Par Amal Benotman
L’État de l’Équateur a été jugé responsable par une Cour internationale des abus subis par une adolescente aux mains du directeur adjoint de son collège; actes qui ont fini par conduire à son suicide. Les mouvements de défense des droits humains espèrent que le verdict, qui est applicable à tous les pays de la région, fera avancer la lutte pour les droits des femmes et des filles.
La Cour interaméricaine des droits humains (CIDH) a rendu un verdict majeur le 14 août, en déclarant l’État de l’Équateur directement responsable des agressions sexuelles commises par un directeur de collège sur l’adolescente Paola Guzman Albarracín; actes d’abus qui conduiront au suicide de la jeune fille alors âgée de 16 ans.
En 2001, alors que Paola fréquente un établissement public de la ville de Guayaquil dans le sud du pays, certaines matières commencent à lui poser des difficultés, ce qui l’amène à demander de l’aide au directeur adjoint de son collège. Celui-ci, âgé de 65 ans au moment des faits, la contraint à des relations sexuelles en échange de bonnes notes. Le chantage avec abus de pouvoir et manipulation dure un an et la jeune adolescente finit par tomber enceinte. Le 12 décembre 2002, Paola avale plus de 10 pilules contenant un dangereux élément chimique, le phosphore. Elle décèdera le 13 décembre 2002.
Pour Petita Albarracín, la mère de l’adolescente, commence alors un calvaire judiciaire qui va durer plus de 18 ans et qui ne verra jamais l’agresseur de sa fille payer pour ses actes. Celui-ci réussira maintes fois à échapper à une justice nonchalante et négligente, jusqu’à obtenir la prescription de l’action pénale à son encontre.
Incapable de trouver la justice dans son pays, Mme Albarracín, déterminée à mener le combat pour sa fille jusqu’au bout, décide avec l’appui du Centre équatorien pour la promotion et l’action des femmes (Cepam) et le Center for reproductive rights (Centre pour les droits reproductifs) de porter l’affaire devant la CIDH.
Après délibérations, et sur la base de sa Convention des droits humains (Convention américaine relative aux droits humains), la Cour a déclaré l’Équateur responsable de la violation du droit de Paola à la vie, à l’intégrité, à la vie privée et à la dignité, à l’éducation, et à au droit de vivre à l’abri de la violence et de la discrimination sexiste.
L’état équatorien a donc environ une année et demie pour compenser la famille de Paola, et pour mettre en place un nombre de mesures qui empêcheront qu’un tel drame ne se reproduise. L’état devra entre autres rétablir le nom de Paola et reconnaître publiquement qu’elle a été victime de violence sexuelle et que son suicide y est directement lié; il devra émettre un rapport qui fasse toute la lumière sur ce qui s’est passé, et devra mettre en place des programmes de formation pour le personnel éducatif afin qu’il puisse prévenir et dénoncer les cas de violence sexuelle.
La Cour a également rappelé qu’il est inadmissible que les victimes de ce type de violences soient accusées d’être celles qui provoquent leurs agresseurs, comme cela a été le cas pour Paola au sein de la communauté scolaire et du système judiciaire; de telles accusations étant toujours le produit de stéréotypes de genre.
« Le nom de ma fille a finalement été blanchi après qu’elle a été présumée coupable par la justice équatorienne. Il est maintenant clair que Paola a été victime d’un abus terrible qui l’a conduite au suicide. Les agresseurs sexuels ne seront plus jamais protégés », a déclaré Mme Albarracín. « Justice a enfin été rendue pour Paola ! »
La CIDH a également déclaré que le droit à l’éducation doit inclure un accès à une éducation sexuelle et reproductive. Paola n’ayant jamais bénéficié d’une éducation de ce type, n’a pas pu comprendre ou dénoncer les abus qu’elle subissait.
Ce verdict risque de faire date, non seulement parce qu’une telle affaire est une première pour la Cour, mais surtout, parce que ce qui a été déclaré dans le jugement est applicable à tous les états de la région.
Le jugement a été salué par les organismes de défense des droits humains et par les mouvements féministes qui espèrent qu’il aidera à l’avancement de la lutte pour les droits des femmes et des filles dans toute la région.
« La victoire d’aujourd’hui n’apporte pas seulement une certaine justice à la famille de Paola, mais elle contribuera également à protéger des milliers de jeunes filles confrontées à la violence sexuelle à l’école dans toute l’Amérique latine et ailleurs, et qui n’ont pas accès aux droits et services de santé sexuelle et reproductive », a déclaré Nancy Northup, présidente du Centre pour les droits reproductifs.
Mais de nombreux défis restent encore à surmonter pour que les pays d’Amérique latine et des Caraïbes puissent répondre de façon efficace à la violence et aux discriminations contre les femmes et les filles.
Dans un rapport publié en 2019, la CIDH cite le machisme, le patriarcat et la prévalence de stéréotypes sexistes comme les causes structurelles de la violence physique, psychologique, sexuelle et économique faite aux femmes. En outre, d’autres facteurs tels que la pauvreté et les inégalités, ainsi que la démission des autorités publiques laissent le champ libre aux agresseurs qui jouissent alors d’un sentiment d’impunité totale. C’est ainsi que l’agresseur de Paola a pu abuser de son pouvoir sur elle en toute confiance.