Par Samer Alnasir

Les raisons de l’échec de l’État, et les trop lourdes contraintes normatives depuis l’adoption de son texte actuel en 2005 s’accroissent de jour en jour (Alnasir, 2021c; Cordesman & Molot, 2019; Flibbert, 2013; Jayamaha et al., 2017; Underhill, 2014)1; et c’est précisément maintenant, à la veille de 2023 où l’épreuve de cette nation arriverait à son terme, qu’une nouvelle constitution s’impose d’urgence. Il ne s’agit pas de corruption politique, de vide étatique, de désespoir chronique, de conflits massifs, ni de la poursuite des migrations de masse, mais de la responsabilité de la communauté internationale tenue directement responsable de la perpétuation de cette misère.

Toutefois, le problème aujourd’hui va bien au-delà de toutes les raisons précédentes, car les problèmes de l’Irak auront des répercussions mondiales importantes, étant donné que le pays détient un pourcentage significatif des réserves de pétrole, et produit aujourd’hui environ trois millions de barils par jour, assez pour faire s’effondrer l’économie mondiale du jour au lendemain.

Ses problèmes constitutionnels sont sur le point de déclencher un conflit mondial aux conséquences incalculables. Depuis l’adoption du texte actuel, dit constitutionnel, le pays a refoulé plus de cinq millions de réfugiés, une épuration ethnique entre 2006 et 2009 qui a enterré plus d’un million de personnes, et une guerre déclenchée par l’émergence de l’État islamique en 2013 qui a fait un autre million de victimes, des disparus, d’autres encore déplacés, et une déstabilisation sans fin de tout le Moyen-Orient (Filkins, 2014)). Le plus paradoxal, c’est que les conseillers géniaux et les apprentis stratèges de l’Occident étaient déterminés à trouver des moyens de vaincre l’État islamique, et pourtant, à ce jour, ils n’y sont pas parvenus ; et bien qu’ils aient lamentablement échoué, ils continuent dans la même prétendue lutte contre le terrorisme, alors qu’il est plus raisonnable de s’étonner que celui-ci n’ait pas émergé. Qu’ils s’appellent A ou B, leurs motivations sont aussi évidentes que de vouloir cacher un éléphant derrière un arbre. En effet, les problèmes constitutionnels et par conséquent politiques de son application constituaient la base la plus naturelle et la plus logique pour alimenter la violence.

Il ne s’agit pas seulement de la violence de l’État, mais de la violence constitutionnelle elle-même. Cependant, personne en Occident ne se souciera de tout ce qui précède. Ce qui comptera -lorsque ces problèmes auront des répercussions économiques importantes en raison du fardeau énergétique du pays, surtout avec les prévisions d’atteindre quatre millions de barils par jour dans les cinq prochaines années- c’est que l’Irak aura besoin de toute urgence d’une véritable Constitution.

Le Droit, ou une Constitution, est un dialogue entre pairs (Gargarella, 2021), cependant l’histoire constitutionnelle de l’Irak ne fournit pas une telle expérience. Toutes ses chartes constitutionnelles ou bien se réfèrent à une hégémonie coloniale imposée ou bien à des déclarations de coups d’état militaires ; l’Irak n’a jamais connu de Constitution au sens propre du terme. Sa première Constitution post-coloniale de 1925 a été rédigée en bonne et due forme par la Chambre britannique et soumise à un référendum populaire qui devait choisir entre Charybde et Scylla : approuver le texte et s’émanciper, ou rester sous la tutelle britannique.

Celle-ci a été abrogée par la déclaration du coup d’État militaire de 1958, suivie d’autres déclarations tout aussi putschistes, jusqu’à l’arrivée de la nouvelle invasion de la coalition euro-américaine en 2003, qui a également répété les mêmes étapes que précédemment, en élaborant une nouvelle charte par ses propres agents. Le pire dans la nouvelle charte n’était ni sa rédaction étrangère, ni l’exclusion d’un tiers du peuple dans sa négociation, mais sa traduction. Car le texte final approuvé par référendum ne fut rien d’autre que l’œuvre d’interprètes ineptes, ne représentant pas la complexité sociopolitique, il ne fut pas l’œuvre de juristes, ni n’a été élaboré par des traducteurs spécialisés. Pour mieux le comprendre, il est nécessaire de recourir au texte anglais, malgré le fait que le texte officiel approuvé lors du référendum est celui en arabe, pitoyablement traduit.

