde « en une dictature high-tech qui vous prive à jamais de votre liberté : une dictature verte / socialiste / Venezuela / Soros / de vaccination obligatoire si les révélations sur le reset viennent de l’extrême droite, et une dictature Big Pharma / OGM / implants biométriques / 5G / chiens robots / de vaccination obligatoire si les révélations viennent de l’extrême gauche ». (2) Une variante de gauche, qui circule surtout en Europe, est un gouvernement mondial par des capitalistes juifs (si vous pensiez que l’antisémitisme était plutôt un thème de droite, veuillez lire la partie 7).

On ne peut pas nier que la numérisation et le transhumanisme se développent massivement et que la surveillance de masse n’est plus une musique d’avenir. Ces évolutions sont réelles parce qu’elles sont simplement les résultats du développement de longue date de l’hyper-capitalisme non régulé et du progrès technique. Il n’y a pas besoin d’une « plandémie » pour les mettre en place – même si la crise de Corona a clairement accéléré ce processus.

Lorsque les marchés « libres » règnent (voir la partie 6 sur le libertarisme fondamentaliste du marché), les profits qu’ils génèrent ont bien entendu la priorité sur l’homme et la nature. C’est l’essence même, hostile à la vie, de notre culture matérialiste dévoyée. Il y a beaucoup à faire pour empêcher l’humanité de perdre son éthique et sa conscience (ou plutôt [pour] les retrouver). Et un changement systémique est nécessaire, car beaucoup trop d’êtres humains (et pratiquement tous les êtres vivants non humains) sont déjà privés depuis longtemps de leur dignité, d’une bonne nourriture et d’un bon foyer.

Le Grand Redémarrage du Forum économique mondial FEM promet d’aborder tous ces problèmes de manière « verte » et humanitaire. Mais peut-on s’y fier ? Au FEM en particulier, l’élitisme est plus prononcé qu’ailleurs. Jetons un coup d’œil sur le bilan du FEM :

Le FEM vu avec sobriété

La publication la plus influente du Forum économique mondial FEM est l’indice annuel de compétitivité mondiale qui, depuis les années 1970, « pousse les gouvernements nationaux à une course vers le bas pour adopter des impôts plus faibles et moins de réglementations », comme le faisait remarquer The Guardian en décembre 2020. (3)

Dans un travail scientifique de l’Université de New York (novembre 2021), Michael Rectenwald constate :

« Le Great Reset augmente énormément le corporatisme ou le fascisme économique ». Sa « tendance corporatiste-socialiste va dans le sens d’une économie à deux classes, avec les monopoles et l’État au sommet et le ‘socialisme réellement existant’ pour la majorité en dessous ». (La fameuse phrase de Klaus Schwab « Vous ne posséderez rien ») Toutefois, ce type de gouvernement favoriserait les entreprises dans le cadre de « partenariats public-privé », leur donnerait le contrôle de la gouvernance, et comme « les entreprises sont déléguées en tant que compléments importants des gouvernements et des organes intergouvernementaux », elles pourraient agir librement « sans l’obligation de rendre des comptes à des électeurs gênants ». (4)

Le défunt historien et chercheur de l’Institut Hoover, Anthony C. Sutton, décrit les racines historiques du socialisme d’entreprise : « Le vieux John D. Rockefeller et ses collègues capitalistes du XIXe siècle étaient convaincus d’une vérité absolue : qu’il est impossible d’accumuler une grande richesse monétaire sous les règles impartiales d’une société de laissez-faire compétitive. Le seul moyen sûr d’obtenir une grande richesse était le monopole : évincez vos concurrents, limitez la concurrence, éliminez le laissez-faire et, surtout, assurez-vous la protection de l’État pour votre secteur grâce à des politiciens complaisants et à une réglementation publique. Cette dernière voie mène à un monopole légal, et un monopole légal mène toujours à la richesse ». (c’est moi qui souligne)

