Par le Professeur Jem Bendell, Stratège et éducateur en matière de changement social, axé sur l’Adaptation Radicale à l’effondrement de la société.
Le choix de la non-violence dans l’activisme climatique et dans l’adaptation radicale est un principe central, et nous devons condamner toute personne qui suggère le contraire. En tolérant le moindre écart à ce principe nous nous exposons à des risques trop importants, nous n’avons donc pas d’autre choix que de risquer des réactions pénibles, même de la part de nos collègues, lorsque nous y sommes confrontés.
Essayer de réduire les dégâts et leurs prémisses pendant la dislocation et l’effondrement de la société ne va pas être joli. J’ai créé le Deep Adaptation Forum (DAF, « Forum de l’Adaptation Radicale ») comme un lieu sûr pour que les gens puissent s’aider mutuellement à gérer leurs émotions, et à trouver des moyens pour réduire les dégâts, préserver la nature, et pour trouver du sens et de la joie dans ce processus. Il a été merveilleux de voir l’engagement volontaire de personnes du monde entier pour développer ces activités. J’ai quitté les activités quotidiennes en septembre 2020, et le 8 février de cette année (2021), j’ai présenté ma démission du conseil d’administration non exécutif du DAF, appelé le « Holding Group ». C’est la dernière étape de mon retrait, en accord avec ma compréhension des études qui montrent que nous, les humains, sommes susceptibles de suivre un processus contre-productif d’auto-infantilisation, en débattant du caractère et des opinions du « leader », plutôt qu’en prenant nous-mêmes des responsabilités. Je suis enchanté que deux femmes expérimentées du Sud aient accepté d’être nommées à ma place, et je suis impatient de les voir communiquer sur l’Adaptation Radicale.
En 2018, avant de soutenir le lancement de Extinction Rebellion, j’ai vérifié auprès des fondateurs qu’ils étaient partisans de la non-violence, ce qu’ils ont confirmé avec une ferme conviction philosophique dans leurs communications. Ensuite, lorsque nous avons lancé le DAF en 2019, nous avons fait de la non-violence et de la prévention des discours de haine des principes centraux, et les modérateurs des plateformes ont gardé un œil attentif sur ce point. Scientists Rebellion, qui sera lancé le mois prochain, s’engage également en faveur de la non-violence. Je me joindrai à de nombreux scientifiques pour un jeûne de solidarité de 4 jours, afin de soutenir leur démarche de réveil des consciences par une action directe non-violente.
Pourquoi la non-violence est-elle si importante ? Pour de nombreuses raisons. Premièrement, parce que nous pouvons voir dans l’Histoire comment les conceptions idéologiques peuvent servir de couverture à une terrible violence. Deuxièmement, parce que nous entrons dans une période de bouleversement mondial, où les gens se sentent à juste titre plus vulnérables, et sont donc plus sensibles aux discours de haine, d’accusation, de repli sur soi et de vengeance. Le DAF existe pour inviter les gens à trouver et à développer des réponses plus aimables et plus sages à ce sentiment de vulnérabilité. Troisièmement, la non-violence est logique, car les personnes qui partagent nos opinions n’ont pas accès aux moyens d’exercer une force sur les autres. Donc s’il y a un vrai combat, nous perdons. Quatrièmement, la non-violence est inclusive. Lorsque j’étais dans le mouvement altermondialiste, j’ai vu comment le Black Bloc anarchiste a tenté d’inciter à la violence contre des manifestants pacifiques afin de les radicaliser, mais il a simplement empêché de nombreuses personnes âgées, jeunes, faibles ou issues de groupes marginalisés de manifester à l’avenir. Cinquièmement, la non-violence est importante pour la survie d’une initiative. Si un groupe ne se surveille pas pour empêcher les appels ou les projets de violence, il est probable qu’il sera fermé. C’est pourquoi il y a eu des infiltrés soutenus par l’État dans le Black Bloc anarchiste, pour essayer d’inciter à la violence afin de légitimer ensuite la répression de l’État contre le mouvement militant au sens large, comme je l’ai vu dans les rues de Gênes en 2001. Sixièmement, parce que face à l’horrible destruction de la vie sur Terre, et à notre vulnérabilité accrue, la question de savoir pour quoi nous voulons le plus vivre tend à aboutir à l’amour universel. Cela signifie que nous n’avons plus les illusions de l’altérité et de la haine, qui réduisent les gens à des objets de violence.
