L’association Paysages de France a obtenu, au cours de ces trente dernières années, le démontage de milliers de panneaux publicitaires à travers la France. Mais elle doit faire face à des offensives constantes visant à accroître la pression de la publicité dans l’espace public. Pierre-Jean Delahousse, fondateur et cheville ouvrière de l’association, nous raconte cette aventure.
Paysages de France a été créé en 1992 par des bénévoles. Nous n’étions pas du tout des spécialistes. On a dû apprendre sur le tas. L’association a été créée par des citoyen∙nes « ordinaires », choqué∙es d’assister à un tel déploiement publicitaire dans l’espace public. Nous nous sommes d’abord rapprochés d’autres associations. Mais c’était alors un sujet marginal, presque tabou. Nous avons alors créé une association à Grenoble qui répond à ce besoin de nous protéger contre un tel envahissement.
Les années 1990 : une vague de démontages de panneaux illégaux
Les premières années, parallèlement à plusieurs actions de rue organisées à Paris pour alerter les pouvoirs publics et les médias sur cette question, nous avons conduit un travail de fond, sur le terrain, à Grenoble et en Isère. L’une des premières victoires sur l’indifférence a été la création en préfecture d’un « groupe de travail contre l’affichage illicite ». Certes, le préfet n’était guère empressé d’agir, mais nous n’avons pas lâché prise et des résultats spectaculaires ont suivi. Avec notamment, à Grenoble, le démontage d’une cinquantaine de panneaux de 12 m² qui étaient installés en violation de la réglementation nationale, de part et d’autre d’une voie extrêmement passante. Autre initiative, au demeurant appuyée par des rassemblements devant des dispositifs en infraction : des dépôts de plainte auprès du procureur de la République. Cela a permis le démontage de très nombreuses enseignes de grande hauteur qui avaient été installées au mépris de la réglementation, notamment par des grandes surfaces et des chaînes de restauration rapide telles McDonald’s et Quick. Notre objectif était de faire de Grenoble un laboratoire. Mais si nous sommes en effet parvenus à faire supprimer un grand nombre de dispositifs en infraction un peu partout en France, cela a presque toujours été un bras de fer. (1)
Le recours aux tribunaux
La vérité est que nous avons été constamment confrontés au silence ou à la mauvaise volonté de la plupart des préfet∙es. Ces dernièr∙es ne répondaient pas à nos demandes ou ne cessaient de tergiverser. Cela alors même que, l’association ayant obtenu son agrément dès 1996, la loi leur imposait d’agir. C’est pourquoi, au tournant des années 2000, nous avons commencé à engager des actions en justice. Depuis, 23 tribunaux administratifs différents ont donné raison à l’association et l’État a été condamné 87 fois à cause de la carence des préfet∙es. Des procédures qui peuvent durer plusieurs années, mais qui sont efficaces. Preuve en est, par exemple, le démontage de centaines de « 4 par 3 » (2) qui défiguraient le Parc naturel du Haut-Languedoc : la loi y était massivement bafouée depuis la création de ce dernier ! Mais ni le parc, ni son président, ni le préfet n’avaient entrepris la moindre action pour mettre fin à cette invraisemblable situation.
Des ministres de l’Écologie bloquent le code de l’environnement
Mais le comble a été atteint lorsque, à partir de 2016, Ségolène Royal, peu avant de quitter son ministère, a fait appel de quatre jugements qui avaient donné raison à l’association. La suite ? Bien que les cours d’appel de Bordeaux, Versailles et Lyon aient alors rejeté les requêtes de la ministre, ce sont successivement François de Rugy, Élisabeth Borne et, surtout, Barbara Pompili qui ont alors pris le relais et ont soutenu devant la justice des préfet∙es qui avaient refusé de faire respecter le code de l’environnement.
Comment expliquer un tel scandale : des ministres de l’Environnement qui attaquent des jugements ordonnant à l’État de respecter une loi de protection de l’environnement ? Quels intérêts a voulu défendre le gouvernement en agissant de la sorte ? Qui peut croire que l’on n’a pas tenté ainsi de décourager, d’épuiser et de paralyser une association qui a sans doute le tort de gêner de puissants lobbies ? Une chose est sûre, aucune des lettres adressées au président de la République n’a été honorée de la moindre réponse et aucun de ces quatre ministres n’a accepté de recevoir l’association.
Où en est-on aujourd’hui ? Sur les onze appels interjetés à l’initiative de ces ministres, neuf ont déjà été jugés. Tous l’ont été en faveur de l’association. Il n’empêche que ces attaques mettent l’association en difficulté. Par leur coût comme par l’énergie qu’elles demandent. Et tout cela au détriment d’un certain nombre d’actions auxquelles Paysages de France a été alors obligée de renoncer.
