Le moment historique auquel est confronté l’humanité toute entière est un moment opportun car il incite chacun à réfléchir aux contradictions de la société qui nous sont données de vivre.
La croissance économique, que nous croyions naïvement infinie, nous a finalement emportés vers une compétition fratricide violente. Comme tous les domaines de la vie sont touchés, dès qu’il s’agit de parler d’avenir nous voyons l’apparition de termes comme effondrement, chaos, collapsus…
En tant qu’humanistes nous préférons parler de déclin plutôt que d’effondrement – dont l’impact anxiogène n’échappe à personne. D’autant que le phénomène de « déclin de civilisation » est déjà bien connu dans l’histoire. Bien que dans le cas présent, nous assistions au déclin d’une organisation planétaire parce qu’elle repose sur un système d’économie mondialisée.
Nous voyons apparaitre au grand jour l’impact des inégalités qui ne cesse de grandir dans tous les domaines. Paradoxalement, il semble que sont justement ces inégalités – parce qu’elles sont devenues intolérables sur toute la planète – qui soient l’une des causes principales de ce déclin. Ce système économique génère lui-même sa propre perte ; parce que la croissance à l’infini n’est pas faisable, et parce que l’oppression simultanée de tous les peuples de tous les pays ne soit pas acceptable.
Avec ce déclin, s’écroule aussi le mythe de l’argent. Sa forme de production et son ultra concentration deviennent un non-sens pour la majorité des individus, même parmi ceux qui ont longtemps partagé cette conception des choses.
Si l’argent semble rester, pour l’instant, le pilier de cette civilisation planétaire, l’effondrement de cette valeur centrale est, pour tous les humanistes, une opportunité formidable de changer de paradigme. C’est une occasion sans précédent de construire une nouvelle civilisation planétaire qui mettrait, enfin, l’être humain comme valeur centrale de la construction sociale – et non pas Dieu, la Nation ou la Nature comme l’espèrent certains actuellement.
Prenons garde, dans notre volonté de trouver des coupables, à ne pas assimiler les peuples et les individus à la cupidité, l’égoïsme et la soif de pouvoir de leurs dirigeants.
Des voix s’élèvent déjà contre l’être humain responsable de tous les maux de la planète. « Obéissons à Dieu » crient les uns, « Fermons toutes les frontières » paniquent les autres, « Redonnons tout à la Nature » alertent encore certains. La panique collective et la méfiance grandissante nous entrainent à valoriser des directions sociales dont la violence et l’injustice sont déjà perceptibles.
Tout arrangement social dont l’être humain, dans toutes ses dimensions, ne serait pas la valeur centrale est voué à l’échec. La peur, le pessimisme et le manque de sens à la vie sont mauvais conseillers et pourraient nous orienter vers des formes sociales encore plus nuisibles que celles que nous tentons d’abandonner.
Il est urgent d’établir progressivement une nouvelle éthique sociale qui ne laisserait aucun peuple, ni aucune personne sur le bord du chemin. L’apprentissage individuel et collectif d’un nouveau regard sur la justice et la dignité humaine, rendrait manifeste la priorité de donner à tout le monde de quoi manger et vivre dignement. Cette nouvelle éthique sociale orienterait graduellement l’intention collective vers la répartition des connaissances et des ressources entre tous.
Il est clair que cette direction impose de supprimer le concept de brevets et de toute forme de propriété. La libre circulation des connaissances, ainsi que la liberté de recherche dans tous les domaines permettraient à la science et à la médecine de retrouver leurs lettres de noblesse et de continuer sainement leur constante évolution.
À la vue des découvertes déjà faites (mais interdites d’utilisation par les grandes compagnies), cette libération permettrait la diffusion et le surgissement de nouvelles découvertes scientifiques capables de résoudre de nombreux problèmes médicaux et écologiques auxquels l’être humain et la planète sont confrontés aujourd’hui.