Laissons de côté les problèmes évidents de légitimité et de légalité du texte, car le texte final présente d’énormes problèmes de compréhension, et donc d’interprétation normative. De nombreuses fautes d’orthographe rendent impossible le déchiffrage des intentions, plusieurs citations et références se terminent par des exemples finissant par etcétéras. Plusieurs universitaires ont insisté pour que je le commente ou le critique, ou ce qu’il serait advenu de mon projet précédent (Alnasir, 2003), cependant j’ai préféré m’abstenir, car ce texte ne peut s’honorer du titre qu’il porte, celui de Constitution, et ne mérite pas non plus d’être critiqué dans cette catégorie. J’ai alors essayé de m’abstenir pour ne pas refléter cette rancœur dans la critique, mais chaque jour il y a de plus en plus de raisons qui révèlent l’échec et le danger manifeste de ce texte. Il ne s’agit pas seulement de l’échec et de la violence de l’État, mais d’un échec flagrant et de la violence potentielle d’une Constitution. C’est pourquoi l’Irak a besoin de toute urgence d’une véritable Constitution.

Les calamités constitutionnelles ont été nombreuses (Alnasir, 2021a), mais le plus significatif aujourd’hui est une affaire qui aura de graves répercussions sur l’économie mondiale. La Cour suprême irakienne vient de se prononcer, à la mi-février, sur un conflit né de la Constitution elle-même et qui aura non seulement d’importantes répercussions internationales, mais aussi, et très probablement, entraînera l’invasion du pays par la Turquie. Tout cela à cause de l’absurde conception et rédaction de la Constitution. Je l’explique ci-dessous.

L’article 111 de la Constitution irakienne dite de 2005 stipule que « le pétrole et le gaz sont les propriétés de toute la nation dans toutes les régions et provinces ». Cette référence suscite plus de doutes qu’elle n’en annonce, car elle ne se réfère pas à tous les hydrocarbures, ni à tous les minéraux que le pays détient, mais mentionne exclusivement le pétrole et le gaz.

Article 112.1. Cependant, l’article suivant, 112.1, dit ceci : Le gouvernement fédéral administrera le pétrole et le gaz extraits des gisements actuels avec les gouvernements régionaux et provinciaux producteurs afin que les bénéfices soient distribués équitablement entre toute la population sur l’ensemble du territoire national ;  un pourcentage sera attribué aux régions sinistrées qui ont souffert de l’injustice du régime précédent afin de rétablir l’équilibre entre les différentes zones du pays, et une loi le régularisera » .

L’imprécision de la rédaction précédente n’est pas due à ma traduction ; j’ai essayé de respecter la même forme, sans déplacer  une seule virgule dans tout le texte, de sorte qu’il s’agit, presque littéralement, de la formulation originelle. Elle est cependant très différente de la version anglaise du texte, telle qu’elle a été éditée à partir de la proposition américaine. Cependant, la proposition du texte n’indique rien de clair, car :

1) elle ne précise pas la raison de cette circonscription des sites actuels, et ce qu’il adviendrait ensuite des sites futurs ?

2) elle ne précise pas non plus pourquoi cette limitation explicite au pétrole et au gaz, et ce qu’il en serait des autres minéraux ?

3) et conformément à ce qui précède, on ne sait pas à quoi se réfère cette mutualisation administrative avec les régions ; si elle concerne aussi les sites futurs, ou seulement les sites actuels ?

4) il n’y a pas de spécificité ou de définition des régions sinistrées, car on ne sait pas auxquelles le texte fait référence, ni la forme de répartition, car le paragraphe précédent se réfère d’abord à la répartition démographique, mais ensuite aux régions sinistrées, ce qui n’indique pas non plus la durée dans le temps de cette supposée compensation.

Nonobstant tout ce qui précède, tout ce dispositif finit par faire allusion au fait qu’il est régi par une loi ordinaire.

