Nous publions ici une partie des propos de l’auteur, lorsqu’il a présenté son nouveau livre dans la ville de Rosario, en Argentine, le mois de septembre 2022.
Quelle vision avons-nous de l’avenir ? Nous savons que nous sommes en danger. Il nous semble que la violence – de toute sorte- s’accroit de tous côtés, et que la conduite des humains devient plus individualiste, moins compatissante et plus indifférente à la douleur des autres. En définitive, je pense que la plupart des gens croient que les choses vont mal et empirent.
Face à tout cela, le livre d’Akop Nazaretian apporte une bouffée d’air frais. Il nous démontre rationnellement, à l’aide d’une foule de données provenant de chercheurs scientifiques indépendants, que, du moins jusqu’à présent, l’être humain a su tirer les leçons de ses erreurs et, chose extraordinaire, a pu surmonter toutes les crises qui se sont présentées à lui grâce à un saut imprévisible et créatif. Cette conclusion remarquable, que nous verrons en détail plus loin, découle de l’analyse de l’évolution de l’être humain, au sein de l’évolution de la vie, au sein de l’évolution de l’Univers.
Le fondateur du Mouvement Mario Rodríguez Cobos, plus connu sous le nom de Silo, a consacré une bonne partie de ses écrits et de ses présentations à essayer d’informer et de clarifier le processus évolutif de l’être humain. À ma grande surprise, j’ai trouvé une grande coïncidence entre les explications de Silo et les données fournies dans ce livre. C’est comme si Nazaretián était venu apporter des précisions et une foule de données et d’informations pour étayer nombre des affirmations que Silo a fait sur l’évolution humaine pendant ses cinquante années des travaux sur le sujet. Par exemple, nous les humanistes, avons toujours parlé de l’accélération du temps historique, mais ici nous allons voir quelle est la magnitude précise et quantitative de cette accélération, et quelles peuvent être les conséquences de cette accélération à l’heure actuelle.
La dernière partie du livre présente une conjecture fantastique : l’humanité pourrait s’impliquer dans le développement d’événements physiques universels. Par exemple, il pourrait apprendre à manipuler la matière noire afin d’empêcher l’expansion illimitée de l’univers. Ce qui, à première vue, semble disproportionné peut être vu sous un autre jour si l’on réalise que les processus universels sont orientés vers le développement de la conscience. L’Univers attend le développement de la conscience. À la fin du livre, vous trouverez deux articles informels et une courte histoire sur cet étrange sujet en question.
Passons maintenant à la description des idées principales du livre.
Le Processus Evolutif de l’Etre Humain
Il y a plus de deux millions d’années, un groupe de primates ressemblant à des chimpanzés, mais dotés d’une démarche verticale plus stable, ont été expulsés vers les savanes d’Afrique australe. Loin de la protection des arbres, ils se sont retrouvés dans une situation extrêmement difficile. Cela les a incités à produire et à utiliser des outils artificiels, amorçant ainsi l’évolution de l’être humain.
Premier indicateur d’évolution : le développement technologique
La construction d’armes a permis à l’Homo habilis de surmonter sa faiblesse physique naturelle. À partir de ce moment, il est devenu chasseur et n’a cessé d’accroître son pouvoir sur les autres espèces.
Deuxième indicateur de l’évolution : la croissance démographique
Malgré les guerres, les épidémies, les crises et les catastrophes, la population de la planète n’a cessé d’augmenter. La densité de population a également augmenté, ce qui à son tour a permis la spécialisation et le travail en équipe.
Troisième indicateur de l’évolution : l’augmentation de la complexité de l’organisation sociale
L’environnement de l’être humain est le milieu social, dont la complexité croissante a permis le développement de nouvelles qualités mentales et la perception de nouveaux horizons grâce à sa conscience en constante évolution.
Quatrième indicateur d’évolution : le développement intellectuel, individuel et social.
Le rôle de la conscience humaine s’est accru en tant que facteur de progrès par rapport aux déterminismes et aux difficultés imposés par le processus historique à chaque étape. Ce qui a été fondamental, c’est la croissance du flux d’informations entre les humains, qui atteint aujourd’hui son apogée avec l’avènement des réseaux informatiques et des téléphones portables.
