Un bon livre pour tous ceux qui n’ont jamais pu réellement adhérer au « soupçon de viol » tant de fois ressassée dans notre presse mainstream contre le fondateur de Wikileaks.
Les crimes contre Julian Assange sont présentés par l’expert onusien Nils Melzer, la procédure judiciaire de Londres, dénoncée comme non fondée sur le droit. A juste titre. Il est de notoriété publique que le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, par ailleurs titulaire de la Chaire des droits de l’homme de l’Académie de droit international humanitaire et des droits de l’homme de Genève, n’est ni un complice ni un défenseur d’Assange. Melzer, un avocat des droits de l’homme nommé par l’ONU, se servirait de son mandat diplomatique pour ses propres enquêtes sur le cas Assange – à commencer par le prétendu « soupçon de viol » sur deux Suédoises, dont les media nous rebattent les oreilles depuis dix ans, avant même que le dossier ne fasse mention de Julian Assange. Les critiques littéraires Hannes Sies ou Gerd R Rüger n’ont jamais porté le moindre crédit à ces accusations, allant même jusqu’à évoquer un guet-apens monté par la CIA contre Julian Assange, ce qui leur a valu le qualificatif de « théoriciens du complot ». Ce qui apparaît aujourd’hui, c’est que nous avions bel et bien raison à l’époque : il s’agissait bien d’une cabale montée par les services secrets contre Assange. Car Melzer trouve, comme il doit le reconnaître avec horreur, des dossiers judiciaires suédois manipulés ; et il décrit dans son livre « deux femmes contraintes par les autorités à adapter leurs témoignages au narratif officiel de viol » (p. 149).
Wikileaks et la communauté de valeurs occidentale
Londres, Juin 2021. C’est dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, le « Guantanamo britannique », qu’est détenu depuis trois ans le plus grand journaliste du XXIème siècle à ce jour, Julian Assange. Il est également détenu pour avoir dévoilé les méthodes de torture du véritable camp de prisonniers de Guantanamo, ce goulag US précisément que l’ex-président Barack Obama voulait fermer. Plutôt que les responsables aux USA, ce fut Julien Assange qui fut accusé, pour publication de documents secrets — une des prérogatives des journaliste d’investigation — et pour atteinte supposée à la loi anti-espionnage, un reliquat du temps de la Première Guerre mondiale. Le simulacre de procès se poursuit, le régime londonien de non- droit a fait droit aux juges US en leur livrant le prisonnier politique.
En produisant un compte rendu systématiquement confus des révélations d’Assange, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture prend le risque de saper le cœur de son message. En 2010, la justice suédoise a délibérément falsifié des preuves et manipulé les déclarations des témoins pour construire un soupçon de viol contre Julian Assange.
Le Suisse Melzer, qui parle couramment le suédois, s’est intéressé de près au dossier suédois de l’affaire Assange. Mais personne, dans les media dominants, ne voulait en entendre parler. A force d’acharnement sur les medias du Net, il a fini par rencontrer l’attention du public. Il produisit alors un livre qui décrivait méticuleusement son travail, « Le cas Assange : histoire d’une persécution » ; il en conclut en page 320 :
« Cette procédure lancée contre Assange n’a pas véritablement pour but de punir Assange lui- même, mais plutôt d’établir un précédent d’intimidation pour les journalistes, publicistes ou activistes, de façon à pouvoir désormais poursuivre au pénal quiconque sur la surface du globe oserait porter les manigances du gouvernement à la connaissance du public. »
Melzer critique les media dominants. Il se trouve effectivement quelques contributions pour prendre le parti d’Assange, même si c’est du bout des lèvres, et pour reconnaître le danger que court la liberté de la presse, mais « pas une seule entreprise de presse pour protester contre l’arbitraire judiciaire qui irrigue toute cette affaire. » (p. 312). Cet arbitraire judiciaire se manifeste dans la complaisance britannique vis-à-vis de l’accusation déposée par les USA devant le tribunal de Londres :
« Petit à petit, les arguments les plus aberrants des USA ont été validés sans la moindre critique. Au même moment, comme par hasard, le juge d’arrondissement Baraitser repoussait purement et simplement aussi bien les objections juridiques que les expertises et dépositions à décharge de la défense. » (Le cas Julian Assange : Histoire d’une persécution, p. 318).
Dans son rapport, qui se lit comme un thriller sur la justice, Melzer en vient à des conclusions qui recouvrent parfaitement ce qui scandalise les partisans d’Assange depuis dix ans : le fondateur de Wiki-Leaks a été la victime d’une intrigue, d’une campagne de diffamation impitoyable et de persécutions politiques.