Article 112.2. Avant de poursuivre en exposant le problème, il est nécessaire de se référer au paragraphe suivant du même article, 112.2, qui dit ceci : « Le gouvernement fédéral, en collaboration avec les gouvernements régionaux et provinciaux, concevra les politiques stratégiques nécessaires au développement de la richesse pétrolière et gazière afin d’en assurer le plus grand bénéfice au peuple irakien, en se basant sur les techniques les plus modernes de l’économie de marché et de attractivité des investissements.

De la même manière, on a tenté de respecter une traduction littérale qui reflète les ambiguïtés et les formulations floues du texte originel. C’est ainsi qu’il semble plus facile de se référer à la version anglaise du texte pour se faire une idée de ce qu’il signifie. Rien ne semble préciser les stratégies politiques, au pluriel, et si oui ou non elles seront conçues avec les gouvernements territoriaux, alors que l’article précédent fait référence à une administration conjointe, sous réserve d’être réglementée par une loi originelle. Comment est-il possible que, pour comprendre un texte constitutionnel, il faille recourir à sa version étrangère, alors que la version officielle, constitutive et approuvée par référendum, est plus ambiguë en raison de sa mauvaise traduction.  Cette dernière est aussi la seule prise en compte par les tribunaux !

Article 115. Toutefois, pour conclure ce tour d’horizon, il convient également de se référer de la même manière à l’article 115, qui stipule : « Tout ce qui n’est pas clairement repris parmi les pouvoirs de la fédération doit être compris en faveur des régions et des provinces non incorporées dans la région ; les autres pouvoirs partagés entre la fédération et les régions doivent prévaloir sur la règle régionale et provinciale pour les provinces non incorporées dans la région en cas de contradiction ».

Qui serait capable de déchiffrer un tel dispositif ? Même si nous devions utiliser la version anglaise, elle n’apporterait aucune logique ni cohérence. Tout d’abord, ce qui est conçu est un schéma d’exceptionnalité de l’Etat en faveur des territoires, et non l’inverse, mais aussi, lorsqu’il fait référence aux compétences partagées, il se réfère uniquement aux régions et pas aux provinces, bien qu’il réitère finalement la référence aux normes provinciales. Un dispositif entièrement conçu pour la dissolution de l’État et pour instaurer le chaos et l’incertitude juridique. L’État légifère, et les territoires le contredisent, et pourtant la règle territoriale prévaut alors qu’elle est de la compétence de l’État. Est-il possible d’admettre cette rédaction comme constituante ? Et quels types de conseillers ont donc accompagné les Américains dans cette tâche ? Même s’ils sont étrangers, coloniaux ou autres, de quel genre de juristes s’agit-il ? Comment ce schéma pourrait il s’articuler avec le précédent qui fait référence aux ressources minérales dans l’article 112.2 ?

La calamité, ou plutôt au pluriel, les calamités ne s’arrêtent pas là, la pire étant l’interprétation de la Cour suprême fédérale irakienne. Car dans ce labyrinthe, en 2012, le conseil local d’une ville pétrolière du sud du pays, Kut, a accepté d’interdire l’exportation du pétrole de la ville à l’étranger pour couvrir les besoins d’approvisionnement locaux en vertu des articles 111 et 112.1 de la Constitution. Cette résolution a fait l’objet d’un recours de la part du gouvernement central auprès du Tribunal suprême fédéral qui, dans son arrêté du 8/Fed/2012, quelques semaines plus tard, a fait droit au recours du gouvernement, en déclarant que l’application des articles susmentionnés de la Constitution est subordonnée à l’adoption d’une loi ordinaire les réglementant; et étant donné que cette loi n’a pas été adoptée par le législateur, la disposition constitutionnelle est suspendue et en attente d’une réglementation originelle.

En d’autres termes, la cour constitutionnelle appelée à veiller et à sauvegarder la constitution s’est lavée les mains en suspendant le mandat constitutionnel jusqu’à l’intervention du législateur. Toutefois, lors d’une occasion précédente, lorsque le texte constitutionnel faisait référence à un délai spécifique pour une réglementation ordinaire, la Cour a affirmé que le mandat constitutionnel était prescrit lorsque le délai d’adoption d’une loi ordinaire était écoulé bien que le législateur ait omis de s’y conformer. Ce qui semble plus clair, c’est que non seulement la constitution est l’œuvre d’indécis, mais que la haute cour irakienne est un organe de non spécialistes.

