11.07.22 – INFOsperber (Le président turc Erdoğan met l’OTAN en porte-à-faux. Photo © tiburi)
Le sommet de l’OTAN à in Madrid fin juin a conclu l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’alliance – c’est bien cela ?
Amalia van Gent pour le journal en ligne INFOsperber
La photo de famille du dernier sommet de l’OTAN à Madrid devait avant toute chose symboliser l’unité entre égaux : des hommes et des femmes qui résolvent leurs différences par des débats pacifiques et qui prennent des décisions difficiles dans l’unité. Lors de la conférence de presse finale, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a vanté à mots couverts « l’unité sans faille des 30 pays membres » et a qualifié de précurseur le nouveau document stratégique qui désigne pour la première fois la Russie « comme la menace la plus importante et la plus immédiate pour la sécurité des alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique ». Il a salué l’élargissement de l’Alliance à deux nouveaux membres, à savoir la Suède et la Finlande. Le fait que l’élargissement au nord ait réussi en premier lieu grâce à ses efforts infatigables l’a rendu manifestement fier.
À la même heure et non loin du secrétaire général de l’OTAN, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a affirmé à la presse de son pays que l’adhésion des deux candidats à l’OTAN n’était nullement acquise : « L’accord signé n’est qu’un début, une invitation », a déclaré l’hôte d’Orient. Comme il l’a expliqué, la Suède et la Finlande doivent d’abord rester fidèles à leurs engagements. Dans le cas contraire, leurs adhésions ne seraient pas soumises au vote du parlement turc. « Cet accord ne sera pas conclu s’il n’est pas approuvé par notre Parlement », a-t-il déclaré. Erdoğan était lui aussi d’humeur triomphante.
Qu’en est-il donc de la réalité ?
La crainte d’une nouvelle vague de répression
Depuis que les deux pays scandinaves ont décidé à la mi-mai de renoncer à leur neutralité historique et de viser une adhésion à l’OTAN, la Turquie est devenue le poids qui fait pencher la balance. Le gouvernement Erdoğan menace d’opposer son véto à leur adhésion et fait monter les enchères pour un oui envers Helsinki et Stockholm. Il est significatif qu’avant le sommet de Madrid, Ankara a exigé de la Suède et de la Finlande l’extradition de 33 présumés « terroristes »… faisant grimper ce chiffre à 73 personnes après Madrid.
Les deux pays, en particulier la Suède, abritent d’importantes communautés kurdes. La législation libérale exemplaire et l’État de droit en Scandinavie ont agi comme un aimant pour les persécutés du monde entier. Après Madrid, l’incertitude s’est répandue parmi les Suédois d’origine kurde, leur peur est presque palpable, a commenté le célèbre journaliste turc Cengiz Candar, lui aussi exilé. Les Suédois d’origine kurde se sentent désormais trahis par leur nouvelle patrie. Elle vit en Suède depuis 25 ans, a déclaré la députée kurde suédoise indépendante Amineh Kakabaveh, originaire d’Iran. « Je n’ai jamais ressenti autant de peur que ces derniers jours après Madrid ». Elle a été horrifiée par le mémorandum trilatéral signé à Madrid entre la Suède, la Finlande et la Turquie.
Ce « marché » inquiète désormais non seulement les citoyens issus de l’immigration, mais aussi les sociétés des deux pays scandinaves dans l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes. Comment leur gouvernement a-t-il pu s’asseoir avec « un autocrate comme Erdoğan pour négocier les principes de l’État de droit suédois ? », s’est étonnée l’ancienne vice-cheffe du gouvernement Lena Hjelm-Wallen. Elle aussi a trouvé que l’accord de Madrid mettait mal à l’aise.
Un accord au goût d’Erdogan
Le principal résultat de cet accord est la « levée de l’embargo sur les armes imposé à la Turquie par la Suède et la Finlande », écrit la journaliste turque influente Nagehan Alci depuis la cour d’Erdoğan. Les pays européens ont imposé un embargo sur les armes à la Turquie en 2019, après que les troupes turques ont envahi pour la troisième fois le nord de la Syrie, peuplé de Kurdes, en violation du droit international, poussant des milliers de civils à fuir et occupant des parties du pays voisin. Depuis, l’armée turque n’a jamais quitté le territoire syrien. Elle continue de bombarder des villages et des petites villes et de détruire quotidiennement les moyens de subsistance des civils. Pourtant, le sommet de Madrid a décidé de lever l’embargo sur les armes à destination de la Turquie.
Les États membres de l’OTAN semblent avoir oublié que le gouvernement d’extrême droite d’Erdoğan a systématiquement sapé l’État de droit en Turquie et qu’il maintient arbitrairement derrière les barreaux depuis des années des milliers de prisonniers politiques, comme le mécène Osman Kavala et le leader kurde Selahaddin Demirtas. Ce qui semble également oublié, c’est qu’Ankara menace de faire la guerre aux États membres de l’UE, la Grèce et Chypre, et qu’elle est en guerre dans le nord de la Syrie et dans le nord de l’Irak, en violation du droit international. Afin que la Turquie reste dans de bonnes dispositions sur la question de l’Ukraine, le sommet de l’OTAN a décidé, avec la bénédiction des États-Unis, de blanchir la Turquie d’Erdoğan.