Sutton fait remarquer que « schéma de baron prédateur est aussi (…) le plan socialiste ». C’est difficile à imaginer pour la plupart d’entre nous, terriens « normaux », mais c’est là que l’hypercapitalisme et le socialisme/communisme se rencontrent. La différence entre un monopole d’État corporatif et un monopole d’État socialiste ne réside essentiellement que dans l’identité du groupe qui contrôle la structure du pouvoir. S’agit-il d’hommes politiques qui participent également aux réunions du conseil d’administration des compagnies ou de membres du conseil d’administration qui ont une grande influence sur/dans la politique ? Au cours des dernières décennies, ces frontières se sont de toute façon estompées depuis longtemps.

Exemple récent : le Premier ministre britannique temporaire Liz Truss dont le plafonnement du prix de l’énergie pour les ménages devait coûter au contribuable britannique 130 milliards de livres sterling au cours des deux prochaines années, alors que les géants britanniques de l’énergie devraient réaliser 170 milliards de livres de bénéfices au cours de la même période. (5) Travaille-t-elle pour les besoins du public ou pour la cupidité des entreprises ?

Remarque marginale, pas seulement pour les lecteurs britanniques : En 2019, Truss, en tant que ministre du Commerce, a embauché le chef de la communication de l’IEA (Institute of Economic Affairs) comme son conseiller médiatique. L’IEA est un think tank (institut d’étude, groupe de réflexion) libertarien d’extrême droite qui nie le changement climatique et promeut l’abolition du service national de santé (NHS). Il est notamment financé par Exxon et BP. (6) C’est également le cas de Liz Truss, pour qui le donateur le plus important pour sa campagne électorale était la femme d’un ancien cadre de BP. De plus, la carrière professionnelle de Truss a commencé chez Shell Oil.

Et comme le rapporte desmog : « Lors d’un voyage aux États-Unis en 2018, alors qu’elle était secrétaire en chef du département du Trésor, Truss a rencontré plusieurs think tanks et groupes de pression libertaires financés par Koch, groupes qui nient depuis longtemps la science du climat ». (7) Il s’agissait notamment du Cato Institute, de l’American Enterprise Institute et de la Heritage Foundation (c’est-à-dire les bastions de l’extrême droite corporatiste, voir partie 7).

D’autre part, le modèle économique promu par le Forum économique mondial FEM est le « capitalisme communiste », bien que Schwab & Co. préfèrent le terme plus opaque de « capitalisme des parties prenantes ».

Schwab et Malleret, son coauteur de “The Great Reset », opposent leur « capitalisme des parties prenantes » au « néolibéralisme », également connu sous le nom de marché libre. Ils décrivent le néolibéralisme comme « privilégiant la concurrence par rapport à la solidarité, la destruction créatrice par rapport à l’intervention de l’État et la croissance économique par rapport au bien-être social ». C’est vrai : Les « barons du pétrole libertaires » d’extrême droite, réunis autour des frères Koch, proposent en effet de « supprimer l’État » (plus d’informations dans la partie 6).

Pour reprendre les termes de Rectenwald : « Le capitalisme des parties prenantes s’oppose donc au système de l’économie de marché libre. Il implique non seulement la collaboration des entreprises avec l’État et les ONG (organisations non gouvernementales), […] mais aussi une intervention fortement croissante de l’État dans l’économie. Schwab et Malleret prônent « le retour du ‘grand’ État [Big Government] ».

Où en sommes-nous en tant que profanes ordinaires et en tant que personnes soucieuses du bien-être de la planète ? Jusqu’à présent, le néolibéralisme et le mondialisme ont été les principaux moteurs de la destruction de la nature, et la droite « libertaire » veut presser la Terre jusqu’au dernier dollar, en contournant autant de réglementations gouvernementales que possible. Cette voie n’est praticable que pendant une dizaine d’années, car l’intégrité des systèmes de survie de la Terre est déjà brisée et nous sommes de plus en plus en chute libre écologique.

