Extrait de l’excellent blog de Caitlin Johnstone.
Le commandement stratégique américain, cette branche de l’armée de Etats-Unis responsable de l’arsenal nucléaire américain, a tweeté ce qui suit le 20 avril :
« Le spectre actuel de conflits n’est ni linéaire ni prévisible. Nous devons tenir compte de la possibilité d’un conflit menant à une situation qui pourrait conduire très rapidement un adversaire à considérer que son option la moins mauvaise consiste en l’utilisation de l’arme nucléaire. »
Cette déclaration appelée par STRATCOM une « avant-première » de sa déclaration de position qu’il soumet chaque année au Congrès américain, était assez intense pour Twitter et a déclenché beaucoup de réactions inquiètes. Cette inquiétude n’était pas due à une quelconque inexactitude dans la déclaration franche de STRATCOM, mais au fait étrange que le risque croissant de guerre nucléaire dans le monde ne se retrouve quasiment pas dans le discours majoritaire.
#USSTRATCOM Posture Statement Preview: Le spectre actuel de conflits n’est ni linéaire ni prévisible. Nous devons tenir compte de la possibilité d’un conflit menant à une situation qui pourrait conduire très rapidement un adversaire à considérer que son option la moins mauvaise consiste en l’utilisation de l’arme nucléaire pic.twitter.com/4Oe7xkl05L
— US Strategic Command (@US_Stratcom) April 20, 2021
STRATCOM n’a pas seulement préparé l’arsenal nucléaire pour la dissuasion, mais aussi pour « gagner » une guerre nucléaire s’il s’en déclenchait une en raison d’une « situation » (entièrement créée par les Etats-Unis), qui n’est « ni linéaire ni prévisible ». Et il paraît de plus en plus envisageable que cela arrive, alors que l’orthodoxie en vigueur parmi les impérialistes occidentaux, selon laquelle l’hégémonie unipolaire des Etats-Unis doit être préservée à tout prix va droit vers un plongeon américain dans une ère post-primauté.
Les Etats-Unis ont accru les agressions contre la Russie d’une manière qui a terrifié les experts, et il semble qu’ils vont continuer. Ces agressions sont encore compliquées par des fronts de plus en plus tendus comme l’Ukraine, qui menace d’obtenir l’arme nucléaire si elle n’obtient pas l’adhésion à l’OTAN, chacun de ces événements augmentant le risque de conflit. Les agressions contre la Chine, dotée de l’arme nucléaire, augmentent apparemment chaque jour en ce moment, avec des embrasements potentiels en mer de Chine, à Taiwan, au Xinjiang, à Hong Kong, en Inde, et sur d’autres fronts possibles.
Le dirigeant de STRATCOM Charles Richard a déclaré mardi au Comité des Armées du Sénat (SACS) que les capacités nucléaires de la Chine progressent si vite qu’ils ne s’intéressent même plus à des renseignements obtenus depuis plus d’un mois dans leurs réunions, parce qu’ils sont probablement dépassés, et il a demandé une mise à niveau de l’infrastructure nucléaire des Etats-Unis. Richard aurait assuré qu’une partie de l’arsenal nucléaire chinois aurait été récemment préparé à un usage immédiat.
Le fait que les personnes chargées des armes nucléaires américaines voient à présent la Russie et la Chine comme des menaces majeures, et le fait que les participants américains de la guerre froide augmentent la pression à leur égard, sont terrifiants. Le fait qu’une fois de plus ils jouent avec des armes nucléaires « de faible puissance » destinées à un une utilisation effective sur le champ de bataille assombrit encore le tableau. C’est sans compter les tensions entre les puissances nucléaires que sont le Pakistan et l’Inde. Israël et ses voisins, la Corée du Nord et l’empire occidental.
Alors que la Chine maintient la majorité de ses forces en déploiement de temps de paix, des preuves s’accumulent pour démontrer que la Chine a placé une partie de son armement nucléaire en position de lancement sur alerte (Launch on Warning – LOW) et adopte une stratégie limitée « d’état d’alerte avancée ». @US_Stratcom témoignage au SASC, actuellement.