D’autre part, et dans le même ordre d’idée, l’article 93.6 de la Constitution, qui énumère les compétences de la Cour suprême, affirme que « la reconnaissance des accusations portées contre le président de la République, le premier ministre et les ministres sera régie par la loi ». Par conséquent, et selon cette doctrine, la compétence de la cour pour reconnaître la responsabilité civile ou pénale de ces accusations serait suspendue jusqu’à ce que les mandataires eux-mêmes, par une loi, règlent cette question ; ainsi du fait que cette loi n’a pas été adoptée, leurs accusations resteront irrecevables, puisqu’il n’y a pas de loi pénale pour la régler.

Ce qui est curieux dans cet exemple, c’est que le journal officiel irakien à la date du 2 juin 2021 a publié une loi 25/2021 réformant le statut de la Cour suprême fédérale. Dans cette réforme, elle énumère et réitère une fois encore les compétences du tribunal déjà mentionnées dans la Constitution, et dans son article 4, paragraphe 6, c’est-à-dire respectant le même ordre du schéma constitutionnel, elle dit « reconnaître les accusations portées contre le président de la République, le premier ministre et les ministres ». En d’autres termes, elle subordonne cette compétence à un règlement ordinaire, de sorte que le législateur ordinaire, par le biais d’une loi statutaire, modifie tacitement la constitution et met fin à la subordination de la compétence du tribunal à une loi ordinaire, non seulement contrairement aux critères constitutifs, mais aussi à ceux du tribunal lui-même. Comment un tel chaos peut-il être considéré comme État ?

De ce qui précède, revenons à la scène du pétrole et aux articles 111, 112.1 et 2, en conjugaison avec l’article 115 décrit ci-dessus. En vertu de la circonscription ouverte qui est désignée par les articles 111 et 112.1 en termes de référence temporelle, des gisements, en se référant uniquement aux gisements actuels, la Région du Kurdistan a adopté en 2007 une loi pour l’exploitation du pétrole et du gaz sur son territoire. Cette loi n’a été ni contestée ni remise en cause de quelque manière que ce soit par le gouvernement central, qui était alors engagé dans le nettoyage ethnique dans ce que les Américains appellent le « triangle du mal », et dans le remplissage de ses comptes courants dans les banques de l’Ouest.

Ensuite, en vertu du régime constitutionnel et de la loi régionale du Kurdistan, le gouvernement régional a conclu plusieurs contrats de recherche avec des sociétés étrangères pour rechercher et exploiter le pétrole, ce qui a effectivement été fait, puisque plusieurs champs pétrolifères ont été découverts sur son territoire. Ensuite l’extraction et le transport ont été mis en route, en utilisant un pipeline appartenant à l’État qui traverse le territoire autonome jusqu’au port turc de Cihan, comme voie d’exportation vers l’Europe, (qui a été) établi dans les années 1980. Face à cette situation, le gouvernement central a protesté auprès du gouvernement turc, exigeant que le gouvernement central reprenne l’utilisation de cet oléoduc, puisqu’il est la propriété exclusive de l’État irakien, et revendiquant également sa compétence exclusive pour l’exploitation du pétrole.

En fait, en 2012, le gouvernement central a intenté un procès contre le gouvernement régional du Kurdistan pour cette action. Ce qui est inexplicable dans cette affaire, c’est que la soi-disant cour suprême, qui avait statué sur l’affaire le 8/fed/2012 de la province de Kut quelques semaines plus tard, a mis de côté le recours sur la même question contre la Région du Kurdistan; elle n’a statué que mi-février 2022, soit dix ans plus tard, sans même prendre une seule mesure de précaution, permettant de poursuivre l’extraction de quelque quatre cent mille barils de pétrole par jour par le gouvernement régional, l’utilisation de l’oléoduc national et sa vente à la Turquie ainsi que sur le marché noir international sans qu’aucune mesure ne soit prise. Cependant, alors que le gouvernement régional du Kurdistan n’avait pas de statut autonome propre, malgré le mandat constitutionnel pour l’adopter, et pas de comptes supervisés, même la réception de ces rentes pétrolières n’a pu être constatée dans les caisses de la région. C’est-à-dire un réseau d’appropriation institutionnelle de l’État par ses propres agents, et voilé par le vide de la constitution et de son interprète, la Cour Suprême.