Il s’agit donc d’un crime d’Etat, pour lequel les responsables des Etats associés — les USA, la Grande-Bretagne, la Suède ainsi que, dernièrement, l’Equateur — devraient être traduits en Justice. Contre Assange, les USA n’ont rien pu présenter d’autre devant le tribunal que ce qu’affirme la juge londonienne dans son jugement, rien en tout cas qui, du point de vue de Melzer, relève du pénal. Dans une procédure fondée sur l’Etat de droit, Assange serait un homme libre depuis belle lurette. Ce qui revient à reprocher à la justice son caractère arbitraire.
Dans son livre, Melzer se dit convaincu que la presse occidentale, avec sa participation complaisante à la campagne de diffamation contre Assange, s’est faite la complice de torture psychique — il parle de harcèlement public (p. 109). Le fonctionnaire de l’ONU critique également l’absence durable d’attention médiatique sur le cas Assange. Si les media occidentaux dominants se sentaient réellement scandalisés par la justice arbitraire, explique-t-il, il en ressortirait vite un non-lieu. « Car si les gouvernements craignent une chose, c’est les feux de la rampe et les questions critiques des media de masse. » (p. 312)
Et pourtant, on ne voit arriver ni l’un, ni l’autre. Au lieu de quoi les media occidentaux dominants attaquent Nils Melzer, le messager de la désagréable nouvelle que c’est bien à l’Ouest qu’un dissident est torturé par des gouvernements occidentaux, et non pas dans un pays lointain et hostile.
Il semble que parfois les médias puissent fonctionner, nous dit Melzer à travers l’histoire d’Iwan Golunow, un journaliste critique russe. En 2019, ce journaliste découvrit des cas de corruption des autorités dans son pays, suite à quoi il fut rapidement accusé de trafic de drogue, puis mis en prison. Contrairement à l’attitude de nos médias dominants vis-à-vis d’Assange, écrit Melzer, la presse mainstream russe se porta courageusement au côté du dissident.
« Nous sommes tous des Iwan Golunow! », titrèrent d’une seule voix les Unes des trois quotidiens russes les plus connus… Les journaux remettaient en question la légitimité de l’emprisonnement de Golunow et exigeaient une enquête approfondie. Pris en flagrant délit et mis crûment sous les projecteurs de l’actualité que sont les mass media, les autorités russes font machine arrière les jours suivants. C’est le président Poutine en personne qui ordonne la libération de Golunow et le licenciement de deux représentants de haut rang du ministère de l’Intérieur. » (Le cas Julian Assange : Histoire d’une persécution, p. 311).
Melzer nous met sous le nez ces journalistes mainstream qui s’acharnent de manière obsessionnelle contre Poutine et la Russie : c’est ainsi que fonctionne une presse libre — au moins dans le cas de Golunow — en Russie ! Les chefs d’Etat des USA ou de la Grande- Bretagne pourraient s’en inspirer dans le cas Assange et tourner le dos aux autorités judiciaires. Si seulement notre presse était aussi courageuse que celle des Russes — plutôt que de ne pas parler de Nils Melzer ou de le charger d’un défaitisme tiré par les cheveux.
Mais pendant dix ans, la presse mainstream s’est majoritairement fait l’écho des plus petits défauts de Julian Assange (voire de défauts qu’on lui aurait indûment attribués, comme le fait qu’il aurait privé son chat de nourriture) et l’a traité de marginal. Pour ces impitoyables clairons de la propagande, Melzer n’est que la confirmation de leur propre médiocrité — ce point de vue est tellement juste qu’ils n’ont plus à lui opposer qu’un silence honteux.
L’un des plus grands scandales judiciaires de tous les temps
WikiLeaks a publié en 2010 « Afghan War Diary » (« Journal de la guerre afghane »), la plus grande fuite de l’histoire militaire américaine, apportant des preuves de crimes de guerre et de tortures. Peu après, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, est soupçonné de viol par la Suède tandis qu’une Cour d’assises américaine secrète ouvre une enquête pour espionnage.
Après lui avoir offert pendant des années l’asile politique, l’Equateur livre Assange à la police britannique. Immédiatement, les USA, où il risque jusqu’à 175 ans de prison, demandent son extradition. Dans un premier temps, Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, refuse de se laisser embarquer dans cette histoire.
Pour les besoins de son enquête, il rencontre Assange en prison, et c’est à ce moment seulement qu’il comprend enfin les manœuvres de diversion élaborées par les différents Etats. Il commence alors à voir cette affaire pour ce qu’elle est vraiment : l’histoire d’une persécution politique. Le cas Assange doit devenir une « condamnation pour l’exemple » — au grand dam de tous ceux qui veulent faire la lumière sur les secrets peu ragoûtants des puissants. Ce livre captivant raconte pour la première fois l’histoire de l’enquête de Nils Melzer dans son intégralité.
Der Fall Julian Assange. Geschichte einer Verfolgung. Piper Verlag 2021. 336 Seiten, ca. 35.00 SFr, ISBN 978-3-492-07076-8
Traduit de l’allemand par Didier Aviat