L’importance stratégique de la non-violence s’est accrue alors que les gouvernements tentent de plus en plus de criminaliser et de réprimer les critiques radicales et les mouvements de protestation. Au Royaume-Uni, un rapport d’un ancien chef de la lutte antiterroriste a affirmé que le groupe non-violent Extinction Rebellion devrait être traité par l’État comme un groupe terroriste. Ce rapport m’a identifié comme l’un des principaux intellectuels à l’origine du mouvement. D’une part, un tel rapport est ridicule, car quiconque s’intéresse à Extinction Rebellion ou à moi sait à quel point nous sommes non-violents. D’autre part, cela signifie que je n’ai pas d’autre choix que d’être extrêmement vigilant à l’égard de toute personne directement ou indirectement associée à moi qui pourrait laisser entendre que la violence est acceptable. Je dois non seulement en parler en privé, mais aussi la condamner publiquement et recommander que des mesures soient prises. Toute autre attitude risquerait de saboter les efforts des centaines d’activistes et de bénévoles extraordinaires qui travaillent dans les domaines de l’activisme climatique et de la préparation à l’effondrement.
Alors pourquoi dis-je qu’essayer de réduire les dégâts et leurs prémisses pendant la dislocation et l’effondrement de la société ne va pas être joli ? Parce que nous devrons parfois contester les opinions des gens, et risquer des discussions inconfortables et des mauvaises réactions. Lorsque vous prévoyez de ne pas vivre vieux, à cause du chaos climatique, il est encore plus triste de se lancer dans des querelles interpersonnelles. Et pourtant, garder le silence pour avoir une vie plus facile n’est pas une option dans un monde où les gens incitent à la haine et à la violence, parfois de manière compulsive en raison de leurs blessures psychologiques.
Au cours des deux années d’existence du DAF, j’ai rarement vu des personnes parler, de près ou de loin, de l’acceptation de la violence comme méthode de changement, et quand c’est arrivé elles ont été averties et retirées des plateformes. Cependant, les bénévoles ne peuvent pas vérifier les communications des personnes évoluant dans le domaine de l’Adaptation Radicale en dehors des plateformes qu’ils administrent. Alors que faisons-nous lorsque nous voyons des personnes que nous avons rencontrées ou avec lesquelles nous avons travaillé dans le domaine de l’activisme climatique promouvoir ou tolérer la violence ailleurs ?
Je pense que nous devons le signaler.
Ce n’est pas suffisant, mais c’est un premier pas.
Sur Twitter, une personne que je connais par le biais du réseau de l’Adaptation Radicale a lancé un débat pour savoir si la non-violence est inutile, en faisant la promotion d’un événement qui explore la question. Les organisateurs ont déclaré : « Les nouvelles générations du mouvement écologiste ont été convaincues qu’une adhésion rigide à la non-violence est la seule façon d’avancer. C’est pourquoi nous allons discuter avec Peter pour contester ces idées et proposer une autre perspective sur le débat entre la non-violence et la diversité des tactiques ». Une telle déclaration est clairement ridicule, car lorsqu’il y a des tactiques violentes, l’État utilise ce fait pour mettre un terme à la diversité des tactiques non violentes également. Et vous savez quoi ? Les extrémistes intelligents le savent.
Le silence autour de la violence est-il une option ? Si ce n’est pas le cas, le silence autour de l’incitation à la violence est-il une option ? Non. Mais quelle est la meilleure façon de réagir ?
