Fruit d’un long et bon travail, Editeurs Connection e.V., l’Union Pacifiste de France et War Resisters’ International ont publié un livret intitulé ‘L’objection de conscience en Turquie – Non au service militaire !’ Cette étude est diffusée en ligne et a été préparée en 4 langues : turc, anglais, allemand et français.
Ce livret a commencé à être diffusé le 15 mai 2021, Journée internationale de l’objection de conscience. L’Agence de Presse Internationale Pressenza apporte son soutien à la diffusion de cet ouvrage en publiant les différents chapitres du livret en 4 langues.
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Je m’appelle Mertcan Güler. Même si je n’en savais rien quand j’étais enfant, j’avais déjà l’idée de ne pas vouloir faire l’armée. Je me souviens qu’à l’âge de 6 ans, j’ai dit à ma grand-mère que je ne voulais pas faire le service militaire. J’avais déjà peur à l’époque. Ma grand-mère m’a répondu : « D’ici que ton heure arrive, il n’y aura plus de conscription de toute façon ». Ces mots ont plus de 20 ans, or la conscription est toujours en vigueur en Turquie.
Jusqu’à mes études universitaires, nous devions tous chanter l’hymne national et réciter « Notre serment », ou prétendu tel (andımız en turc), chaque lundi matin avant le début des cours et chaque vendredi soir à la fin des cours. L’hymne national turc et le serment comportent des phrases fascistes. Les premières phrases du serment sont : « Je suis turc, je suis droit, je suis assidu ». Par le biais de la répétition constante, l’État Turc manipule les enfants avec le militarisme et le fascisme pendant toute la durée de l’instruction obligatoire. Il endoctrine. C’est une sorte de lavage de cerveau.
Pendant mes études universitaires, ont eu lieu, en juin 2013, les manifestations du parc de Gezi [Istanbul]. Mes premiers engagements politiques et des changements significatifs de mes idées ont commencé à ce moment-là. Dans les jours qui ont suivi aussi, d’autres vidéos, photos et rapports sur la violence policière à Istanbul ont été partagés en ligne. Ce que nous avons vu était terrifiant. Cette violence et terreur contre les civils étaient dissuasives. Ce qui nous a indignés, nous et d’autres, a été l’action agressive du gouvernement contre les gens ordinaires et même contre ceux qui n’avaient aucune motivation politique. Ils ne faisaient cela que pour réaliser leurs propres ambitions. Les politiques islamistes du gouvernement AKP m’ont fait devenir critique envers l’Islam. Nous avons non seulement vu, mais aussi expérimenté à quel point l’islam peut être brutal et fasciste quand il est au pouvoir.
Berkin Elvan [1], un jeune de 15 ans a été gravement touché à la tête par une capsule de gaz lacrymogène. Il est mort plus tard à l’hôpital. Nous ne pouvions pas imaginer que la terreur d’État irait aussi loin. Nous avons manifesté contre elle. Nous voulions marcher en protestation jusqu’au bâtiment de l’AKP. La police a de nouveau utilisé une violence disproportionnée. Ainsi, elle a prouvé qu’elle n’était pas là pour protéger le peuple, mais bien les représentants de l’AKP. Nous avons fuit les gaz et les balles en caoutchouc, parce que la police nous tirait dessus délibérément et intentionnellement. Nous avons trouvé refuge dans un appartement, où nous nous sommes cachés jusqu’à ce que le calme soit revenu. Comme il y avait danger de poursuites, nous sommes rentrés chez nous en empruntant des itinéraires différents. J’ai continué à regarder derrière moi tout le temps, je me sentais en totale insécurité.
Après ces événements, j’ai compris que je devais résister pour défendre mes droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression, d’association et de réunion, afin de pouvoir exister et survivre. J’ai commencé à échanger des informations avec mes ami·es kurdes et alévis. J’ai appris ce qu’ils avaient vécu, tout ce qu’ils ont souffert. Je ne pouvais plus rester silencieux, je voulais faire quelque chose contre de telles injustices. Rien à voir avec l’origine, la religion ou l’appartenance à une minorité, c’était une simple question d’humanité.
Je ne veux pas qu’on retrouve mon corps dans une caserne à cause de mes opinions politiques. Je ne vais pas nourrir ce gouvernement islamiste avec ses foutaises de « martyr ». Pourquoi faut-il que je tue quelqu’un de toute façon ? Pourquoi devrais-je me battre pour la « Patrie » alors que cette Patrie veut me chasser ? Pourquoi est-ce « ma Patrie », si je n’ai même pas le droit de dire ce que je pense et si je n’ai pas le droit d’y vivre ? Je refuse le service militaire pour des raisons politiques, religieuses et de conscience.
C’est une blessure à vif dans la société turque. Les gens considèrent le service militaire comme un symbole de virilité et de patriotisme parce que l’État et le gouvernement Erdoğan ont toujours admiré la violence et la militarisation. Mais moi, je dis non à cela. J’appelle la nouvelle génération à refuser le service militaire, même si ce n’est pas un chemin facile.
Mertcan Güler
Notes