Cinquième indicateur d’évolution : la limitation de la violence physique
Il est communément admis que la violence sociale augmente avec le temps. Mais de nombreux indicateurs montrent que la violence était un phénomène beaucoup plus courant et répandu dans le passé. Au cours du 20e siècle, il y a eu environ 500 millions de morts violentes. Au 19ème siècle, un nombre similaire. Mais comme la population mondiale au XXe siècle était plusieurs fois supérieure à celle du XIXe siècle, le taux d’effusion de sang est beaucoup plus faible. D’un point de vue objectif, la violence diminue avec le temps.
Sixième indicateur d’évolution : l’équilibre techno-humanitaire et la virtualisation croissante
La durabilité externe d’une société (face à des attaques militaires ou des catastrophes naturelles) dépend du développement technologique. La durabilité interne dépend de l’équilibre technico-humanitaire. Une société où la technologie prédomine sur les régulateurs culturels tend à l’autodestruction. On peut dire que l’ensemble des régulateurs culturels constitue l’état de la conscience individuelle et collective.
L’influence des créations artistiques et des idées scientifiques, religieuses, politiques et philosophiques l’emporte sur l’influence des forces naturelles dans le cours des événements, tant dans la société que dans la nature.
Telle est l’essence de la transformation du monde biologique qui nous a été donné dans le monde humain de la connaissance. Le monde humain est en train de s’éloigner du monde naturel.
Transitions de phase dans l’histoire et la préhistoire de la société
Dans son développement, la société humaine a dû passer par de nombreux carrefours causés par des disproportions dans le développement de l’intellect instrumental et humanitaire. Ainsi, plusieurs phases ou cycles du processus d’évolution sont déterminés, avec leurs étapes de début, de développement et de déclin. Le passage d’un cycle à l’autre est marqué par un acte créatif qui génère une nouvelle condition et permet au développement de se poursuivre à un niveau supérieur.
La période préhistorique de Moustier se caractérisait par la production de feu, et la construction d’ustensiles composites, de vêtements en fourrure et de chaussures en cuir. Au Paléolithique supérieur, l’efficacité du travail de la pierre et de l’os s’accroît, les armes à distance sont développées et les peintures rupestres apparaissent. Le Néolithique a vu l’émergence de l’agriculture, qui a permis ensuite le développement des villes. La révolution axiale est née d’une réponse humaniste à l’augmentation sanguinaire des guerres provoquée par l’avènement des armes de fer. Puis ce fut la chute de l’Empire romain, le Moyen Âge, la Révolution industrielle, les inventions du XIXe siècle et la Révolution informatique du XXe siècle.
Extension à l’échelle de la biosphère
Si nous étendons l’échelle à l’ensemble de la vie sur la planète (4 milliards d’années), le processus général d’évolution biologique et le processus d’évolution sociale de l’humanité sont en fait un seul et même processus qui se déroule depuis des milliards d’années. L’histoire sociale est une continuation directe de l’évolution biologique.
La première phase, vieille de 2500 millions d’années, correspond à la formation de l’atmosphère terrestre. L’atmosphère régule la température et la pression, protège des rayons ultraviolets et de la plupart des météorites qui tomberaient sur la Terre. La deuxième phase, vieille de 920 millions d’années, correspond au développement des nouveaux organismes eucaryotes, plus complexes, dont les cellules ont un noyau et ont besoin d’oxygène pour vivre. La troisième phase, vieille de 340 millions d’années, commence avec l' »explosion cambrienne », où apparaissent la plupart des organismes multicellulaires complexes, ancêtres des espèces actuelles. La quatrième phase est la période mésozoïque, où les dinosaures dominent, la cinquième est le cénozoïque, où les mammifères et les oiseaux se développent. Puis sont apparus les primates, les hominidés et finalement l’homo sapiens.
Il est intéressant de noter qu’il s’agit bien d’un processus unique : chaque phase prépare le milieu pour l’émergence de la phase suivante. Il n’y a ni sauts brusques ni discontinuités. Est-ce que tout était méticuleusement planifié, ou est-ce que la vie, en toute circonstance, trouve un moyen d’aller de l’avant ? L’autre inconnue est : pourquoi le processus s’accélère-t-il ? Pourquoi avance-t-il chaque fois plus vite dans la même direction ? Pourquoi le moment de l’accélération maximale coïncide-t-il avec le moment de l’interconnexion totale de la civilisation planétaire ?
Le point où l’accélération du temps historique devient exponentielle est appelé la « singularité ». Alexander Panov, l’un des scientifiques qui ont découvert ces relations, a déclaré à ce sujet :
« La crise évolutive qui s’annonce n’est manifestement pas une crise évolutive ordinaire comme il y en a eu beaucoup dans l’histoire du système planétaire. C’est la crise totale d’un parcours évolutif de 4 milliards d’années. On peut dire que c’est une crise du caractère très critique de l’évolution précédente, une crise des crises.
