Par Laura Hernández García
La série « Des féministes qui humanisent » est une séquence d’entretiens dans laquelle des personnes impliquées dans différents aspects de la construction d’une santé intégrale racontent comment le féminisme a changé leur vision, leur manière d’agir et leur conception des pratiques de santé. Cette série vise à susciter des réflexions sur le genre, le féminisme et la santé, en plus d’être un espace de réflexion et d’autonomisation.
On peut lire les articles précédents de la série ici :
Des féminismes qui humanisent. 01- Nidia Kreig
Des féminismes qui humanisent. 02- Diana Bañuelos González
Des féminismes qui humanisent. 03- Alejandra Romo Lopez
Des féminismes qui humanisent. 04- Entretien avec María Belén Echavarría
Des féminismes qui humanisent. 05- Entretien avec Sara Cruz Velasco
Des féminismes qui humanisent. 06- Entretien avec Jacob Sifuentes
Des féminismes qui humanisent. 07- Entretien avec Mariposa Blanca
Mariposa Blanca a 43 ans et a une fille. C’est une artiste, une végétalienne, une abolitionniste, une anticapitaliste. Elle défend les causes du féminisme et du transféminisme ainsi que les droits humains et ceux des enfants. Elle a écrit le livre « L’étreinte collective ». Elle habite Ciudad Autónoma, Buenos Aires, en Argentine.
REHUNO : Est-ce que vous vous identifiez au féminisme ?
Mariposa Blanca : Oui, je m’identifie au féminisme. Et je veux pouvoir le vivre au quotidien, exercer les droits que le féminisme me propose. Parce qu’étant née avec une vulve et ayant été élevée comme une femme, j’ai été condamnée à beaucoup de violences qui sont liées au machisme. Le féminisme, c’est le contraire.
REHUNO : Comment avez-vous connu le féminisme ?
Mariposa Blanca : J’avais entendu parler du féminisme. Mais comme beaucoup de gens, pleine d’ignorance, je croyais que le féminisme était le contraire du machisme. À une époque, j’étais dans une relation sexuelle affective, dont je ne pouvais sortir. J’ai été victime de la violence masculine, de la violence de genre. Ces violences exercées à mon encontre ont été marquées par les addictions, l’alcool et la cocaïne.
Puis un jour, quelqu’un m’a remis un dépliant d’un groupe féministe, dans lequel on proposait des thérapies de groupes pour les femmes qui se trouvaient dans une situation de violence machiste dans leurs liaisons. Et ce dépliant disait que s’il y avait de la violence, il n’y avait pas d’amour. C’est alors que j’ai commencé à m’interroger et j’ai réalisé qu’être féministe c’était comme enlever un grand bandeau des yeux. Et j’ai pu constater que ma vie avait complètement changé.
REHUNO : Comment la rencontre avec le féminisme a-t-elle transformé votre vie ?
Mariposa Blanca : J’ai laissé derrière moi des choses que j’avais vécues pendant de nombreuses années comme étant de ma responsabilité ou pire, de mon karma. Je me suis rendu compte que le système avait agi sur moi, de manière constante depuis ma naissance, et que c’était des violences machistes que j’avais subies. Mais je ne les voyais pas comme telles, car elles m’avaient été inculquées comme étant naturelles
Lorsque j’en ai pris conscience, je me suis auto-qualifiée de féministe. J’ai entamé tout un processus de désaliénation, ce qui m’a heureusement permis de couper avec tout cela. Mais ça n’a pas été de la magie, j’ai été en mesure de couper des chaînes grâce à la connaissance. Et c’est le féminisme qui a semé les graines des idées en moi. La transformation de ma vie quotidienne a été absolue.
C’est pourquoi j’ai « l’idée folle que je possède des droits ». Le droit à l’indépendance émotionnelle, intellectuelle, psycho-émotionnelle, économique, sexuelle. Décider de ce que je veux faire de ma vie et être capable de la vivre et que personne ne peut me soumettre en raison de mon physique, de mon corps ou de ma condition, de mon sexe ou de mes choix sexuels.
Il y a beaucoup de choses que je faisais avant qui étaient super insensées, qui étaient de la complicité avec le système. J’ai cessé de les faire, progressivement après avoir appris ce qu’était le féminisme, j’ai donné comme un coup de pied au mâle qui me violentait et j’ai pu construire une vie complètement différente. Actuellement, je vis dans une maison avec ma fille et nous ne souffrons pas des violences que nous subissions chaque jour, en vivant avec un homme machiste. C’est un changement drastique et super positif qui me permet de considérer une option de vie supérieure à celle que j’allais vivre sans le savoir. Je peux travailler, profiter de ma vie, et je peux me permettre d’avoir une maison où il n’y a pas de violence.
