Par Carlos Umaña

Il y a 75 ans, le monde a changé à jamais. Le 6 août 1945, une bombe atomique a explosé au-dessus de la ville japonaise d’Hiroshima, puis le 9 août au-dessus de Nagasaki.

Environ 210 000 personnes sont mortes après la détonation et 200 000 autres dans les années suivantes des effets de la bombe. Plusieurs autres villes avaient subi de grandes dévastations et encore plus de morts à la suite de bombardements par les forces alliées, de sorte que les autorités japonaises n’ont pas immédiatement pris conscience de l’ampleur des effets de cette nouvelle technologie.

Les survivants du « Pikadon » (Pika : flash, Don : grondement) pensaient que le pire était passé et n’imaginaient pas que leur souffrance venait de commencer. Au départ, lorsque des personnes apparemment en bonne santé étaient remplies de points noirs, tombant rapidement malades et mourant, on pensait qu’il s’agissait d’une maladie contagieuse. Même des années plus tard, alors que la maladie était déjà appelée « radiation » et que plusieurs enfants naissaient avec de graves malformations et que beaucoup étaient atteints de divers types de cancer, on en savait peu sur cette maladie. La nouvelle de la mystérieuse maladie des habitants d’Hiroshima et de Nagasaki n’a pas mis longtemps à se répandre, et une stigmatisation a été créée à l’encontre de ce qu’on appelle aujourd’hui l’hibakusha. Dans le reste du Japon, ils seraient discriminés pendant plusieurs années et même plusieurs générations ; leurs compatriotes ne les engageraient pas parce qu’ils pourraient tomber malades, ni ne les épouseraient parce qu’ils pourraient avoir des enfants difformes.

Dans son puissant et déchirant témoignage, Setsuko Thurlow raconte l’angoisse des survivants, l’agonie de sa sœur et de son petit neveu de 4 ans, et comment les autorités ont conspiré pour empêcher le monde d’apprendre les conséquences humanitaires de ces bombardements. Ils ne pouvaient pas laisser le drame humain compliquer la doctrine de la dissuasion nucléaire et soulever des questions sur l’hégémonie nucléaire américaine.

Le risque actuel

Aujourd’hui, bien que nous ne soyons plus dans le monde bipolaire de la guerre froide, le risque de détonation nucléaire est plus élevé que jamais. L’horloge de l’apocalypse du Bulletin des scientifiques atomiques indique 100 secondes avant minuit, le risque le plus élevé de l’histoire. Cela est principalement dû à trois facteurs : la rhétorique incendiaire des chefs d’États nucléaires ; le changement climatique lui-même, qui est capable de générer et d’alimenter des conflits locaux et régionaux ; et le risque croissant de détonation accidentelle.

Nous savons qu’avec le seul arsenal nucléaire états-unien, il y a eu plus de mille accidents et qu’à six reprises, nous avons été au bord d’une guerre nucléaire. Sur les 13 500 ogives nucléaires dans le monde, quelque 1 800 sont en état d’alerte élevé, ciblant des villes, prêtes à exploser en quelques minutes. Ces systèmes sont de plus en plus vulnérables aux cyber-attaques et aux erreurs technologiques et humaines, au point que l’Institut du futur de la vie (Future of Life Institute) a déterminé que la guerre nucléaire est le plus susceptible d’être accidentelle. En d’autres termes, si nous sommes en vie aujourd’hui, ce n’est pas grâce à une bonne gestion de ces armes, mais par simple chance.

Or, les armes nucléaires ne sont pas des armes pratiques. Elles ne sont pas destinées à des cibles militaires, mais à tuer et à blesser de très nombreux civils. Il est impossible de contrôler leurs effets et les utiliser serait un acte suicidaire. Pourquoi existent-elles vraiment ? En termes simples : pour faire peur. Leur utilité repose uniquement sur la charge sémantique qui se cache derrière les mots « puissance nucléaire » et « dissuasion nucléaire », sur la corrélation entre force destructrice, avec puissance et prestige. Leur principale valeur est donc le symbole qu’elles représentent, un symbole qui, jusqu’à récemment, avait le soutien de la quasi-totalité de la communauté internationale.

L’interdiction

C’est par l’interdiction que toutes les autres armes de destruction massive – chimiques, biologiques, mines terrestres et armes à sous-munitions – ont été abolies. Dans tous ces cas, une norme internationale et un climat de condamnation morale ont été créés pour mettre fin à leur utilisation, leur production et leur vente. Le 7 juillet 2017 à l’ONU, 122 pays, soit une nette majorité de la communauté internationale, ont voté pour l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Ce traité est le résultat d’une nouvelle façon de faire de la politique internationale, dans laquelle les États non nucléaires prennent les rênes du désarmement nucléaire ; un processus porteur d’espoir qu’en 2015 le Costa Rica a appelé la démocratisation du désarmement nucléaire.

Aujourd’hui, avec COVID-19, tout le monde est conscient de la vulnérabilité de notre système mondial ; cependant, la pandémie actuelle est loin d’être une menace existentielle. Les effets d’une guerre nucléaire, même à petite échelle, seraient bien pires. Le désarmement nucléaire nécessite la déconstruction du symbole du pouvoir autour de ces armes, et ce changement de paradigme – que nous sommes déjà en passe de réaliser – se matérialisera par un mouvement mondial. Il est entre nos mains de prévenir cette catastrophe et d’empêcher que la souffrance des hibakusha ne devienne une réalité mondiale. Aujourd’hui, le pouvoir et le prestige sont de moins en moins associés au pouvoir destructeur, aux impositions et aux menaces, et de plus en plus à la capacité de consulter, de créer un dialogue et de construire des ponts. Le moment est venu de s’engager en faveur de la paix. Notre existence en dépend.