Schwab et le FEM – contrairement aux théories du complot courantes – vont-ils donc peut-être sauver l’humanité en s’opposant au suicide collectif de la droite libérale ? Le FEM représente-t-il la partie du monde de l’entreprise qui pourrait effectivement revenir à la raison et tenter de mettre fin à la grande destruction en faisant travailler ses entreprises avec les gouvernements et les peuples qu’elles représentent ? Les écosystèmes, les grenouilles, les oiseaux, les poissons, les insectes, les arbres, les animaux et les simples êtres humains sont-ils également réellement considérés comme des « parties prenantes » ayant le droit de s’exprimer dans le « capitalisme des parties prenantes » de Schwab ?

La réponse à toutes ces questions est non. Les politologues décrivent le « capitalisme communiste » comme le pire des deux mondes, car, selon les mots du philosophe italien Giorgio Agamben, il « combine les aspects les plus inhumains du capitalisme avec les aspects les plus cruels du communisme d’État, en associant l’aliénation extrême des relations entre les individus à un contrôle social sans précédent ». (8)

Pour Rectenwald, The Great Reset « n’est pas une théorie du complot, mais un projet ouvert, déclaré et planifié, qui est déjà en cours. Mais parce que le capitalisme aux caractéristiques chinoises ou le statisme corporatiste manquent de marchés libres et dépendent de l’absence de libre arbitre et de liberté individuelle, ils sont ironiquement « non durables ». (…) Comme les précédentes tentatives de totalitarisme, le Great Reset est voué à l’échec ».

Peut-être devrions-nous nous souvenir d’Albert Einstein, qui aurait dit un jour : « Le monde que nous avons créé est le produit de notre pensée ; il ne peut pas être changé sans changer notre pensée ». Le problème avec les deux systèmes – le capitalisme « libertaire » et le capitalisme « stakeholder » – est qu’ils sont tous deux totalement anthropocentriques. Aucun d’eux ne valorise la vie. Aucun d’entre eux ne valorise une autre espèce que l’homme. Aucun d’entre eux ne valorise aucun être humain autre que l’élite, le 0,01% ultra-riche (majoritairement blanc et masculin).

Aucun avenir vivant ne peut naître de cette idéologie profondément égoïste. Au contraire, elle est le dernier rempart d’un vieux paradigme de dinosaures dont l’arrogance et la soif de domination nous ont poussés au bord du gouffre écologique.

Et les dinosaures adorent les combustibles fossiles…

Retour aux barons du pétrole

Alors que nous discutons des formes de capitalisme, la Terre continue d’être pillée. Les entreprises minières et l’industrie fossile continuent de piller et de vendre toutes les ressources naturelles de notre planète vivante, tandis que le public s’inquiète des virus, de la guerre en Ukraine et des communiqués de presse du Forum économique mondial FEM. Que Dieu bénisse la reine ! Toutes les distractions sont les bienvenues, car elles ne menacent pas le statu quo.

L’extrême droite qui se cache derrière les combustibles fossiles trompe souvent les deux camps (plus d’informations à ce sujet dans la septième partie), car elle a beaucoup à gagner d’une scène diversifiée de théories du complot. Partout où il y a de la méfiance envers les gouvernements, cela aide le fondamentalisme de marché libertaire qui veut « abolir tout gouvernement« . L’extrême droite gagne également si l’attention est détournée de ce que nous devrions faire, par exemple mettre fin à l’injustice sociale et à la contamination de l’écosphère.

Prenons par exemple le Green New Deal (le nouvel accord vert) (GND). Il se base sur une éthique du pollueur-payeur et sur des programmes tels que la garantie de l’emploi et la couverture sanitaire universelle, ce qui bénéficie d’un large soutien au sein de la classe ouvrière. Et aussi, il vise à restaurer l’écosphère. C’est l’exact opposé de la philosophie de Davos, qui veut simplement trouver des moyens moins évidents de voler les pauvres et de fortifier les riches. Le Green New Deal exige la régulation nécessaire du capitalisme et des marchés « libres » afin de les empêcher de détruire la planète sur laquelle nous vivons. Il s’agit pourtant d’une menace fondamentale pour le 1 % de la droite libérale.