Les humanistes affirment que la bonne connaissance et sa saine utilisation, mène à la justice, à la réconciliation et au dépassement de la douleur et de la souffrance.
Ce déclin accéléré est aussi la fin d’une tentative d’uniformisation culturelle, de croyances et de valeurs imposées. L’effondrement de cette standardisation du « prêt-à-penser » est l’opportunité, pour chacun, de prendre conscience que l’avenir de l’humanité repose sur la reconnaissance de la richesse de la diversité des individus, des peuples et de leurs cultures.
Cela ne fait plus aucun doute pour personne, l’organisation sociale actuelle est totalement basée sur les discriminations et les violences physiques, économiques, sociales, psychologiques, sexuelles, raciales, religieuses et écologiques et sur la chosification de l’être humain. Il est maintenant évident que ce mode de fonctionnement, qui n’a finalement profité qu’à quelques-uns, n’est ni l’unique ni la meilleure option possible.
Il est temps de nous orienter vers des attitudes et des organisations non-violentes et non-discriminatoires. La recherche permanente de faux coupables (étrangers, femmes, jeunes, chômeurs, croyants, retraités…) a montré ses limites, son inefficacité et son injustice.
L’heure de l’apprentissage d’une attitude intérieure permettant d’accorder à l’autre sa liberté de croyances et d’idées – sans pour autant entrer en conflit avec lui – est arrivée.
Le fondement d’une nouvelle civilisation humaine ne peut se baser que sur l’apprentissage de la résistance juste face à tout type de violence et de discrimination, individuelle et sociale.
Dans ce déclin de société de plus en plus oppressant, où tous crient à la liberté, les humanistes préfèrent parler de libération. D’un chemin, sur lequel individuellement et collectivement nous apprenons à nous libérer du joug de croyances mortifères, de conditionnements aliénants, et d’attirances (si commodes) pour la violence et la discrimination.
Le terme effondrement nous laisse croire que tout va tomber d’une seule pièce, comme ces immeubles qui s’effondrent sur eux-mêmes. Mais il n’en est pas ainsi ; chaque déclin de civilisation laisse toujours place à une nouvelle culture, qui surgissait déjà en son sein – même si elle n’est pas reconnue comme telle. Le déclin d’une civilisation n’est pas un phénomène qui laisse face à un grand vide ou à un grand chaos, c’est le remplacement plus ou moins rapide (et plus ou moins violent) d’un système obsolète par un autre.
Restons sereins et rappelons-nous qu’au travers de toutes les civilisations qui se sont succédées, les choses essentielles ont toujours perduré ; l’avancée des sciences et de la médecine, l’éducation des enfants, la création artistique, la recherche de sens à la vie… Aucun déclin de civilisation n’a été, ni ne sera, la fin de l’humanité. Remarquons que nous bénéficions aujourd’hui de toutes les avancées scientifiques de l’histoire humaine, quelle qu’est été l’organisation sociale en cours lors de leurs découvertes.
Néanmoins, ces moments historiques produisent de la peur et de la désorientation. Laissant chacun seul à se demander « Mais que dois-je faire ? », « Dans quelle direction m’orienter ? », « Que puis-je faire dans son quartier ? » (avec ou sans pass sanitaire) « Où habiter ? » (avec ou sans travail ou télétravail) « Puis-je encore aller ou non, voir mes amis à cause du virus ? » …
Parce que l’ancien laisse toujours place au nouveau, les humanistes regardent ce moment social avec une grande foi en l’être humain. Même si – pour l’instant – nous ne trouvons pas comment agir dans notre quartier ou ailleurs, nous proposons d’agir individuellement avec la seule ligne de conduite qui vaille : «Traiter l’autre comme nous aimerions être traités nous-mêmes».
Cette attitude, la plus humaine qui soit, est aussi la plus révolutionnaire parce qu’elle va à contre-courant de l’individualisme et du « tous contre tous ».
Et parce que nous en avons tous l’expérience : lorsque je traite l’autre comme j’aimerai être traité, je me libère.