— Barbara Starr (@barbarastarrcnn) April 20, 2021
Le Bulletin des scientifiques nucléaires (Bulletin of the Atomic Scientists) a placé 2021 l’horloge 2021 de l’apocalypse 100 secondes avant minuit, citant la menace croissante de guerre nucléaire :
« L’accélération des programmes nucléaires dans plusieurs pays a conduit le monde dans un territoire moins stable et moins gérable l’année dernière. Le développement de planeurs hypersoniques, de défenses anti-missiles et de systèmes de vecteurs d’armements capables d’utiliser des ogives conventionnelles ou nucléaires peut accroître la probabilité d’erreurs de calcul dans des périodes tendues. Des événements tels que l’assaut meurtrier le mois dernier contre le Capitole des Etats-Unis ont renouvelé des préoccupations légitimes concernant des dirigeants nationaux possédant seuls le contrôle de l’utilisation de l’arme nucléaire. Les nations nucléaires ont cependant ignoré ou sapé les instruments diplomatiques et de sécurité disponibles, destinés à gérer les risques nucléaires. Selon nos estimations, le risque de voir le monde basculer dans une guerre nucléaire – un danger permanent depuis 75 ans – s’est accru en 2020. Un échec mondial, extrêmement dangereux, de résolution des menaces existantes – ce que nous appelions « le nouvel anormal » en 2019 – a renforcé la menace dans le domaine nucléaire, augmentant le risque de catastrophe »
Dans un entretien récent avec Slava Zilber de Phoenix Media, le spécialiste de l’institut Quincy pour une politique nucléaire étatique responsable (Quincy Institute for Responsible Statecraft nuclear policy) Joe Cirincione a décrit un accroissement des technologies des armes parmi toutes les nations nucléaires du monde, dont le futur est qualifié de « sombre ».
« Nous vivons actuellement une course mondiale à l’armement nucléaire. Chacune des neuf nations nucléaires construit de nouvelles armes. Certaines remplacent des armes devenant obsolètes. D’autres agrandissent leurs arsenaux. Mais toutes ces nouvelles armes représentent de nouvelles capacités pour ces pays. Nous assistons donc à une course à l’armement qualitative et quantitative sans aucun contrôle.
Si vous consultez les données récoltées par la Fédération des scientifiques américains, par exemple, vous verrez que – depuis les années 80 au pic de la guerre froide – nous avons diminué les arsenaux nucléaires mondiaux. Nous venons d’un monde de 1986 où environ 70.000 armes nucléaires se trouvaient dans le monde et actuellement il reste environ 13.500 armes nucléaires. C’est une formidable réduction de 85% de ces armements…
Mais la courbe s’aplatit. Il n’y a pas eu de réduction significative depuis des années. Le traité New START de 2010 est le dernier traité de contrôle de l’armement. Cela fait 11 ans. Il n’y a pas eu de traité de réduction depuis lors. Il n’y a pas eu de négociations sur des traités de réduction. Je pense que le futur du contrôle des armements est sombre. C’est sombre. Et je ne perçois pas d’intérêt pour un nouvel accord sur le contrôle des armes de la part des Etats-Unis ou de la Russie. Je suis donc pessimiste pour l’avenir. »
Ainsi que je dois trop souvent le rappeler, le premier risque n’est pas que quiconque va décider de lancer une guerre nucléaire, c’est qu’une arme nucléaire sera utilisée dans un climat de tensions, entouré de mauvaises communications, erreurs de calcul, ou problèmes techniques, ainsi que cela a déjà failli se produire à de nombreuses reprises au cours de la dernière guerre froide, déclenchant le lancement d’autres armes nucléaires prévu par la doctrine de Destruction Mutuelle Garantie.
Plus la situation devient tendue, plus la survenance d’un tel événement devient envisageable. Cette nouvelle guerre froide se développe sur deux fronts, avec son lot de conflits liés compliquant encore les choses. Il existe un si grand nombre de petits acteurs qu’il est impossible de tous les contrôler.
Les gens se plaisent à imaginer que chaque pays disposant de l’arme nucléaire a un « bouton » sur lequel la personne responsable déciderait consciemment d’appuyer pour lancer une guerre nucléaire après une complète délibération, mais ça ne marche pas comme ça. Il se trouve des milliers de personnes dans le monde commandant divers éléments d’arsenaux nucléaires, qui pourraient lancer indépendamment une guerre nucléaire. Des milliers de « boutons ». Il suffit d’un seul. L’arrogance tendant à croire que qui que ce soit pourrait contrôler un tel conflit en toute sécurité, durant des années, est incroyable.
Un rapport de 2014 publié par le journal Earth’s Future a révélé qu’il suffirait de 100 ogives nucléaires pour expédier 5 Téra-grammes de suie noire dans la stratosphère pour des décennies, faisant ainsi obstacle aux rayons solaires et rendant impossible la photosynthèse des plantes. Cela pourrait aisément causer la mort par inanition de tout organisme terrestre qui aurait survécu aux radiations et au chaos climatique. La Chine dispose de centaines d’armes nucléaires, la Russie et les Etats-Unis en ont des milliers.
Cela devrait être le premier sujet de conversation. Il n’existe littéralement pas de question plus urgente sur Terre que la perspective de tous mourir dans une guerre nucléaire.
Mais les gens ne le voient pas.
Lors d’un passage récent à Tucker Carlson Tonight , l’ancien membre du Congrès Tulsi Gabbard a bien décrit l’horreur de la guerre nucléaire et la possibilité très concrète qu’elle nous soit infligée en raison de la folle politique américaine de la corde raide avec la Russie. Elle a parlé franchement, disant « comment une telle guerre aurait un coût au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer, » dépeignant avec exactitude les « centaines de millions de personnes mourant et souffrant alors que leur chair sera brûlée jusqu’aux os ».