Comme le souligne Naomi Klein, la véritable raison du déni du changement climatique n’est pas que les conservateurs et le front fossile nient les faits scientifiques, mais qu’ils s’opposent aux conséquences réelles de ces faits, qui risquent de mettre en péril leurs actifs, leurs profits et leurs réductions d’impôts. (p. 92, c’est moi qui souligne).

C’est pourquoi ce sont surtout les think tanks de l’extrême droite qui développent des théories du complot dans lesquelles les effets d’éventuelles mesures de protection du climat, de la nature et de la société sont présentés comme la fin du monde. Ce qu’ils sont aussi : la fin de leur monde. Ces récits assimilent le Green New Deal au « grand reset ». Cela permet à plus d’une personne de droite d’affirmer que le New Deal (nouvel accord) vert, tout comme les promesses de Biden, de Trudeau (9) ou de Boris Johnson « Build Back Better » (reconstruisez mieux), ne sont rien d’autre que des versions ou des éléments constitutifs de « The Great Reset »; et de les dénoncer en conséquence. (10)

Un autre cas important est celui du plan « Build Back Better » du président Biden. Le projet de loi initial a été adopté en janvier 2021 en tant que paquet de réconciliation démocrate de 3,5 billions de dollars, qui comprenait des dispositions relatives à la crise climatique et à la politique sociale.

Le projet de loi visait à rendre les services de garde d’enfants abordables pour des millions d’Américains, à créer une école maternelle universelle, à offrir deux années de collège communautaire gratuites et à étendre Medicare (notamment les aides dentaires et optiques pour les personnes âgées). Il comprenait également une meilleure protection du travail, une chance équitable pour les travailleurs d’adhérer à des syndicats et de s’organiser, ainsi qu’un congé familial annuel payé.

Dans le domaine de la protection de la nature, la loi de Biden aurait abrogé celle de Donald Trump de 2017 sur l’ouverture de l’Arctic National Wildlife Refuge (Refuge national de la faune en Arctique) aux forages et aurait également interdit les forages offshore (au large) tant dans l’Atlantique que dans le Pacifique et dans l’est du Golfe du Mexique. Le projet de Biden comprenait les objectifs de parvenir à un « secteur énergétique sans pollution par le carbone » d’ici 2035, d’établir une norme pour l’électricité propre et de subventionner les panneaux solaires et l’isolation des maisons. En bref, des mesures utiles dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.

Mais en octobre 2021, le projet a échoué au Sénat – malgré un fort soutien de la population américaine. (11) Il n’a manqué que deux voix au projet « Build Back Better » de Biden ; deux sénateurs démocrates corporatifs ont fait pencher la balance : Joe Manchin et Kyrsten Sinema (12) – tous deux ayant des liens étroits avec Big Oil. (13) Manchin en particulier est proche des lobbyistes d’Exxon et a investi plus d’argent dans les combustibles fossiles que tout autre sénateur américain. (14, 15).

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Canal 4 britannique : « Revealed : ExxonMobil’s lobbying war on climate change legislation » (Révélé : la guerre de lobbying d’ExxonMobil contre la législation sur le changement climatique).

Un lobbyiste d’Exxon, filmé dans une vidéo d’infiltration de Greenpeace, décrit les efforts de l’entreprise pour saper les propositions du président Biden en matière de climat et d’infrastructures (« Build Back Better »). Joe Manchin est mentionné à 2:55.