Il est difficile de faire des prévisions précises sur l’évolution future de la civilisation, mais il y a un pronostic qui semble tout à fait inévitable : dans un futur visible, l’effet d’accélération de la magnitude constante du temps historique, exprimé en termes de séquence de transitions de phase, prendra fin, puisque nous sommes proches du point où cette vitesse devrait être formellement infinie… L’histoire doit passer à travers le point de bifurcation et continuer sur une voie complètement nouvelle ».
En quoi peut consister ce phénomène de singularité ? Que peut-il se passer ? Apparemment, personne ne le sait. Mais dans le livre, je glisse une hypothèse. Il s’agit de la « théorie de l’information intégrée » de Giulio Tononi. Selon cette théorie, dans un système complexe composé d’éléments capables de recevoir et d’émettre de l’information, le phénomène de la conscience peut émerger si les éléments sont en relation les uns avec les autres de manière certaine et déterminée. En outre, elle postule que plus le niveau d’interaction entre les éléments est élevé plus la possibilité d’émergence de la conscience est grande.
Comme c’est exactement ce qui est en train de se passer avec l’humanité, il n’est pas exclu qu’une conscience humaine globale apparaisse, ou qu’elle soit déjà apparue, mais que nous n’en soyons pas conscients.
On sait que la conscience apparaît lorsqu’il y a des phénomènes de synchronisation entre les neurones. Et j’ai récemment reçu une information à ce sujet qui m’a beaucoup plu. Elle disait qu’on avait découvert que les neurones émettent une sorte de « chant », et qu’ils « chantent en chœur ». Les neurones chantent en chœur, et ensuite, la conscience émerge… n’est-ce pas merveilleux ? À quand le jour où nous, les humains, apprendrons à chanter en chœur ?
L’être humain doit apprendre à vivre avec ses émotions. Elles font partie de lui, mais contrairement aux idées reçues, les émotions ne caractérisent pas l’être humain (chose que l’on pourrait dire du développement intellectuel). Les émotions sont caractéristiques des mammifères en général. Je n’ai jamais rencontré un être plus émotif que notre chien Frodo, et pourtant personne n’a jamais dit de lui « comme il est humain », comme on le dit parfois des personnes très émotives. C’est une croyance populaire…
Nazaretián s’intéresse à l’influence des émotions sur le comportement humain. Il les considère comme une menace pour la possibilité de survie de l’espèce. En guise d’issue (bien que cette idée ne lui plaise pas du tout), il envisage une symbiose entre le cerveau biologique et les futures formes d’intelligence artificielle. Pour la même raison, il propose également l’élimination des idéologies et des religions, car elles génèrent des antagonismes entre les personnes.
Mais les idéologies, en tant que systèmes de pensée, indiquent une direction au développement humain, comme le fait évidemment l’idée de Nazaretián elle-même. Comment le développement humain pourrait-il se poursuivre sans avoir une direction future ? Une telle chose n’a aucun sens. En ce qui concerne les religions, il est clair que si elles ont favorisé la division de l’humanité entre « soi et l’autre », elles ont en revanche fourni aux êtres humains un environnement de protection et de sécurité face à l’incertitude et à l’inclémence de l’environnement ; et si elles existent encore, c’est parce que ce besoin n’a pas été satisfait par le processus d’évolution.
Ainsi, au lieu de proposer la disparition des idéologies et des religions, ce qui serait intéressant serait leur transformation progressive vers des formes convergentes de plus grande tolérance et d’intégration, éliminant tous les vestiges de « guerre sainte » et plaçant l’être humain comme valeur et préoccupation centrale. Nous avons besoin d’une idéologie humaniste et d’une sorte de religion intérieure fondée sur des expériences intérieures communes, et non sur des figures extérieures qui peuvent toujours diverger les unes des autres.
Une spiritualité humaniste devrait générer des expériences internes qui favorisent la compassion, l’empathie et la solidarité entre les êtres humains, sans distinctions d’aucune sorte. Et une idéologie humaniste devrait mettre en marche des processus qui permettent d’aboutir à une société plus égalitaire, à une Nation Humaine Universelle. Un tel projet pourra se concrétiser si « l’être humain » devient la valeur centrale dans la conscience de larges couches de la population, de sorte que les différences ethniques, nationales, idéologiques, confessionnelles, de classe, etc. deviennent secondaires par rapport à l’égalité essentielle que présuppose l’appartenance à l’espèce humaine.
