Né à Marioupol, en Ukraine, Anton Uvarov a débarqué à Montréal en 1993 en compagnie de ses parents. Il était alors âgé de 13 ans. Depuis le début de la guerre dans son pays natal, l’homme, qui a désormais la jeune quarantaine, s’est donné comme mission d’aider certains de ses compatriotes à trouver refuge au Québec. C’est ainsi qu’il a réussi à mobiliser des communautés entières pour faire venir plusieurs familles ukrainiennes et, par la suite, leur donner la chance de commencer une nouvelle vie dans un coin du monde habité par la paix.
Tout a commencé le 22 février 2022.
« J’écoutais une allocution de Vladimir Poutine à la télévision et j’ai su tout de suite que la guerre allait commencer, confie-t-il. Deux jours plus tard, la Russie envahissait l’Ukraine. »
Reprenant contact, grâce aux réseaux sociaux, avec une ancienne connaissance se trouvant en Biélorussie, il lui proposera d’organiser avec lui l’évacuation de personnes de Marioupol, ville qui, comme on le sait, sera encerclée le 7 mars 2022 et qui sera presque entièrement détruite par la suite.
Toujours en mars, il décide de prendre un congé de travail pour se rendre en France où il restera un mois et demi chez des amis.
« Je savais que les réfugiés ukrainiens arrivant dans ce pays allaient avoir besoin d’aide de personnes parlant leur langue, raconte-t-il. J’ai pu aider des enfants et des jeunes qui avaient besoin que soient traduits leurs documents scolaires. »
De retour à Montréal, de concert avec d’autres, il organisera un convoi de trois véhicules, lesquels seront conduits par des bénévoles russes s’opposant à la guerre. Au péril de leur vie, ces derniers entreront à Marioupol en plein milieu des combats et réussiront à faire sortir de la ville 19 personnes, surtout des femmes et des enfants, mais aussi quelques hommes.
Cruelle ironie, comme bien d’autres réfugiés ukrainiens, ils devront passer par la Russie pour fuir la guerre que celle-ci mène contre son pays.
À Rostov-sur-Don, une ville russe située à 180 kilomètres de Marioupol, le groupe se scindera en deux, une partie se rendant en Biélorussie, l’autre en Pologne. Puis ce sera, pour certains d’entre eux, la France et pour d’autres, la République tchèque, avant que soient enfin entamées les démarches pour entrer au Canada.
Les demandes de visas pour le Canada sont complexes, le bureau de l’immigration étant débordé comme jamais, sans compter que certains demandeurs d’asile ont perdu leur passeport.
« Le bureau de la députée Pascale Saint-Onge nous a beaucoup aidés avec toutes ces démarches, évoque Anton Uvarov. De son côté, l’Exode*, où je travaille, a accepté d’être fiduciaire du projet, ce qui nous a permis de collecter des fonds auprès de la collectivité afin d’aider les familles à acheter les billets d’avion – très chers à ce moment-là – et à s’installer une fois arrivés. La générosité et la solidarité de la communauté ont été impressionnantes. Les gens d’ici étaient prêts à aider et ça prenait juste une personne pour coordonner tout ça. Trouver des logements pour ces familles a été une tâche énorme! Mais la quantité de bénévoles qui se sont impliqués et qui continuent à les aider est impressionnante. »
Plusieurs familles sont présentement logées au presbytère attenant à l’église anglicane de Dunham, une autre famille est à Bedford et une autre, à Montréal. Certains, parmi ces réfugiés, ont dû rester cachés un mois dans un sous-sol de Marioupol, sans nourriture, tandis que d’autres ont raconté avoir survécu miraculeusement au bombardement qui a détruit leur appartement quelques minutes à peine après qu’ils se soient réfugiés dans un abri sécurisé. Avec eux, un chat que, parce que c’était un survivant lui aussi et qu’il avait été un point d’attache au pays, on a tenu à amener avec soi.
En plus des traumatismes qu’ils ont vécus, ces réfugiés, qui ne parlent ni le français ni l’anglais, doivent relever l’immense défi de s’intégrer à leur nouvelle société et de gagner leur pain rapidement. Bien que le gouvernement leur ait accordé un visa spécial et une aide financière ponctuelle, il leur reste beaucoup d’obstacles à affronter.
Du fait qu’ils habitent à la campagne, ils n’ont pas facilement accès à la francisation. Ihor, un enfant de deux ans, n’a pas non plus la possibilité de fréquenter une garderie subventionnée. En conséquence de quoi, sa mère ne peut, pour l’instant, ni étudier ni travailler.
Pour sa part, Anton Uvarov continue de consacrer beaucoup de temps à ces familles. Il leur rend visite plusieurs fois par semaine et s’assure qu’elles ne manquent de rien. Souvent, il leur apporte des aliments et des plats correspondant à leurs habitudes alimentaires et qu’il se procure dans une épicerie spécialisée de Montréal.
En plus d’aider ces familles, il offre également son soutien et son expertise – par téléphone et par internet – à des Ukrainiens se trouvant toujours dans leur pays et qui, dans un contexte de guerre, souffrent de stress post-traumatique.
« Je fais mon possible pour les accompagner, explique-t-il ; on dit que celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. » Il me raconte qu’il garde encore des souvenirs pénibles de l’époque où il est arrivé au Québec, il y a trente ans. « C’était une autre époque, l’effondrement du rideau de fer. On n’arrivait pas de la guerre directement, mais c’était très difficile, car on n’avait pas le soutien de la communauté, personne ne savait qu’on était là », confie celui qui a récemment repris des études en anthropologie et en archéologie, ses deux passions. « Aujourd’hui les Ukrainiens commencent à s’entraider et à s’intégrer malgré les défis et les difficultés qu’ils devront surmonter. »
* La Maison L’Exode est un centre de traitement des dépendances. Anton Uvarov y travaille comme conseiller clinique, en plus d’agir comme superviseur clinique à la Maison le Pharillon, autre centre de traitement des dépendances, réservé cette fois aux hommes adultes.
Nathalia Guerrero Vélez