Une fois de plus, les politiciens influencés par les barons du pétrole de la droite libérale ont rejeté toute forme de programme d’aide sociale pour les pauvres, tout en réclamant de nouvelles réductions d’impôts pour les riches. Dans l’ensemble, « Build Back Better » de Biden semble être une tentative équitable de rendre aux gens et à la planète les billions de dollars que l’administration Trump leur a retirés en réduisant les impôts des super-riches. (16) Mais les théories du complot retournent à 180° la compréhension du paquet législatif Build Back Better et le présentent comme une tentative de l’élite riche de créer un gouvernement mondial pour soumettre les pauvres. Mais comme je le montre ailleurs (partie 7), les groupes de réflexion des milliardaires fossiles d’extrême droite sont très habiles à répandre des rumeurs et des nouvelles forgées à la fois logiques et outrageusement stupides pour semer le doute et la confusion (voir partie 1).

Le Forum économique mondial est la scène de spectacle de l’élite mondiale des entreprises. Ce qui s’y passe est ce que nous DEVRONS voir. Alors qu’ailleurs, lors des réunions vraiment exclusives et purement réservées à l’élite des frères Koch, les véritables décisions sont prises à huis clos, sans qu’il en soit fait état et sans que cela soit documenté. Les programmes annuels de Davos donnent du grain à moudre à la fois à la résistance ultra-conservatrice et à la rébellion de gauche. Et l’alarmisme provoqué par le Great Reset est une brillante stratégie pour continuer à dénoncer et à retarder les mesures de protection du climat et autres mesures de protection de la planète. C’est pourquoi la première voix à s’élever contre le Great Reset a été, une fois de plus, celle de l’institut d’extrême droite Heartland. (17)

L’élite fossile mondiale ne craint rien de plus que la perspective de devoir mettre au rebut ses installations de combustibles fossiles (mines, puits, pétroliers, raffineries, pipelines) d’une valeur de milliers de milliards de dollars et de perdre les bénéfices annuels qu’elles ont générés jusqu’à présent. Et ces bénéfices dépendent de la volonté des consommateurs de payer pour les produits fossiles.

Ce que le réseau de désinformation de droite parvient toujours à faire, c’est que toute tentative de changement systémique fondamental se heurte à une large résistance, et ce des deux extrémités du spectre politique. « The Great Reset » fournit une base à l’affirmation selon laquelle toute démarche de changement n’est qu’un prétexte à la prise de pouvoir par une « élite mondiale« . Ou, pour reprendre les mots de Naomi Klein : « Cela rend plus difficile de parler de la réorientation profonde dont nos économies et nos sociétés ont désespérément besoin, (…) parce que désormais toute conversation sur la façon dont nous pouvons nous transformer pour le mieux en réponse aux atrocités révélées par Covid-19 est immédiatement dénoncée comme faisant partie du Great Reset. (…) Pendant ce temps, les manœuvres moins fantastiques mais extrêmement réelles (…) qui sont actuellement en guerre contre les écoles publiques, les hôpitaux, les petits agriculteurs, la protection de la nature, les libertés civiles et les droits des travailleurs ne reçoivent qu’une fraction de l’attention qu’elles méritent ». (2)

Et si, au lieu de poster des conspirations non prouvées, nous passions notre temps à nous battre pour les biens communs de notre voisinage, de notre région ? Reprendre possession de l’eau, du sol, de l’air, des écoles et des hôpitaux et protéger notre planète natale vivante et tous ses habitants ?

Le grand tournant

En 2009, la grande dame de l’écologie profonde (N.d.T. : L’écologie profonde est une philosophie de l’environnement qui promeut la valeur inhérente de tous les êtres vivants), Joanna Macy, a publié un article (18) intitulé « The Great Turning » (le grand tournant), dans lequel elle décrit la nécessaire « transition d’une société industrielle de croissance vers une civilisation de maintien de la vie ».

Elle a proposé une feuille de route pour que l’humanité dépasse ce stade d’une économie extractive autodestructrice qui « fixe ses objectifs et mesure ses performances à l’aune des bénéfices toujours plus élevés des entreprises – en d’autres termes, à la vitesse à laquelle les matériaux peuvent être extraits de la terre et transformés en biens de consommation, en armes et en déchets ».

