Par Stefano Bleggi
Iuventa crew: « Les personnes en mouvement sont littéralement condamnées à mort par un régime de frontière européen. »
Cinq ans après les enquêtes les plus vastes et controversées sur les Ong en méditerranée, le 21 mai va finalement commencer, avec une audience préliminaire auprès du tribunal de Trapani (Sicile), le procès relatif aux accusations contre 21 personnes engagées dans des opérations de recherche et de secours en mer méditerranée.
L’audience a pour but d’établir si les charges de « complicité et d’aide à l’entrée non autorisée en Italie » pourront être abandonnées, ou si on entamera un débat qui pourrait durer des années et va se conclure par de lourdes condamnations pouvant aller jusqu’à 20 ans de réclusion.
Parmi les prévenus – rapporte Iuventa crew – quatre sont allemands et faisaient partie de l’équipage du navire de sauvetage Iuventa, du temps de l’Ong berlinoise Jugen Rettet. Il s’agit de Kathrin Schmidt, Dariush Beigui, Sascha Girke et Uli Tröder, qui « en 2016/2017 ont contribué à sauver plus de 14.000 personnes de la mort par noyade en méditerranée centrale. »
« Le Parquet – précise la crew – allègue que ces sauvetages n’ont pas été effectués pour répondre à une situation de danger en mer, ni pour éviter la mort certaine des personnes. L’accusation estime au contraire que l’intention était de faciliter illégalement l’entrée de personnes en Italie. »
Les enquêtes engagées par le Parquet de Trapani en 2016 ont acquis une notoriété internationale en aout 2017, après avoir procédé à la saisie du navire Iuventa. Elles ont également fait parler d’elles à cause de leurs méthodes d’investigation, incluant des agents sous couverture et des écoutes téléphoniques y compris envers des journalistes, avocats et membres du clergé. Le ministre de l’Intérieur était alors Marco Minniti; il fut, avec Paolo Gentiloni, comme lui du PD (Partito Democratico), parmi les promoteurs de l’accord avec la Lybie (refinancé depuis peu par le gouvernement Draghi), visant à repousser et bloquer les migrants dans les centres de détention. À l’opposition de ce gouvernement siégeaient encore Matteo Salvini (Ligue du nord), qui aujourd’hui s’en va chercher les réfugiés ukrainiens de Pologne en bus, et Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoiles) qui avait défini les navires de sauvetage « des taxis de la mer ».
Amnesty International – rappelle encore le collectif allemand – a pris une position claire dans une enquête récente sur ce cas : « les accusations envers la Iuventa constituent une violation du droit d’association et de défense des droits humains, ainsi qu’une violation des droits des réfugiés et des migrants, y compris leur droit à la vie. »
Nicola Canestrini, avocat de l’équipage, expose la ligne défensive qui sera adoptée : « Nous entendons démontrer que les opérations de la Iuventa étaient parfaitement légales, étant donné que la demande d’asile est un droit fondamental de tout être humain. Être secouru en mer d’une noyade certaine l’est aussi. L’équipage est poursuivi pour avoir défendu les droits humains les plus fondamentaux : ce sont ceux qui ont ignoré ces mêmes droits qui devraient être poursuivis. »
Si on continue à mourir en méditerranée centrale et aux autres frontières de l’union européenne, même si cela ne provoque plus d’émoi et si c’est désormais la normalité, il y a en amont un motif bien précis, qu’il faudrait prendre en considération à chaque fois qu’on associe l’intervention humanitaire et solidaire aux migrations.
Comme l’explique Pia Kemp, auparavant capitaine de Iuventa et de Sea Watch et à présent capitaine de la Louise Michel, « soutenir les personnes en mouvement ne devient un crime que quand l’acte même d’être en mouvement est déclaré crime. Les réfugiés et les migrants sont criminalisés en fait et en droit en Europe – justement parce qu’ils sont en mouvement. S’il n’existe pas de possibilités « régulières » de traverser les frontières, alors l’illégalité est un automatisme. »
« Il y a un grand intérêt politique à garantir que les personnes nées avec un « mauvais » passeport continuent à être bloquées, repoussées, emprisonnées ou tuées. Les personnes en mouvement sont littéralement condamnées à mort par un régime de frontière européen. C’est ça la principale injustice, pas notre criminalisation à nous, européens privilégiés, ou celle des Ong », conclut Kathrin Schmidt, accusée avec Iuventa.
Nous suivrons le procès, en demandant avec nos amis de Iuventa et d’Amnesty International l’acquittement complet de toutes les personnes poursuivies.
Traduction de l’italien : Dominique Florein