Un groupe de femmes de Caracas, qui n’avaient jamais pris de photos auparavant, ont redécouvert grâce à leur téléphone, les lieux quotidiens du quartier où elles vivent, qui leur étaient « cachés ». La vision de ces jeunes femmes, âgées de 15 à 30 ans, a été recueillie lors de l’atelier-exposition « Huit femmes 100 % San Agustín : regards qui embrassent », dont le résultat a été exposé au Centro Cultural Parque Central, près de leur quartier de San Agustín à Caracas.
Par Natali Gomez pour RT
L’expérience relevait du défi. Les participantes n’avaient aucune expérience préalable de la photographie pour créer des compositions, tirer des portraits, jouer avec la lumière ou saisir le paysage de la capitale. L’espace de création fut l’endroit où elles ont grandi et vivent aujourd’hui : le quartier populaire de San Agustín, bastion de la culture afro-vénézuélienne et patrimoine musical et architectural de la ville. Voir, regarder, enregistrer l’image de leur espace de vie, outre la possibilité de le donner à connaître, est une manière de se l’approprier et de dissiper les stéréotypes sociaux, racistes, qui existent sur les quartiers populaires, leurs espaces et leurs habitants.
Photo : participantes de l’atelier-exposition « huit femmes 100% San Agustín : regards qui embrassent », à Caracas. Photo Félix Gerardi
Cette exposition, organisée par la fondation culturelle 100% San Agustín, dans le cadre d’un festival de cinéma qui s’est tenu en mai, a été réalisée par le photographe vénézuélien chevronné Félix Gerardi.
« Je vois des choses auxquelles je ne faisais pas attention ».
Rebeca González, 32 ans, a découvert cet appel à participer à l’atelier, ouvert aux femmes de sa communauté, lorsqu’elle a emmené sa fille à l’un des ateliers culturels organisés au théâtre Alameda, un lieu emblématique de ce secteur de Caracas, inauguré en 1943 et sauvé il y a près de dix ans. « Je n’avais jamais imaginé que je découvrirais autant la photographie. Avant, je prenais des photos de mes enfants, de ma maison, avec mon téléphone portable, mais pas comme maintenant ».
Considère-t-elle qu’il y a une différence entre son ancienne approche de l’appareil photo et sa création actuelle ? « Maintenant, les photos sont plus belles, je me concentre davantage sur les paysages, sur le fond et les formes, sur la lumière. Je le fais avec plus de détails et je vois des choses auxquelles je ne faisais pas attention auparavant ».
La proposition de Félix Gerardi était de localiser un endroit du quartier qui attirait leur attention et de faire appel à leurs propres idées pour raconter une histoire d’un point de vue féminin. « Je pensais que la photographie était réservée aux hommes, mais j’ai réalisé que tout le monde peut prendre une photo s’il a les outils pour le faire. » En ce qui concerne le thème de ces images, elle dit avoir choisi sa fille et « ce que l’on ne voit pas de notre quartier ». Un exemple : le mur de briques, où elle a photographié la petite fille, à l’arrière d’une maison. « Généralement, les gens ne prennent pas de photos là-bas, car on ne voit que les façades des maisons » explique-t-elle.
« Je transmets l’essence de ma grand-mère. »
Nazareth Astudillo, 18 ans, est passé de la danse corporelle à la danse de l’image. C’est en pratiquant avec son groupe « La Nueva Dimensión » qu’elle a entendu parler de l’atelier-exposition de photographie.
« Je savais que la proposition concernait des femmes prenant des photos de femmes et j’ai tout de suite pensé à ma grand-mère, Sara Valera, qui souffre de troubles neurocognitifs et qui représente très bien San Agustín car elle y est arrivée à l’âge de 30 ans avec le rêve d’être couturière ».
Les images de Nazareth captent l’attention du spectateur dès qu’on entre dans la pièce. Le visage, les mains et l’empreinte de sa grand-mère créent un lien immédiat. « On m’a souvent dit que je transmettais l’essence de ma grand-mère, qui est très calme et paisible. J’aime que les gens s’identifient à elle ».
Le registre est le résultat de ses promenades avec Sara. « Pendant que nous marchons, je prends des photos d’elle. Ceux qui m’ont approchée m’ont dit que ces images leur rappelaient leurs grands-parents décédés ou qui se trouvent dans la même situation ». Toutes deux se rendent dans les lieux que la vieille dame avait l’habitude de fréquenter régulièrement et dont elle ne se souvient plus en raison de son état neurologique.
Nazareth, qui, en plus de pratiquer la danse, étudie le dessin artistique et envisage de faire carrière dans le graphisme, explique que, malgré la différence d’âge, elle a établi une relation très étroite avec sa grand-mère. « C’est compliqué de s’occuper d’une personne malade, je pense que c’est une façon de la remercier pour ce qu’elle a fait pour moi depuis que je suis petit ».
Un « changement de perspective »
Alannys Garcia, 15 ans, se souvient que Félix Gerardi les a emmenés faire une promenade dans le quartier pour réfléchir au sujet qu’ils devaient choisir. Le premier jour, elle n’arrivait pas à en trouver une, mais après la visite, elle a opté pour les peintures murales, qui sont une présence constante dans le quartier, et pour l’architecture, dont certaines remontent au début du XXe siècle.
« J’étais là tout le temps et je n’avais jamais fait attention aux peintures murales. Je ne les avais jamais vus sous un angle aussi artistique ». Elle explique que, bien qu’elle a été initiée à la photographie par les paysages qu’elle prenait à la plage, elle a constaté qu’elle ne les identifiait pas au sein de son propre quartier.
Cette lycéenne de quatrième année explique que pour l’exposition, elle a pris la photo d’une fresque représentant une femme aux cheveux afro parce qu’elle voulait refléter la culture de son quartier, l’art du tambour et la salsa. Cet atelier a « changé sa perspective » sur la photographie. Elle aimerait maintenant se lancer dans la photographie qui la passionne.
Filles et grands-mères
Reinaldo Mijares, coordinateur de la Fondation 100% San Agustín, a déclaré lors de l’inauguration de l’exposition que ce sont les femmes « qui ont le leadership » dans les organisations culturelles du quartier. « Je me réjouis qu’elles aient osé nous donner leur vision du quartier. Quand on regarde autour de soi, on trouve deux thèmes : les filles et les grands-mères. Le quartier se dévoile à travers ces figures ».
Le photographe Gerardi, évoquant le processus d’apprentissage avec ces participantes, ajoute que l’engagement qu’elles ont pris envers elles-mêmes et envers le quartier est devenu une « source de fierté ». « Je fus un guide qui les a accompagnées dans l’atelier, elles ont atteint leurs objectifs et j’espère qu’elles n’abandonneront pas le projet ».
Source : https://actualidad.rt.com/author/387379-nathali-gomez
Traduit de l’espagnol par Thierry Deronne
Photos : Rebeca González / Alannys García / Nazareth Astudillo / Felix Gerardi / photos de l’exposition : Thierry Deronne