La description par Macy de la force, de la diversité et de l’accélération des contre-mouvements en faveur d’un avenir durable et écocentrique donne confiance et espoir. Elle recommande toutefois de comprendre comment fonctionne le système actuel, car alors « nous serons moins tentés de diaboliser les politiciens et les chefs d’entreprise qui en dépendent. Et malgré toute la puissance apparente de la société de croissance industrielle, nous pouvons aussi reconnaître sa fragilité – à quel point elle dépend de notre obéissance et comment elle est condamnée à se dévorer elle-même ».

Pour voir la vidéo ( 1′ 55′′ ) avec les sous-titres en français sur un ordinateur : 1. Cliquez sur l’icône Sous-titres (rectangle blanc en bas à droite de la fenêtre du lecteur vidéo).   2. Cliquez sur l’icône Paramètres (roue dentée en bas à droite), puis cliquez successivement sur Sous-titres, puis sur Traduire automatiquement.   3. Dans la fenêtre qui s’ouvre, faites défiler la liste des langues et cliquez sur Français.

Bande-annonce du documentaire The Great Turning, avec Joanna Macy

Macy constate que la force du récit néolibéral de la croissance sans fin et du consumérisme s’affaiblit de plus en plus depuis des années et perd son pouvoir enchanteur. « Qu’il soit reconnu ou non par les médias contrôlés par les entreprises, le Grand Tournant est une réalité ».

Selon Macy, l’envie d’un monde réellement durable n’a cessé de croître depuis 2009 et a atteint son apogée avec le mouvement mondial de la jeunesse pour la protection du climat en 2019, avant d’être réduite au silence par les lockdowns (confinements) de Corona de 2020 et 2021. Mais l’esprit est vivant, et de plus en plus de gens commencent à réaliser que l’humanité est arrivée au bout d’une course destructrice.

C’est de ces contextes que découlent les racines authentiques de l’exigence d’un changement systémique fondamental dans les sociétés industrielles. Il s’agit de combler le fossé toujours plus grand entre les riches et les pauvres en instaurant l’équité à tous les niveaux. Il s’agit de sauver des vies, de préserver l’écosphère et d’assurer un avenir digne d’être vécu pour toutes les générations à venir. Il s’agit de remettre l’humanité en phase avec la capacité de charge de la planète liée à la nature.

Mais quelle meilleure façon de démonter la compréhension publique de la nécessité d’un grand tournant que de le transformer en « The Great Reset« , la version du Forum économique mondial FEM du capitalisme de surveillance. Et un déluge de théories du complot sur « The Great Reset » alimente la peur de tout changement et nous éloigne encore plus du chemin. En réalité, seuls les 0,01 % doivent craindre le changement nécessaire.

Tout au long du mouvement moderne de protection de la nature, le monde de l’entreprise s’est emparé de termes du dictionnaire écologique et les a dilués afin d’affaiblir le mouvement. Par exemple, « durabilité » et « écosystème » étaient à l’origine des termes purement écologiques, mais ils ont depuis longtemps été généralisés pour signifier tout et rien (diriger une entreprise qui écrase des écosystèmes entiers avec des bulldozers et détruit des réserves naturelles nationales à l’aide de subventions publiques peut désormais être qualifié de « durable » dans « l’écosystème » des marchés financiers). La liste des termes détournés est longue (voir mon livre « Il n’y a qu’une Terre  »).

C’est ainsi que le « grand tournant » de l’écologiste profonde Joanna Macy a également été déformé en « Great Reset » dystopique du FEM.

Klaus Schwab et Bill Gates ont raison sur un point : nous vivons – d’une manière ou d’une autre – une période de changement intense. Mais la direction de ce changement ne devrait pas être déterminée uniquement par quelques personnes occupant des positions de pouvoir douteuses.

Le changement est entre nos mains à tous – Si nous commençons à prendre nos responsabilités. Pour redéfinir notre propre point de vue de manière réaliste, je vous propose de considérer la crise écologique mondiale dans laquelle nous sommes tous plongés. Notre empreinte écologique destructrice et ses conséquences émergentes désormais évidentes constituent un fait qui devrait mettre fin à toutes nos différences, à tous les dogmes et à toutes les idéologies. Nous devons vivre nos vies avec une conscience pure, dans la dignité et avec compassion et empathie pour tous les êtres sensibles.

