Par Iñaki Chaves sur Pateras al Sur
Publié dans Mundo Obrero du 07/03/2022
Cette année encore, c’est le moment de revendiquer ce qui devrait être la norme et la normalité dans toute société démocratique. Parmi les nombreux événements dont les femmes ont été les actrices principales et qui ont eu lieu l’année dernière, il faut en souligner un plus particulièrement : la légalisation de l’avortement en Colombie pendant les vingt-quatre premières semaines de gestation.
Il n’échappe à personne que les droits des femmes sont beaucoup plus difficiles à obtenir que ceux des femmes « non genrées ». Elles doivent se battre plus longtemps, plus durement, notamment parce que ceux qui décident les potentielles victoires des femmes sont des hommes, au travers des lois et des gouvernements.
Les Nations-Unies reconnaissent que les femmes souffrent d’une « plus grande vulnérabilité découlant de facteurs sociaux, économiques et culturels ». Par conséquent, ce succès en Colombie est un pas de plus vers la réalisation de « l’égalité des sexes aujourd’hui et pour un avenir durable » exigée par l’ONU le 8 mars 2022.
L’ arrêt C-055 du 21 février 2022 déclare « constitutionnelle la criminalisation du délit d’avortement consenti, en ce sens que le délit ne se produit pas lorsque l’avortement est réalisé avant la 24ème semaine de gestation et, sous réserve de cette limite, lorsque les motifs énoncés dans l’arrêt C-355 de 2006 sont présents ». Enfin, le Congrès de la République et le Gouvernement national sont invités à formuler et à mettre en œuvre « une politique publique globale en la matière ».
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle colombienne ouvre un nouveau panorama pour les femmes et leurs droits dans le pays et, par extension, en Amérique Latine. Avec cette décision, on met fin à des années de complaintes restées sans réponse à un droit ignoré régulièrement par un Congrès de la République nettement masculin, blanc et conservateur.
Nommer entraîne toujours l’oubli de quelqu’un sur une liste, c’est pourquoi nous ne voulons pas inscrire de noms et prénoms sur ce jour mémorable. Cependant, un collectif mérite de rester dans les mémoires pour son endurance et sa lutte dans l’obtention d’une décision juridique aussi importante : Causa Justa, « un mouvement qui cherche la liberté et l’autonomie reproductive pour toutes les femmes ». Promu par la Chaire pour la Vie et la Santé des Femmes (Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres), il est composé « d’autres organisations de femmes, féministes, et de défense des droits de l’homme, et de différents acteurs, notamment des militants, des prestataires de services de santé, des universitaires et des centres de recherche de tout le pays ».
L’organisation colombienne a été soutenue dans son combat par Human Rights Watch. L’ONG internationale a soumis une procédure d’amicus curiae demandant à la Cour de « prendre en considération les normes des droits de l’homme relatives à l’avortement ». Elle a souligné que « la criminalisation de l’avortement est incompatible avec les obligations internationales de la Colombie en matière de droits de l’homme », et que, comme indiqué dans ses rapports au cours des 15 dernières années, « les cadres juridiques qui criminalisent l’avortement créent un environnement dans lequel les femmes et les jeunes filles ont recours à des procédures dangereuses qui mettent en danger leur santé et leur vie ».
Cet arrêt est, n’en déplaise à ceux qu’il concerne, y compris le pantin président du pays, un succès important pour les femmes, pour la gestion de leur propre corps, de leur santé sexuelle et reproductive. Mais c’est aussi un triomphe pour la démocratie, une réussite pour ces cinquante pour cent de la population qui sentent qu’ils font vraiment partie de la société à laquelle ils contribuent et appartiennent, qu’il y a une équité et une justice sociale.
Le droit à l’avortement ne signifie pas le devoir d’avorter, je suppose que ce n’est pas une pilule agréable à avaler. Elle donne aux femmes la possibilité de disposer de leur corps sans être stigmatisées par la criminalité et les accusations de la société.
Traduction de l’espagnol : Frédérique Drouet