Gabbard a eu raison de donner un tel point de vue sur la situation actuelle. Mais si vous lisez les réponses au tweet de Gabbard où elle a partagé une vidéo de cet entretien, vous verrez un déluge de commentaires l’accusant « d’hyperbole », prétendant qu’elle est le fils préféré de Poutine et la réprimandant pour s’être présentée dans l’émission de Tucker Carlson. C’est comme s’ils ne pouvaient même pas entendre ce qu’elle dit, combien c’est réel, combien c’est important.
L’incapacité des gens à réfléchir à cette question témoigne de la puissance du biais de normalité, un biais cognitif qui nous fait supposer que si quelque chose de néfaste ne s’est jamais produit dans le passé, cela ne se produira pas dans le futur. Nous avons survécu à la dernière guerre froide de justesse entièrement et tout bêtement par chance; la seule raison pour laquelle des gens peuvent encore débiter des âneries du style « hyperbole » est que nous avons eu de la chance. Il n’y a pas de raison de penser que nous aurons la même chance dans le contexte de cette nouvelle guerre froide, seul le biais de normalité le fait croire. Croire que nous survivrons à cette guerre froide juste parce que nous avons survécu à la précédente, est aussi sensé que de croire que la roulette russe est sans danger parce que le joueur précédent a survécu.
C’est aussi une indication du pouvoir de la bonne vieille compartimentation psychologique. Les gens ne peuvent pas appréhender l’idée que tout prenne fin, que toutes les personnes qu’ils connaissent et aiment meurent, de voir leurs êtres chers périr dans les flammes ou para les effets des radiations sous leurs yeux, tout ça parce que quelqu’un aurait commis une erreur au mauvais moment, après qu’une bande d’impérialistes avait décidé que la domination planétaire par les Etats-Unis méritait de prendre le risque de jouer aux dés la vie de tous les organismes terrestres.
Mais c’est avant tout un témoignage des mauvaises pratiques universelles des médias occidentaux. Il ne convient pas aux projets de la machine de guerre impériale que des gens se plaignent de leur folie de jeux de guerre froide, de leur politique nucléaire de la corde raide, alors les sténographes des médias effleurent à peine ces questions. Si la presse libre existait vraiment, ce jeu dangereux avec la guerre nucléaire serait porté à l’attention de tous et les gens envahiraient les rues en masse, s’opposant à ce que leurs vies soient prises comme des jetons de casino dans un délirant jeu de tout ou rien.
Il n’existe rien de plus important parmi les petites choses auxquelles nous consacrons chaque jour notre énergie mentale. C’est plus important que votre cheval de bataille préféré. C’est plus important que votre mépris pour Moscou ou Pékin. C’est plus important que mon propre mépris pour l’empire américain. Cela dépasse nos opinions politiques. C’est plus important que toute controverse où nous serions mêlés sur Internet. C’est plus important que de savoir si nous avons un problème avec la présentation de Tulsi Gabbard dans l’émission de Tucker Carlson.
Parce que le jour où les missiles s’envoleront, tout cela n’aura plus la moindre importance. Rien de tout cela. Tout ce qui comptera, c’est que tout se terminera. Si vous ouvrez votre porte et voyez un champignon nucléaire, toutes vos priorités mentales se réorganiseront très vite.
Nous ne devons pas nous trouver dans cette situation. Il n’y a aucune raison valable pour que nos gouvernements jouent à ces jeux avec ces armes. Il n’y a pas de raison nous empêchant de vivre ensemble et collaborer pour un monde plus sain. Seuls les projets psychopathes d’impérialistes avides de pouvoir maintiennent cet équilibre de la folie et cela n’apporte rien, en aucune façon, aux personnes ordinaires comme nous.
La menace croissante de guerre nucléaire est la question la plus urgente au monde et c’est une folie de ne pas la traiter.
Faisons ce que nous pouvons pour que cela change.
Le meilleur moyen d’esquiver les censeurs de l’Internet et vous assurer de voir ce que je publie est de vous inscrire à la liste de diffusion sur mon site web ou sur Substack, qui vous enverra une notification par email pour tout ce que je publie. Mon travail est entièrement soutenu par les lecteurs, alors si vous avez apprécié cet article pensez à le diffuser autour de vous, me liker sur Facebook, suivre mes articles sur Twitter, ou investir un peu d’argent dans ma cagnotte sur Ko-fi, Patreon ou Paypal. Si vous en voulez plus, vous pouvez acheter mes livres. Pour savoir qui je suis, où je vis et ce que j’essaye de faire avec cette plateforme, cliquez ici. Tout le monde, sites racistes exclus, a mon accord pour republier ou traduire tout extrait de cet article (ou d’autre chose que j’ai publié) de la façon qu’il veut, sans payer de droits.
Traduction de l’anglais, Serge Delonville