Je crois qu’il faut essayer de parler avec toute personne qui exprime un point de vue violent ou qui soutient indirectement la violence, pour pouvoir peut-être en apprendre quelque chose et s’apaiser. Ainsi, pour la personne qui a tweeté (pas seulement une fois) cet événement et ces opinions sur la violence, j’espère qu’il y aura des discussions, un enseignement et un apaisement. J’enverrai les informations utiles aux personnes clés afin qu’elles puissent se pencher sur la question.
Cependant, outre ce dialogue, je pense également que nous devons donner la priorité à l’intégrité des espaces et des mouvements non-violents auxquels nous contribuons, et par conséquent les personnes qui promeuvent la violence ne devraient avoir aucun poste de responsabilité, dans aucune initiative, dans les domaines du climat ou de la préparation à l’effondrement. Qualifier ceci de tone policing (« censure », littéralement « modération du ton » – difficilement traduisible – https://fr.wiktionary.org/wiki/tone_policing) envers les personnes qui ne seraient pas suffisamment polies ou calmes serait hypocrite. Crier et insulter quelqu’un est une chose, mais suggérer que quelqu’un devrait être blessé en est une autre, beaucoup plus grave. Ceux qui le font devraient être isolés de toute influence sur les autres, jusqu’à ce qu’ils réfléchissent à l’origine de cette haine et à ce qu’elle sert.
Je ne crois pas à l’humiliation publique, mais je pense que nous devons tous contester certaines situations lorsque nous les voyons, y compris via les blogs et les médias sociaux. Je le ferai en général, comme je l’ai toujours fait. De plus, compte tenu de toutes les raisons que j’ai expliquées ci-dessus, si je constate que la violence est tacitement ou explicitement acceptée par les personnes impliquées dans les réseaux auxquels je participe, alors je la contesterai plus fermement, comme je le fais aujourd’hui avec ce blog et en alertant les modérateurs ou les organisateurs concernés. Je peux continuer à le faire sans aucun rôle officiel, tout comme chacun d’entre vous.
Je me rends compte que de tels débats publics pourraient empêcher ma propre réconciliation avec les personnes concernées ou leurs amis. Cela me rend triste – comment en suis-je arrivé au point où je pense devoir agir d’une manière qui fâchera certaines personnes contre moi ? D’un côté, j’ai l’impression que ce n’est pas la plus belle fin du monde (de la consommation) que mon cœur sait être possible. Mais, d’un autre côté, c’est la prise de conscience que vivre selon mes principes pendant les futurs bouleversements va entraîner des hauts et des bas, et que je vais faire des erreurs. En réfléchissant à cette question, j’ai décidé qu’une position ferme sur le principe général de la non-violence est un atout important pour pouvoir dialoguer ouvertement avec les personnes avec lesquelles je ne suis pas d’accord.
En conclusion, je voudrais faire remarquer que les antécédents de violence se retrouvent dans la façon dont nous cataloguons les gens, et empêchent de les voir dans toute leur humanité. C’est pourquoi le DAF a donné la priorité à certains modes de médiation (http://iflas.blogspot.com/2020/11/facilitation-for-deep-adaptation-iflas.html). Par conséquent, nous devons tous être vigilants, moi y compris, et apprendre à connaître les façons dont nous pourrions participer ou tolérer des modes de communication qui réduisent la dignité des autres personnes ou groupes de personnes. Cela m’est arrivé récemment. J’avais pensé que lors d’une séance de questions-réponses, le Dr Rupert Read avait parlé des canots de sauvetage comme métaphore des communautés locales résilientes, qu’il parlait d’aider les gens, partout, à créer des moyens autosuffisants pour échapper aux sociétés industrielles. Dans l’interview qu’il nous a accordée, nous avons discuté de la manière dont le travail sur cette autosuffisance peut être mené en solidarité avec les personnes qui font la même chose dans le monde entier. Cela peut aussi signifier que nous devenons moins dépendants des ressources d’autres pays – souvent obtenues par exploitation. Je l’ai déjà entendu parler de ce sujet auparavant, et cela semble cohérent avec les efforts de relocalisation dans le monde entier. Je sais aussi comment une collègue du « groupe d’animation » du DAF (« DAF Holding Group ») explique que sa communauté locale se considère comme un « canot de sauvetage », c’est-à-dire une communauté autosuffisante qui sera prête à faire face à l’afflux de nouveaux arrivants en provenance des villes. Sa « préparation » (du verbe « to prep », préparer, à rapprocher de « prepper », souvent traduit par « survivaliste » ndlt.) est une préparation visant à pouvoir s’occuper d’un plus grand nombre de personnes, et non à les tenir à l’écart. Certains peuvent la trouver naïve, mais j’aime son courage, son attention, sa vision et son action.