En 2018, l’affaire a atteint les tribunaux américains, lorsque le gouvernement central a localisé une cargaison à destination du port du Texas, puis a demandé à un tribunal local de la saisir, en invoquant ses pouvoirs constitutionnels, en plus de la loi irakienne sur le pétrole de 1986.

L’affaire aboutit finalement devant la Cour d’appel des États-Unis pour la cinquième circonscription*, dans l’affaire 15-40062. Loin d’entrer dans les controverses de l’affaire, le gouvernement régional, même sans avoir la personnalité juridique internationale, s’est défini en invoquant les articles précités 112.1 et 2 et 115 de la Constitution, et stipulant que la loi pétrolière nationale de 1986 était une norme pré-constitutionnelle à son avis contraire à l’esprit des articles précités et de sa propre loi régionale, qui devait prévaloir sur celle de l’État en vertu de l’article 115. Toutefois, le gouvernement irakien, qui ne contestait pas non plus l’absence de statut juridique international de la région du Kurdistan, a revendiqué sa seule compétence en la matière, ainsi que la propriété de l’oléoduc utilisé pour le transport, de sorte que la Cour a finalement accédé à la demande du gouvernement central et a ordonné la livraison de la cargaison au gouvernement irakien. Toutefois, alors que l’appel était en cours, la cargaison a réussi à sortir du port du Texas, s’est retrouvée en Israël où elle a été déchargée et vendue par le gouvernement régional du Kurdistan.

*La 5e circonscription à sa création comprenait : La Floride, la Géorgie , l’Alabama, le Mississippi , la Louisiane  et le Texas .

A présent, le 15 février de cette année 2022, c’est-à-dire dix ans après l’introduction du recours contre les contrats d’extraction, la Cour irakienne a jugé, dans l’arrêté 59/fed/2012, que les articles susmentionnés de la constitution, en vertu de sa jurisprudence antérieure dans l’affaire de la province de Kut, sont en attente d’une réglementation législative, et ne sont donc ni applicables ni en vigueur d’aucune manière. Ce qui annule la loi pétrolière de la région du Kudistan bien qu’elle n’ait pas fait l’objet d’un recours précis de la part du requérant, le gouvernement.

La région du Kurdistan est sommée d’habiliter le ministère du Pétrole du gouvernement central à renégocier les contrats d’exploitation actuels. Rien n’explique à quoi renvoie cette formule d’habilitation, et ce que serait la renégociation de contrats internationaux conclus en vertu d’une loi, que le tribunal lui-même déclare nulle et non avenue. Cependant, la personnalité juridique internationale de la Région du Kurdistan, qui a conclu ces contrats de manière souveraine sans avoir de personnalité juridique ni de souveraineté, n’est une fois de plus contestée par personne. Tant les contractants que leurs conseillers ont pu se fonder sur la version anglaise du texte constitutionnel, alors que, répétons-le,  la version arabe est la seule juridiquement valable.

Qui pourrait considérer ce texte, ce scénario, ce schéma comme un modèle juridique, ou constitutionnel ? Une nation qui prétend se présenter à la communauté internationale sans une constitution, est comme quelqu’un qui se présente à une soirée dansante en maillot de bain (Hauriou & Gicquel, 1966, p. 73). L’éminent problème actuel est que la Turquie est le pays le plus impliqué, car les contractants étrangers étaient des sociétés turques, qui, en vertu de ces contrats, ont le droit d’exploiter les gisements découverts pendant une période de quatre-vingt-dix-neuf ans. C’est pourquoi la première pièce à bouger c’est l’armée, car l’armée turque a déjà pénétré de quinze kilomètres en territoire irakien, et menace d’avancer pour protéger ses investissements qui, selon l’arrêté de la Cour suprême, doivent être saisis et renégociés par le gouvernement central. Pendant que les gouvernements tant de la région du Kurdistan que de la Turquie font valoir que la constitution ne fait référence qu’aux dépôts actuels de 2005, l’article 115 ouvre la voie à une réglementation autonome des gisements futurs.