Comme nous le voyons en détail dans ce livre, de nombreuses évidences indiquent que le processus d’évolution qui nous a menés jusqu’ici touche à sa fin. En tant que résultat et sens de ce processus évolutif, nous comprenons qu’un nouvel être humain doit émerger avec d’autres valeurs, une autre sensibilité et un autre niveau de conscience. Si une telle chose se produit, nous passerons à un autre niveau en tant qu’humanité, surmontant la singularité de ce siècle pour nous engager sur une nouvelle voie : la voie des étoiles.
L’Univers évolue du simple au complexe. Nous avons commencé il y a 15 milliards d’années par une explosion d’énergie sans forme, pour ensuite synthétiser les premiers atomes d’hydrogène. Plus tard, des étoiles se sont formées, et à partir d’elles, les éléments plus lourds et plus complexes. Avec l’expansion et le temps, des planètes se sont formées, et là, la complexité a fait un nouveau bond avec l’apparition de la vie. Mais les organismes vivants ont eux aussi commencé à progresser en complexité croissante, jusqu’à atteindre notre planète et l’être humain à l’heure actuelle. Ce n’est pas simplement un être naturel, mais avant tout un être social et historique. L’être humain a évolué au gré des changements du milieu naturel. Ainsi, un être humain émerge dans un monde humain. Les nouveaux spécimens (humains) résument en soi le processus de millions d’années, et peuvent accepter ou éventuellement réorienter ce qu’ils ont reçu. C’est pourquoi la complexité de l’être humain progresse rapidement, car il n’est pas un être isolé, mais en interaction sociale permanente. Une interaction qui, aujourd’hui plus que jamais, s’accroît et s’accélère avec les nouvelles technologies de communication.
Nous arrivons ainsi à l’être le plus complexe de l’univers connu : l’Humanité. Plus de 7 milliards de composants (déjà très complexes) de plus en plus interconnectés. L’Humanité est un être hautement complexe et émergent : un être pas complètement formé, mais en phase d’intégration, en phase de complémentation croissante. Quelle synthèse atteindra-t-elle ? Jusqu’à quel niveau atteindra-t-elle son degré d’intégration ? Un esprit humain global émergera-t-il, un esprit d’un autre niveau ? Sera-t-il une condition pour être accepté dans l’Univers ?
L’orientation de Silo pour chaque être humain est également valable : l’Humanité doit se réveiller et supprimer ses contradictions internes. Elle doit éliminer toutes les formes de violence et atteindre la beauté de la Nation Humaine Universelle.
L’Humanité se prépare à faire un saut dans le cosmos. Les premiers pas ont déjà été faits. Maintenant, il est nécessaire que cette expansion de l’espace soit accompagnée d’une expansion de sa conscience. Un nouvel être humain doit se diriger vers les étoiles. Il portera en lui les efforts, les craintes, les aspirations et les espoirs de milliards de ses semblables qui ont levé les yeux vers le ciel depuis l’aube de la préhistoire, avec toujours la même question à l’esprit : quel est le sens de tout cela ?
Peut-être qu’à un certain stade de notre évolution, la signification du Tout – le Plan qui anime tout ce qui existe – sera clairement exposée devant nos yeux. Nous pourrons alors dire que nous ne le savions pas, mais que nous comprenons maintenant pourquoi ces aspects du monde que nous n’aimons pas doivent être ainsi. Ou peut-être imaginons-nous une autre façon de faire les choses, et décidons-nous de changer les règles et de tout recommencer. Pourrons-nous même oser penser ainsi ? Pourrons-nous cesser de nous voir comme des fourmis et penser que nous pourrions devenir des dieux ? Si nous avons réussi à transformer notre planète et sommes capables d’empêcher sa destruction, et de corriger les erreurs et les excès commis au cours du processus, peut-être pouvons-nous faire de même dans notre environnement cosmique immédiat… pour commencer.
Au fur et à mesure que nous avançons, notre vision deviendra plus claire. Et lorsque nous ferons ce double saut, vers les étoiles et dans les profondeurs de notre monde interne, nous aurons rempli la mission que notre destin nous a confiée. Et une nouvelle forme d’intelligence sera intégrée à la conscience du Cosmos, demandant à participer au Plan Universel.
Voir aussi :
Traduction de l’espagnol, Ginette Baudelet