C’est la lutte pour la reconquête de notre planète. Rien de moins.

 

Titres de la série « La lutte pour la reconquête de notre planète Terre » (10 parties) :

Voir les articles publiés ICI

Partie 1 : Les stratégies stupéfiantes de l’industrie des combustibles fossiles (1 de 2)

Partie 2 : Les stratégies stupéfiantes de l’industrie des combustibles fossiles (2 de 2)

Partie 3 : Le dangereux leurre du « zéro net d’ici 2050 ».

Partie 4 : Pétrole sale : il ne s’agit pas seulement de carbone, bon sang !

Partie 5 : Les géants du fossile, le libre-échange et la guerre

Partie 6 : comment le réseau d’extrême droite (et pas seulement lui) domine le débat sur le climat.

Partie 7 : L’ampleur choquante du réseau d’influence d’extrême droite

Partie 8 : Crise climatique, Corona et théories du complot

Partie 9 : Comment les théories du complot ne servent qu’un seul maître

Partie 10 : Le « Great Reset » (la grande réforme) et le totalitarisme contre la véritable révolution verte

 

Sources

Naomi Klein 2019. On Fire: The Burning Case for a Green New Deal. (La polémique brûlante pour un nouvel accord vert). Penguin Random House UK.

Deutsch : Warum nur ein Green New Deal unseren Planeten retten kann. (Pourquoi seul un nouvel accord vert peut sauver notre planète) Hoffman und Campe, Hamburg.

 

1 https://www.nationalgeographic.co.uk/history-and-civilisation/2020/05/universal-basic-income-is-gathering-support-has-it-ever-worked-and

2 https://theintercept.com/2020/12/08/great-reset-conspiracy/

3 https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/dec/04/great-reset-capitalism-became-anti-lockdown-conspiracy

4 https://www.researchgate.net/publication/356415704_What_Is_the_Great_Reset

5 https://www.reuters.com/business/energy/uk-gas-electricity-industry-may-make-170-bln-pounds-excess-profits-bbg-2022-08-30/

6 https://www.desmog.com/2022/09/05/analysis-new-uk-prime-minister-liz-trusss-links-to-climate-science-denial/

7 https://www.desmog.com/liz-truss

8 https://illwill.com/communist-capitalism

9 http://mrteche.com/uncategorized/ny-times-denies-great-reset/

10 https://theduran.com/true-leadership-alberta-premier-jason-kenney-rejects-the-great-reset/

11 https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/jun/15/democrats-risk-a-crushing-defeat-this-year-they-must-change-course-now

12 https://grist.org/politics/exxon-lobbyists-paid-the-6-democrats-named-in-sting-video-nearly-333000/

13 https://www.npr.org/2021/07/01/1012138741/exxon-lobbyist-caught-on-video-talks-about-undermining-bidens-climate-push

14 https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/jul/20/joe-manchin-big-oil-democratic-senator

15 https://www.nytimes.com/2022/03/27/climate/manchin-coal-climate-conflicts.html

16 https://www.theguardian.com/business/2019/oct/09/trump-tax-cuts-helped-billionaires-pay-less

17 https://thehill.com/opinion/energy-environment/504499-introducing-the-great-reset-world-leaders-radical-plan-to

18 https://www.ecoliteracy.org/article/great-turning

 

Fred Hageneder est l’auteur du livre Nur die eine Erde – Globaler Zusammenbruch oder globale Heilung – unsere Wahl (« Il n’y a qu’une Terre – Effondrement mondial ou guérison mondiale – c’est à nous de choisir »). https://www.johnhuntpublishing.com/moon-books/our-books/earth-spirit-healthy-planet

 

Traduit de l’anglais et de l’allemand par Evelyn Tischer