Par Claudia Mónica García
Miremos con Amor [N.d.T. Regardons avec Amour] est une association civile à but non lucratif, dotée d’un statut juridique, qui accompagne les communautés Wichí de Salta et de Formosa, dans le nord de l’Argentine.
Sa priorité, à travers l’éducation comme outil de changement, est de créer des opportunités pour les enfants Wichí. Le travail va dans le sens où les nouvelles générations peuvent disposer d’outils, pour opérer dans les logiques du post-capitalisme qui ont entouré leur vie telles qu’ils les concevaient jusqu’à il y a quelques années.
C’est pourquoi Regardons avec Amour parle d’ouverture des horizons, dans la société et non dans le milieu montagnard, qui est ce que l’agriculture intensive et les produits agrochimiques, ou l’exploitation pétrolière, leur ont apporté. Ces pratiques ont placé les communautés Wichí et d’autres peuples autochtones de la région tels que Qom, Nivaclé, Pilagá, Chorote, Guaraní, Chané et Tapieté dans une situation d’urgence territoriale, environnementale et alimentaire.
REHUNO s’est entretenu avec José Emilio Alegre, qui est le fondateur de Miremos con Amor et coordinateur du projet.
REHUNO : Quand et comment est né ce projet ?
José Emilio Alegre : Miremos con Amor a germé dans la conjonction de plusieurs préoccupations qui découlent d’une grande insatisfaction du statu quo, et le militantisme social a émergé comme une alternative concrète pour opérer dans la pratique. D’autre part, la nécessité de régler la dette sociale que nous avons contractée en raison du privilège de pouvoir suivre toutes les étapes de l’enseignement public et gratuit, qui nous a fourni les outils et nous a permis de concevoir notre avenir, personnel et professionnel (un privilège auquel la plupart de ceux qui soutiennent le système, en particulier les étudiants de l’enseignement supérieur et universitaire, ne peuvent accéder, ni certainement leurs enfants et petits-enfants en raison d’une asymétrie brutale).
Nous avons également compris que nous pouvions déconstruire les modèles de gestion sociale ou du moins les mettre en crise, afin qu’ils soient moins axés sur l’assistanat et plus sur l’amélioration de la vie. Enfin, mais en priorité, nous devons intervenir dans la réalité des peuples indigènes d’Argentine, ceux antérieurs à la formation de la Nation, qui ont été exclus et qui s’accrochent encore à la vie – faisant face après plus de 200 ans à un génocide systématique – avec le peu d’outils dont ils disposent, et une résilience innée renforcée par leur assimilation au territoire, qui est bien plus qu’un régime foncier.
REHUNO : Pourriez-vous nous dire un peu pourquoi Miremos con Amor travaille avec les peuples indigènes d’Argentine ?
José Emilio Alegre : Dans la société argentine, les peuples indigènes, qui sont plus de 40 groupes ethniques ou nations autochtones préexistants, ne font pas partie du programme social, et la société traverse ce conflit comme le spectre du réel : elle ne le nomme pas, elle ne le symbolise pas car sa subsistance et sa cohésion dépendent de sa négation, comme le dit le philosophe slovène Slavoj Zizek.
Nous avons commencé Miremos con Amor en 2012 en mettant en cause les vraies motivations qui nous animent, et le point de vue à partir duquel nous pensions contribuer. Alors nous avons commencé à concevoir et à produire cet organisme vivant qu’est Miremos con Amor, qui est sans cesse repensé parce que, comme le dit Paulo Freire, « le monde est en train d’être, le monde est en devenir permanent » ; et nous avons décidé de promouvoir l’éducation dans les écoles avec l’inscription des Wichís, et de rendre visible la réalité des peuples originels, en particulier le peuple Wichí ; ce sont les deux thèmes centraux.
REHUNO : S’il vous plaît, parlez-nous de votre réflexion collective face aux mots « Charité/Solidarité »
José Emilio Alegre : Eduardo Galeano inspire et soutient plusieurs de nos actions et aussi lorsqu’il déclare que « La charité est humiliante parce qu’elle s’exerce verticalement et d’en haut, la solidarité elle, est horizontale et implique le respect mutuel ».
Et cette affirmation est centrale dans le regard que nous portons sur ce que nous faisons, car la charité soutient les structures d’exclusion et de soumission, elle est pensée pour que rien ne change, elle est autoritaire et dans un sens unique (pour le plus grand plaisir du donateur) tandis que la solidarité est dialectique, elle est à égalité, elle est avec l’autre. La charité ne dérange pas l’injustice, elle vise seulement à la dissimuler, et la justice la réserve pour le ciel.