Je me dis féministe depuis cinq ans maintenant. Ma vision et mon évolution professionnelle ont beaucoup changé. Parce que maintenant je crois en moi, en ce que je fais, je peux vivre de ce que je fais. Je suis artiste depuis mon enfance et je n’ai jamais cru en moi. Maintenant, si.
REHUNO : Selon vous, quelles pourraient être les modalités de diffusion du regard des Féministes ?
Mariposa Blanca : La façon dont le point de vue féministe est diffusé, je crois que « ces questions » doivent être présentes dans tous les médias. En outre, toutes les formes d’expression artistique doivent inclure la vision féministe de la vie. Ainsi que la diffusion des personnes des collectifs féministes et transféministes.
Télévision, radio, journaux, mais aussi romans, chansons, feuilletons, séries. Tout ce qui est si patriarcal, sexiste, misogyne et transphobe.
REHUNO : Considérez-vous les féminismes comme des « affaires de femmes » ?
Mariposa Blanca : Il s’agit de personnes de sexe non bi et souples. Femmes célibataires, lesbiennes, transsexuelles. Je crois que nous devons faire avancer la bannière, la parole et l’action du féminisme et du transféminisme.
Les déconstructions patriarcales et la descente du machisme sont l’affaire des hommes.
REHUNO : Connaissez-vous le terme sororité ?
Mariposa Blanca : Je connais le terme. Cela m’a aidé à comprendre que le féminisme et le transféminisme ne sont pas un club d’amies. Les féminismes sont une position politique. Même si je n’aime pas cette personne, elle n’a pas besoin d’être mon amie, mais je peux contextualiser sa vie et la comprendre. Je peux essayer de l’aider et de l’accompagner si elle en a besoin.
REHUNO : Estimez-vous que les médias soient ou pas favorables aux valeurs du féminisme ?
Mariposa Blanca : Il existe de nombreux médias qui abordent le sujet. Mais c’est parce qu’il leur donne un public et non parce que dans leur contenu ils ont une vision féministe et transféministe. Par exemple, Clarín (journal argentin), et beaucoup d’autres, écrivent sur le féminisme, mais ils n’ont pas une vue vraiment féministe ou transféministe.
Il est important qu’il y ait une formation pour les gens qui sont dans les médias. Ainsi, ils pourront comprendre ce qu’est le féminisme. Beaucoup de gens ne savent pas ce qu’est le patriarcat, ce qu’est le machisme, la différence entre identité de genre, entre sexualité, entre organes génitaux. Sans s’en rendre compte, peut-être, ils le comprennent à partir d’une maîtrise totale du capitalisme patriarcal.
REHUNO : Dans votre parcours scolaire, avez-vous eu des sujets en rapport avec le thème ?
Mariposa Blanca : J’ai abandonné mes études au niveau de l’enseignement supérieur. Et pendant ces années-là, je n’ai eu aucun sujet sur le thème. Je me suis consacrée au chant et à la danse. C’était il y a quelques années, à une époque où le féminisme ou le transféminisme étaient vraiment minoritaires. Et je me suis consacrée à leur lutte.
REHUNO : Souhaitez-vous ajouter quelque chose qui vous semble important ?
Mariposa Blanca : Je pense que ce qui est important pour le féminisme et le transféminisme, en tant que position politique, c’est de faire connaître plus profondément la violence sexuelle contre les enfants et les adolescents comme un thème qui est complètement traversé par le système patriarcal et capitaliste. Et aussi la prise de conscience que les compagnes et les compagnons font, partout dans le monde, pour sortir de l’amour romantique, mais aussi la remise en question, la mise en évidence de l’amour romantique. C’est la nécessité de diminuer ou d’éliminer, des médias et des expressions artistiques, le soi-disant « amour romantique ».
REHUNO : Pourriez-vous nous en dire plus sur ce dernier point ?
Mariposa Blanca : L’amour romantique est plein de propositions violentes sur la façon dont les liens affectifs entre les sexes devraient être, sur la violence sexuelle contre les enfants et les adolescents. Ces dernières années, la visibilité a augmenté mais il reste encore beaucoup à faire. C’est l’un des espaces où s’exerce le plus de violence sur les femmes célibataires, sur les femmes trans, sur les identités « féminines ».
REHUNO : Pourquoi dites-vous que ce sont les espaces où il y a le plus de violence ?
Mariposa Blanca : J’ai du mal à l’adapter au stéréotype de la féminité. Cela nous est préjudiciable, parce que c’est asservir et réduire en esclavage. Mais c’est dans les liens affectifs que beaucoup n’en sortent pas, beaucoup finissent par mourir. Parce que la plupart des féminicides et des trans-féminicides sont entre les mains des partenaires ou ex-partenaires des victimes. Je pense qu’il est très important de continuer à démêler tout cela, afin que nous puissions nous libérer et avoir des liens où nous soyons respectées et valorisées.
Traduction de l’espagnol, Ginette Baudelet