Des gouvernants au service des lobbies
Cette volonté, au plus haut niveau l’État, de servir les lobbies, on la retrouve à de multiples reprises au cours de la dernière décennie.
D’abord en 2012, lorsque le décret d’application des dispositions en matière d’affichage publicitaire de la loi dite « Grenelle » a été publié. Le texte définitif s’est alors avéré très éloigné de celui qui avait été arrêté à la suite d’une longue concertation entre les parties. Le projet qui en était issu avait, comme c’est toujours le cas, été soumis à consultation publique sur le site du ministère. Près de cinquante mille citoyen∙nes s’étaient exprimé∙es, et 99 % d’entre elles et eux avaient demandé que les mesures de protection contre les nuisances engendrées par l’affichage publicitaire soient renforcées. Or non seulement il n’en fut rien, mais ce fut, au contraire, une cascade de reculs pour l’environnement. Avec, par exemple, la multiplication par quatre de la surface initialement prévue pour les publicités numériques, laquelle passait donc de 2 m² maximum dans le projet à 8 m² dans le décret ! Au point que le rapporteur du décret devant le Conseil d’État n’allait pas hésiter à déclarer devant la haute juridiction que le « résultat allait très exactement à l’inverse de l’opinion exprimée à une écrasante majorité ». Entre-temps, le lobby de l’affichage publicitaire s’était en effet activé…
En 2015, nouvelle catastrophe : cette fois-ci, c’est un projet de décret au sein duquel se cachent des articles qui seraient passés totalement inaperçus si Paysages de France n’avait compris de quoi il relevait. Un projet qui aurait permis, entre autres, d’installer, dans des milliers de communes de France où jusqu’alors ils étaient interdits, des panneaux publicitaires scellés au sol de grand format. Autrement dit les pires symboles de la pollution que peut engendrer l’affichage publicitaire. Ce seront alors sept mois de combat acharné au cours desquels Paysages de France va réussir à mobiliser à ses côtés d’autres associations, des personnalités, la Fédération des Parcs naturels régionaux et, finalement, les médias. Résultat ? Le 5 septembre 2016, Ségolène Royal, qui jusqu’alors avait gardé le silence, finit par « craquer » et se désolidarise du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. Enfin, le 9 janvier 2016, c’est au tour de ce dernier de baisser les bras après avoir reconnu, au cours d’une conférence de presse avec la ministre, que le projet avait « fait l’objet de réactions extrêmement fortes ».
Mais le pire était encore à venir. Et le paradoxe, c’est que le problème est venu d’un article du projet de la loi Climat du 22 août 2021. Un article véritablement retors qui a trompé les mieux intentionné∙es et abusé les membres de la Convention citoyenne. Il s’agit de l’article 17 de cette loi. Un article scélérat qui a été défendu avec âpreté par le gouvernement et avec une mauvaise foi sans limites par la ministre de l’Écologie. À compter du 1er janvier 2024, seul∙es les maires ou les président∙es d’intercommunalités auront le pouvoir de faire cesser les infractions. Or les faits parlent d’eux-mêmes : toutes les études récentes montrent que, dans ce domaine, la majorité des maires n’agissent pas ou ne le font qu’exceptionnellement. Pire, certain∙es prélèvent la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE) sur des panneaux qu’ils savent illégaux.
L’association a eu beau démontrer, preuves à l’appui, toutes les conséquences délétères de cette mesure, le rouleau compresseur du gouvernement a poursuivi son travail de sape. Et a fait aux publicitaires un cadeau dont ils rêvaient depuis des décennies. Or parmi les multiples effets calamiteux de cette mesure, il en est une dont tout le monde pourra comprendre quelles seront ses conséquences : l’un des plus récents dossiers conduits par l’association concerne des infractions commises dans quinze communes du Puy-de-Dôme. Actuellement, le préfet est compétent pour l’ensemble de ces dernières. Soit un seul dossier, un seul interlocuteur et en cas de difficulté, un seul procès. Avec ce changement, ce seront quinze dossiers, quinze interlocuteurs et, dans le pire des cas, quinze procès !
Au-delà du combat en faveur du respect de la loi
Est-ce à dire que le pessimisme est de mise ? Certes pas. Et ce n’est, de toute façon, pas le genre de la « maison ». Car s’il est une victoire, c’est d’avoir réussi, avec ces actions, ces démontages, ces jugements, à faire émerger le sujet. Lorsque nous avons lancé nos premières actions à Grenoble, c’était un non-sujet. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et c’est peut-être là l’un des apports les plus significatifs de l’action de l’association.