Des héros criminalisés
Pour la première fois, le mouvement kurde du nord de la Syrie a été criminalisé. Certes, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène depuis 1984 une guerre en Turquie pour l’autodétermination des plus de 15 millions de Kurdes du pays, était déjà considéré comme une organisation terroriste en Suède et en Finlande. Mais désormais, les Unités de protection du peuple kurde (YPG) et leur branche politique (PYD) sont également définies comme des terroristes. Le huitième article du mémorandum engage la Suède et la Finlande à « mettre en place le cadre juridique bilatéral nécessaire pour faciliter l’extradition et la coopération en matière de sécurité ». En bref, le service de renseignement suédois Sapo et le service de renseignement turc MIT doivent à l’avenir coopérer plus étroitement pour localiser en Scandinavie et/ou extrader des dissidents ou des « terroristes ».
Cela semble absurde : les milices kurdes (YPG) sont les jeunes hommes et femmes qui, entre 2015 et 2019, ont tenu tête aux djihadistes fanatiques de l’État islamiste IS et les ont vaincus en étroite collaboration avec les États-Unis et d’autres pays européens. La victoire sur les islamistes leur a coûté jusqu’à 30 000 victimes et autant de blessés, parfois graves. Et parce qu’à l’époque, l’EI représentait également une menace sérieuse pour l’Europe, les femmes et les hommes kurdes armés ont été célébrés comme des héros.
Erdoğan a obtenu « tout ce qu’il voulait à Madrid », a commenté la journaliste Nagehan Alci. Les critiques parlent des « concessions humiliantes de la Suède et de la Finlande » et d’une morale « deux poids, deux mesures » cynique. Pour affaiblir l’autocrate Poutine, l’autocrate Erdoğan se voit soutenu tant sur le plan de la politique intérieure qu’extérieure. La logique des hommes et des femmes qui s’étaient présentés à Madrid avec la promesse de défendre la démocratie contre le despotisme dans le monde entier paraît de ce fait énigmatique.
Après ce sommet, la Turquie demandera un « prix terrible pour le feu vert à l’élargissement », craint Simon A. Waldman, chercheur boursier au King’s College de Londres. Le président Erdoğan s’attendrait à ce que Stockholm et Helsinki soutiennent une future invasion turque en Syrie contre les Unités de protection du peuple kurde (YPG) et approuvent ses plans de déplacement forcé d’un million de réfugiés syriens de Turquie vers les zones prétendument libérées du nord de la Syrie. Il s’attendra également à ce que les Scandinaves extradent des dizaines de personnes qu’il considère comme des terroristes et que l’OTAN garde un silence de fer sur le mauvais bilan de la Turquie en matière de droits de l’homme, selon l’analyse de Waldman pour le journal israélien Haaretz. « Tout atermoiement sur ces questions sera interprété comme une preuve de malveillance, voire de trahison. »
Les olives amères d’Afrin
L’histoire des Kurdes dont le nombre est estimé à 35 millions, a déjà connu plus d’une fois la trahison. Rien qu’au cours des quatre dernières années, les Kurdes de Syrie ont été abandonnés par leurs principaux alliés. En 2018, « Poutine a bradé la province kurde d’Afrin à Erdoğan pour un projet de pipeline commun, un réacteur nucléaire russe ainsi que pour le système de défense aérienne S-400 », écrit Thomas Konicz dans konkret. « Le Kremlin espérait ainsi favoriser la sortie de la Turquie du système d’alliances occidentales », en vain. Au lieu de cela, une épuration ethnique systématique a eu lieu dans cette ville universitaire kurde autrefois florissante : les Kurdes, traditionnellement l’écrasante majorité de la population, ne représentent plus aujourd’hui que 25 % de la population, selon leurs propres déclarations.
Depuis, des organisations de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch ne cessent d’avertir que les expropriations arbitraires, les enlèvements massifs et les viols font partie du quotidien de la province. Dans cette région, où l’accès est strictement interdit aux journalistes indépendants, le régime d’Erdoğan entretiendrait un réseau de prisons secrètes, a récemment rapporté le Jerusalem Post. La Turquie y commettrait systématiquement des « crimes horribles » contre les opposants et les civils. Sur les presque 9 000 victimes de ce système de torture turc dans le nord de la Syrie, 1 500 auraient disparu, toujours selon le Jerusalem Post. En revanche, les fameuses olives d’Afrin, qui ont toujours été le produit phare de la province, arrivent chaque année dans les supermarchés occidentaux et, de cette manière, parfois sur nos tables… étiquetées comme un produit turc. Les similitudes entre les olives d’Afrin et les céréales volées en Ukraine sont récusées.
Perte de crédibilité
Un an après Afrin, le président américain Donald Trump a donné son feu vert à la deuxième opération de la Turquie dans le nord de la Syrie, en violation du droit international. Avec cette manœuvre géopolitique, il espérait pouvoir ramener la Turquie des griffes de Moscou dans le giron de l’alliance occidentale. Des villes et des villages ont à nouveau été bombardés sans pitié et des milliers de civils ont à nouveau été déplacés.
Et les Kurdes ? « Aux yeux des gens, le discours occidental sur les valeurs et la morale perd toute crédibilité », déclare Kamal Sido, l’expert du Moyen-Orient de la Société pour les peuples menacés. Ils n’ont guère d’autre choix que de se résigner. »
Traduction : Laurence Wuillemin, Munich