Cependant, on m’a récemment fait remarquer que certains environnementalistes parlent des canots de sauvetage d’une manière qui suggère, en étendant la métaphore, que nous devons laisser les gens se noyer, ou qu’ils doivent peut-être devenir des canonnières (des bateaux avec des cannons, ndlt.) dans cet objectif. Je n’étais pas au courant de la façon dont la métaphore du « canot de sauvetage » peut être utilisée pour justifier des attitudes xénophobes défensives, qui seraient l’antécédent pour justifier une violence future. Excuser la violence due au dérèglement climatique est une chose qui me préoccupe, surtout depuis que j’ai appris que nos armées envisagent de futures guerres dans un contexte d’effondrement des systèmes mondiaux. En conséquence, j’ai accepté de participer à un atelier sur ce thème, avec des membres du groupe « Diversité et décolonisation » du DAF, et entre-temps, j’ai supprimé cette partie de l’interview. Une fois l’atelier terminé, je contacterai également Rupert pour une conversation sur ce sujet. Je partagerai les résultats dans un futur blog. Cependant, dans ce cas, Rupert ne parlait pas de violence, et il a été explicite sur la nécessité de chercher à réduire les dégâts et à éviter les réactions fascistes lorsque les sociétés seront de plus en plus sous tension. Il est probable que certains de nos collègues ne soient pas d’accord, nous trouvent naïfs, et nous devrons avoir des discussions inconfortables. Mais nous devons être prêts à cela. Et je dois être prêt à être averti si jamais je fais une erreur. La non-violence n’étant pas négociable, nous devons avoir des discussions difficiles.
Si vous souhaitez savoir comment ce sujet est lié aux questions de justice sociale dans le cadre de l’Adaptation Radicale (https://jembendell.com/2019/11/05/will-we-care-enough-to-matter-to-them-climate-justice-solidarity-and-deep-adaptation/), je vous recommande les entretiens avec le professeur Vanessa Andreotti et Skeena Rathor, membres du groupe d’animation du DAF, où nous parlons de l’importance de l’appaisement après des siècles de violence. La psychologue Nadine Andrews m’en dira plus sur la guérison des traumatismes hérités et ancestraux lors de ma prochaine série de questions-réponses sur l’Adaptation Radicale (https://jembendell.com/2021/02/10/discuss-deepadaptation-with-experts-in-2021/).
Reconnaître et accueillir les émotions de chacun.e, accompagner la prise de conscience et l’acceptation des processus d’effondrements.
Prendre soin des communautés humaines et des écosystèmes, avec inclusion, soutien et entraide.
Agir, expérimenter et apprendre ensemble pour soutenir l’adaptation, en tissant des liens avec les autres initiatives, pour construire un futur désirable et pérenne.
Source en anglais : https://jembendell.com/2021/02/13/as-non-violence-is-non-negotiable-we-must-have-tough-conversations/
Source en français : https://adaptationradicale.org/yeswiki/?NonViolence