Ce qui est clair, ou plutôt, la seule chose qui soit claire, c’est que l’Irak a besoin de toute urgence d’une Constitution, une nouvelle, une vraie Constitution en réalité. Une constitution ne peut induire ni des problèmes, ni de la confusion ni le chaos, sinon elle brise tous les critères de définition, mais cette fois-ci elle doit clairement être rédigée par des expatriés et des étrangers. Car la révolte intellectuelle dans le pays semble chaque jour de plus en plus évidente (Alnasir, 2021a, p. 500, 2021b, p. 404). Cette constitution souffre non seulement d’un vide étatique, mais aussi d’un vide intellectuel. Des individus sans aucune formation académique, sans avoir jamais fréquenté une université de leur vie, occupent des postes de commandement politique, administratif et judiciaire dans le pays, et le résultat est évident. Depuis l’adoption de ladite Constitution en 2005, plusieurs millions d’Irakiens ont été contraints à l’exil, et les frontières de l’Europe en témoignent quotidiennement. Depuis son adoption, ce texte n’a créé que ségrégation, calamités, guerres et instabilité à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et il entraîne aujourd’hui l’économie mondiale dans un nouveau choc économique. Comment admettre qu’une telle entité soit reconnue comme un État dans la communauté internationale, et qu’on se réfère à ce texte et à ces organes comme à une Constitution et à une Cour constitutionnelle ?

Il est également paradoxal de voir parmi les voix qui clament  l’échec de l’État et l’ineptie de son fonctionnement d’en trouver qui en ont fait partie ;  Alaaldin (2021), qui a été, dit-il, conseiller de deux présidents irakiens, affirme, et réitère, dans les débats académiques, l’échec total de l’État irakien. Car si le témoignage provient déjà d’un haut responsable politique, que pourrions-nous faire de plus au niveau académique ?

Traduction de l’espagnol : Ginette Baudelet, Annie Fajoles, Tatiana De Barelli

Bibliographie :

Alaaldin, F. (2021, febrero 6). A State in Collapse : Iraq’s Security and Governance Failures. The Washington Institute.

https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/state-collapse-iraqs-security-and-governance-failures

Alnasir, S. (2021a). Calamidades del Derecho (post)Colonial y su Orientalismo : Religión, Identidad y libertad individual en Egipto, Iraq y Túnez. Boletín Mexicano de Derecho Comparado, 158, 485-519.

https://doi.org/10.22201/iij.24484873e.2020.158.15627

Alnasir, S. (2021b). Creencia y pertenencia, el laberinto de las sociedades posotomanas. Passagens : Revista Internacional de História Política e Cultura Jurídica, 13(3), 389-418. https://doi.org/10.15175/1984-2503-202113301

Alnasir, S. (2021c, abril 23). Las revueltas de octubre 2019, el laberinto de la desesperación aprendida en Iraq. I Seminario Intercongresual del Comité 32 de la FES : Relaciones Internacionales, Estudios de Áreas y Globalización, Ciudad Real. https://doi.org/10.13140/RG.2.2.29228.80005

Cordesman, A., & Molot, M. (2019). Iraq as a Failed State (p. 17). Center for Strategic & International Studies. https://www.csis.org/analysis/iraq-failed-state

Filkins, D. (2014, abril 21). What We Left Behind. The New Yorker. http://www.newyorker.com/magazine/2014/04/28/what-we-left-behind

Flibbert, A. (2013). The Consequences of Forced State Failure in Iraq. Political Science Quarterly, 128(1), 67-95.

Gargarella, R. (2021). El derecho como una conversación entre iguales. Siglo XXI Editores.

Hauriou, A., & Gicquel, J. (1966). Droit constitutionnel et institutions politiques. Montchrestien.

Jayamaha, B., Petit, K., & Reno, W. (2017, abril 21). Iraq’s Path to State Failure | Small Wars Journal. Small Wars Journal.

https://smallwarsjournal.com/jrnl/art/iraq%E2%80%99s-path-to-state-failure

Underhill, N. (2014). Iraq : State Failure, Terrorism, and Insurgency in Context — Part 1. En N. Underhill (Ed.), Countering Global Terrorism and Insurgency : Calculating the Risk of State Failure in Afghanistan, Pakistan and Iraq (pp. 130-152). Palgrave Macmillan UK. https://doi.org/10.1057/9781137383716_7

L’article original est accessible ici