Actuellement, Paysages de France participe à l’élaboration de très nombreux règlements locaux et intercommunaux de publicité. Cela concerne notamment les plus grandes métropoles, mais parfois de petites communes. Nous sommes là pour faire contrepoids aux afficheurs, conseiller les élu∙es, nourrir le débat, apporter des informations techniques. Et cela aussi bien à Marseille qu’à Lille ou que dans le Grand-Paris, lequel compte, outre la capitale, onze établissements publics territoriaux qui, chacun, élabore son propre règlement. Au printemps 2022, nous avons participé à une réunion consacrée au projet de règlement de Matoury, commune limitrophe de Cayenne. Manifestement, la mairie a apprécié notre présence. Il faut dire qu’en face, il y avait une dizaine d’afficheurs… À Lons-le-Saunier, la volonté de protéger la commune contre les multiples nuisances engendrées par l’affichage publicitaire se traduit désormais dans le règlement. Notre espoir ? Que des maires donnent l’exemple à tous ceux qui jusqu’à présent se montrent frileux au point de ne même pas faire appliquer leur propre règlement de publicité.
Autre objectif qui nous tient à cœur : faire accepter l’idée que le paysage quotidien est aussi du paysage. Qu’il mérite tous les égards puisqu’il constitue le cadre de vie de millions de citoyen∙nes. Protéger le paysage ce n’est pas se préoccuper uniquement des paysages emblématiques ou « patrimoniaux ». Il s’agit donc de faire évoluer les mentalités et les préjugés que continuent aujourd’hui à véhiculer la plupart des bureaux d’études qui accompagnent les collectivités. D’où le slogan lancé voici quelques années par l’association : « Pas de pub, des arbres ! »
Utopie ? Loin de là puisque ce rêve s’est en partie réalisé à Grenoble où des arbres ont été plantés là même où ont été enlevés des panneaux. Cela dans tous les quartiers.
Défendre le principe d’équité
L’un des principes que nous défendons est celui de l’équité. Pour Paysages de France, il est essentiel que toutes les habitantes et tous les habitants d’un même territoire bénéficient, en matière d’affichage publicitaire, du même niveau de protection de leur cadre de vie et de leur environnement. Permettre que l’on pollue davantage les quartiers considérés comme de moindre qualité paysagère ou architecturale, c’est instaurer la double peine, c’est faire d’un règlement de publicité un instrument d’aggravation des inégalités. C’est instaurer des mesures discriminatoires. Force est de constater que nos idées avancent : Grenoble-Alpes-Métropole a décidé que la surface maximale admise pour les panneaux publicitaires serait la même dans toutes les zones et sur l’ensemble du territoire, soit 4 m², c’est-à-dire celle fixée par la réglementation nationale dans certaines communes. S’agissant du projet de règlement de publicité de Marseille-Provence, la commission d’enquête a estimé, c’est une première, qu’un « traitement différencié entre quartiers résidentiels de Marseille et des autres communes ne se justifiait pas ».
Lutter contre le péril climatique
Comment peut-on prétendre protéger l’environnement en installant des panneaux publicitaires, qui sont autant d’incitations à consommer, à gaspiller, et qui consomment de l’énergie ? Dans l’esprit des élu∙es nous sommes « des antipub ». Cela alors que nous essayons seulement de provoquer le débat sur les enjeux planétaires et écologiques et de placer les élu∙es devant leurs responsabilités. La publicité est un accélérateur majeur du péril climatique et de la destruction de la planète. La mise en place d’un règlement de publicité est l’occasion pour les élu∙es de se monter exemplaires et non le contraire.
Lorsque des écologistes deviennent les meilleurs publicitaires d’un publicitaire
Le drame, c’est que même des municipalités écologistes telles Grenoble ou Lyon continuent à signer des contrats avec des afficheurs comme JCDecaux. Avec pour conséquence l’installation de centaines, voire de milliers de panneaux publicitaires, directement sur les trottoirs, parfois à quelques centimètres seulement des yeux des personnes qui attendent leur bus. C’est dire le chemin qui reste encore à parcourir ! Car faire cela c’est donner à Decaux la caution des écolos. C’est, pour lui, un cadeau inespéré et sa meilleure publicité. Car, désormais il peut dire partout : « Les écolos sont pour la pub sur les trottoirs ». Combattre de telles dérives est désormais une urgence.
Propos recueillis par Guillaume Gamblin
Paysages de France, 5 place Bir-Hakeim, 38000 Grenoble, tél. : 04 76 03 23 75, contact@paysagesdefrance.org, https://paysagesdefrance.org.
(1) Paysages de France refuse toute subvention. Nous sommes totalement libres et indépendants. À la différence d’autres associations, qui sont de ce fait plus prudentes au sujet de l’affichage.
(2) Panneaux publicitaires de 12 m².