Jean Louis Vigneresse, Université de Lorraine

Le pôle Sud est sorti de la Terre Adélie pour se promener en mer. Pendant ce temps, le pôle Nord vit sa vie de pôle indépendant et il passe la ligne internationale de changement de jour en 2018, se sauvant vers la Sibérie. Jusqu’ici, on ne comprenait pas trop cette dérive anormale : pourquoi les chemins des deux pôles sont-ils indépendants l’un de l’autre ? Pourquoi leurs trajets se sont subitement accélérés depuis 1999 ?

La transhumance des Pôles

Un article récent, publié dans Nature Geoscience, explique cette soudaine accélération du pôle Nord vers la Sibérie : elle est due à une déformation locale du champ magnétique terrestre. La déformation est créée par les mouvements de roches magnétiques à l’interface entre le noyau terrestre et le manteau.

Les résultats montrent que cette accélération n’est pas anodine : la vitesse de déplacement du Pôle est passée de 0–15 km/an depuis qu’on a commencé à l’enregistrer régulièrement dans les années 70, à 50–60 km/an depuis 1999.

Positions du pôle Nord magnétique mesurées et modélisées.
Wikipedia, CC BY

L’étude du champ magnétique terrestre global s’effectue essentiellement avec une technique de « décomposition en fréquences ». Elle permet par comparaison entre deux époques de distinguer ce qui varie rapidement dans le champ magnétique de ce qui varie moins vite. On peut faire une analogie avec la décomposition en fréquence sonore – il s’agirait de distinguer les aigus et les graves dans un morceau de musique par exemple. Comme dans toute décomposition, il y a des parties positives et des parties négatives. Cette décomposition fait apparaître deux zones légèrement négatives dans les latitudes élevées, dites « patch ». Ce sont des petits aimants (dipôle, quadrupôles…) supplémentaires qui s’additionnent pour former le champ total. Leur variation d’intensité indique que le patch canadien décroît légèrement tandis que le patch sibérien augmente. Ceci ne veut pas dire que le pôle nord glisse de l’un à l’autre ; mais que les charges à l’origine de ces patchs, qui font que le champ magnétique terrestre est plus complexe qu’un simple aimant nord-sud, se déplacent.

Les basses fréquences (les graves) indiquent que ces charges ont une origine profonde, à l’interface noyau-manteau. Toutes ces études permettent de comprendre comment varie le champ dans le temps. Il faut alors recourir à la modélisation pour comprendre pourquoi il existe ces variations.

Modèles numériques et modèles expérimentaux pour comprendre le manteau terrestre

Étudier le champ magnétique implique de comprendre la circulation dans le noyau. Cela peut se faire de façon numérique, en étudiant la convection dans une sphère sous l’influence de la chaleur, ou expérimentale, en étudiant les mouvements dans une sphère remplie d’un liquide visqueux. Les modèles expérimentaux font intervenir des sphères remplies de sodium liquide, produit extrêmement dangereux et instable au contact de l’eau – d’où des normes de sécurité très strictes. Des interactions entre les modèles numériques (Paris, Zurich, Lingby DK, Leeds UK) et les expérimentaux (Grenoble, Maryland) permettent de raffiner notre compréhension du champ magnétique terrestre.

Simulation du champ magnétique terrestre dans le cœur liquide du noyau terrestre ; les lignes de champ magnétique bleues pointent vers le centre, oranges vers l’extérieur.
NASA

En particulier, les modèles numériques permettent de comprendre comment se font la circulation et la convection dans le manteau. Les modèles analogiques, elles donnent des informations sur la création de quadrupôles et autres multipôles, soit sur l’intensité du champ. Ils permettent aussi de remonter dans le temps, pour comprendre comment le champ magnétique s’est installé sur terre, et depuis quand. Ces études poursuivent l’analyse du champ, et ses inversions qui sont à l’origine de la découverte de la dérive des continents. Le pourquoi est encore loin, mais on commence à savoir comment.

Pourquoi étudier le champ magnétique terrestre et ses variations ?

Notre existence même est liée à l’existence du champ magnétique terrestre, car il nous protège du vent solaire. En effet, le champ magnétique terrestre a deux composantes, interne et externe. La composante interne, c’est celle que l’on vient de voir : elle est générée par les mouvements internes dans et autour du noyau. C’est elle que l’on mesure habituellement avec une boussole.

La composante externe, dite « magnétosphère » résulte de l’interaction de ce champ avec le flux de particules que nous envoie le soleil. Cette partie externe est située entre 400 et 800 km d’altitude. Elle est asymétrique, comprimée du côté diurne, vers le soleil, et sous forme de queue allongée dans la direction opposée. Elle est naturellement liée au cycle solaire de 27 jours (la rotation du soleil) et un cycle de 11 ans dû à l’interaction entre les planètes proches (Vénus, Terre, Jupiter). Le champ magnétique solaire présente également un cycle de 22 ans, correspondant aux inversions de polarité à chaque nouveau cycle de 11 ans. La magnétosphère s’oppose au vent solaire et dévie les particules, c’est un bouclier protégeant la vie.

Au niveau des pôles (on y revient) ce bouclier prend la forme de deux cornets, un au sud et un au nord, qui attirent les particules électrisées et forment les aurores boréales. Ce vent solaire est quelquefois très important, induisant des manifestations que l’on appelle des orages magnétiques. Ils brouillent les émissions radio et les communications électriques, d’où l’importance de l’étude des variations du champ magnétique terrestre.

La magnétosphère de la Terre est la région où les phénomènes physiques sont dominés par le champ magnétique.
NASA, adapté en français par Medium69, Wikipedia, CC BY-SA

Comment utiliser une boussole lorsque l’on est au pôle Nord ?

pôle Nord magnétique et pôle Nord géographique.
Wikipedia, CC BY-SA

Le champ magnétique interne varie en direction horizontale, c’est-à-dire parallèle au sol, vers le Nord, et verticale, c’est-à-dire vers le centre de la Terre, de l’Équateur aux Pôles. L’aiguille d’une boussole suit en principe les lignes de force du champ magnétique, qui convergent vers les Pôles. Qui a fait un peu de randonnée ou a été scout connaît la déclinaison et l’inclinaison : la première est l’angle entre le nord géographique et le nord magnétique, qui bouge, comme on vient de le voir, ce qui est à l’origine de la variation de déclinaison qui est indiquée sur toutes les cartes topographiques. La seconde est l’angle entre l’horizontale (la surface de la Terre) et la ligne de champ. C’est la variation qui part de l’équateur magnétique, où l’inclinaison est nulle, jusqu’au pôle où la ligne est en principe verticale.

Alors, comment utilise-t-on une boussole au pôle Nord magnétique ? Si on est vraiment au pôle Nord, où que l’on aille, on ira au Sud mais on ne saura pas si c’est vers Paris, New York ou Moscou.

Qu’indiquent alors les boussoles ? La question devient plus simple. L’aiguille aimantée s’aligne selon les lignes du champ. Elle a donc deux axes de rotation, vertical et horizontal, selon que l’on se déplace sur la sphère. Arrivée au Pôle, le champ est vertical. La pauvre aiguille n’a plus de position d’équilibre en direction horizontale. Elle va se mettre à tourner sur son axe vertical. Par contre, dans une situation sans contrainte de pivot vertical, par exemple suspendue à un fil fin, l’aiguille devient verticale. Reste à définir les notions d’Est et d’Ouest, qui elles ne varient pas comme la droite et la gauche par rapport au Nord.The Conversation

Jean Louis Vigneresse, Géophysicien, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.