La violence institutionnelle et les religions sont co-responsables du maintien de l’exclusion de ces communautés d’origine, les catholiques jusqu’au milieu du 20ème siècle, puis les anglicans, et maintenant les églises évangéliques et pentecôtistes qui sont en Amérique latine un pouvoir récent et étendu qui traverse tous les niveaux sociaux et politiques.
Dans Miremos con Amor, nous affirmons que la plus grande transformation que nous, les gens ordinaires, ceux d’entre nous qui allons à pied, pouvons faire, c’est voir l’autre, exercer le principe d’altérité, travailler avec la notion d’altérité pour la construction d’opportunités, et à travers l’interculturalité comme le pont de la construction collective, celui qui ne se divise pas.
Le verbe « aider » dans cette OSC (Organisation de la société civile) n’est pas autorisé et nous utilisons « accompagner », ce qui est proactif, établit des alliances, partage des objectifs et fonde quelque chose de fondamental pour nous : nous accompagnons des gens, pas des nécessiteux, et respectons leur propre système de besoins. En bref, nous les reconnaissons comme des sujets de droit.
REHUNO : Quelles sont les actions entreprises par l’organisation ?
José Emilio Alegre : Au niveau scolaire, nous apportons des fournitures scolaires et du matériel pédagogique à près de 500 élèves dans cinq écoles primaires et leurs niveaux respectifs, deux écoles secondaires rurales et deux écoles primaires pour adultes.
Avec la communauté Fwinafwas, nous construisons une cantine scolaire – car aujourd’hui ils mangent en plein air -, en plus de fonder une bibliothèque scolaire et/ou communautaire de plus de 2000 volumes chaque année.
Nous fournissons également chaque année 750 kg de lait en poudre aux cinq cantines scolaires et à une buvette, pour améliorer l’apport nutritionnel du maigre budget de l’État ; nous procurons des fournitures informatiques lorsque l’école a l’électricité (deux seulement des participants au programme).
Nous encourageons la continuité des études au niveau secondaire et tertiaire ; nous développons et finançons à Mar del Plata une foire annuelle de l’artisanat équitable, permettant ce circuit de commercialisation de leur artisanat, qui favorise l’autonomisation et la dignité de vie des artisans et préserve la culture matérielle et immatérielle qu’ils représentent.
Nous avons apporté des vêtements et des chaussures à plus de 160 familles de deux communautés et, par le biais du programme Famille Solidaire, nous avons invité d’autres familles à se joindre au travail de la garde-robe solidaire du CSO ; nous avons recueilli des dons de matelas, de couvertures, de draps ; nous avons mis en place une garde-robe solidaire dans un hôpital de la région pour les bébés et les nouveau-nés ; nous avons apporté des fournitures dans les salles de premiers secours ; nous avons élaboré des programmes tels que » l’eau pour la vie » (en phase de projet) qui vise à fournir l’eau potable nécessaire et en quantité suffisante à trois communautés qui se trouvent dans une situation d’urgence hydrique.
REHUNO : Quelle est l’influence de l’État sur vous ?
José Emilio Alegre : Nous ne développons aucune action commune avec l’État, nous ne recevons pas de subventions, et parfois les actions que nous menons sont entravées.
REHUNO : Combien de volontaires collaborent et quels sont les critères d’admission ?
José Emilio Alegre : Une vingtaine de personnes, avec un groupe solide de 5 ou 6 volontaires qui soutenons et coordonnons le projet. Nous avons institutionnalisé l’OSC dans un but durable parce qu’elle a commencé comme un projet assez personnel et personnalisé, ce qui est l’une des difficultés de ces organisations pour se maintenir dans le temps. Nous sommes sur cette voie depuis un peu plus de trois ans, en réalisant des protocoles de travail, en modélisant des projets, en mettant en place une structure interne, et sur ce chemin nous avons commencé à être plus précis dans notre appel aux volontaires. Nous recherchons des personnes qui peuvent soutenir le projet avec un minimum de trois heures par semaine, et qui assument cette tâche avec beaucoup de responsabilité puisque toute l’organisation repose sur chacun de ses bénévoles.
Informations sur Miremos con Amor : miremos@fibertel.com.ar
WhatsApp : +5492235942756
Facebook : Campaña Miremos con Amor
Instagram : @miremosconamor.
Traduction de l’espagnol, Ginette Baudelet