La causa causante (cause déterminante) identifiée par Keynes et mentionnée dans une note précédente est l’investissement*. L’investissement par des investisseurs animés par le profit est considéré comme source d’emploi. Si l’investissement s’arrête, l’emploi s’arrête aussi. C’est vrai si on observe le monde au travers d’un modèle mental précis. Il domine notre mode de vie.
Rien n’est plus typique dans notre modernité occidentale. Julius Nyerere a observé régulièrement qu’avant que l’Afrique ne soit conquise par les Européens, il n’y avait pas de chômage là-bas. Le swahili ou d’autres langues africaines n’avaient pas de mot pour cela. Il n’y avait pas d’institution dans les cultures africaines pour que ce mot existe. (1)
Dans la culture dominante actuelle, on obtient un bon emploi seulement si quelqu’un d’autre gagne à nous employer, dans des conditions qui nous permette de vivre décemment. Il n’y a aucune raison que cela ne soit pas le cas pour tous les chercheurs d’emploi. Mais dans la pratique, tout le monde n’a pas un emploi décent.
Il est clair qu’avec nos règles du jeu, un emploi décent pour tous n’arrivera jamais. La modernité occidentale est une culture qui vit avec l’offre et la demande. Il y a toujours eu des perdants. Les économistes classiques Adam Smith et David Ricardo soutenaient que le marché du travail était régulé par la loi de l’offre et la demande. Lorsque la demande de main d’œuvre est faible, l’offre de travail est faible car les mères de famille modestes n’auront pas assez de nourriture pour nourrir leurs enfants. (2)
L’objectif des investisseurs est au final de maximiser les profits. Maximiser les profits implique de minimiser les coûts. Minimiser les coûts signifie embaucher et payer moins.
Cela explique les mouvements de production vers des pays comme l’Inde, pays qui offre une main d’oeuvre compétente qui veut travailler, même pour des salaires bas. De plus, aujourd’hui l’augmentation des productivités qui permettent de créer plus de valeur avec moins d’investissement est atteinte en utilisant plus de technologie et moins d’employés (3). Il est fini ce temps où on pouvait penser que la plupart des enfants qui naissent deviendront adultes et vivront en proposant leur travail à un employeur qui fera du bénéfice en les engageant. FINI.
NOUS DEVRIONS SAISIR LES OPPORTUNITÉS ACTUELLES POUR NOUS PRÉPARER A UN FUTUR DANS LEQUEL LE TRAVAIL HUMAIN EST RÉPÉTITIF. La science et la technologie permettront de faire le plus gros du travail tandis que les humains se reposeront et feront ce qu’ils ont vraiment envie de faire, s’ils sont assez intelligents pour réorganiser leurs institutions et tirer avantage de cette opportunité. (4)
Des données de l’ONU de 2017 révèlent qu’aujourd’hui, moins de 50% de la population active mondiale bénéficie d’un travail décent dans ce monde dominé par le modèle mental « l’investissement créé de l’emploi ». (5) Une grande majorité ont un emploi irrégulier, précaire ou humiliant, voire pas d’emploi du tout. (Comme Evelin Lindner je mets sous travail « humiliant » le travail qui, en raison d’un salaire bas entre autre, fait qu’il est impossible pour une personne de remplir son rôle social et plus particulièrement son rôle de parent qui sait subvenir aux besoins de ses enfants).
Le fait empirique (6) qui dit que sous couvert de cette orthodoxie de l’investissement pour le profit, il doit y avoir un emploi décent pour tous ne s’est jamais produit. Cela renforce ma position sur le fait que ce n’est pas possible.
J’ai joint en annexe un argument plus long et plus théorique pour réfuter la fausse idée que « cela doit être possible puisque la Suède l’a fait. » Pour citer plus généralement une autre fausse idée « lorsqu’il y a un problème sur le marché, le gouvernement peut intervenir et corriger le tir ». (7)
Je continue et suggère qu’il puisse être possible de partager une prospérité frugale. Cela va de soi que si nous sommes tous sur la même longueur d’onde, si nous travaillons pour le même objectif, une vie décente pour tous, si nous poursuivons cet objectif pas seulement d’une seule manière mais de plusieurs manières complémentaires et si la science parvient à créer suffisamment de productivités pour permettre physiquement d’atteindre cet objectif, alors on peut y arriver.
Investir et employer des gens pour faire des bénéfices avec leur travail n’est qu’une des possibilités multiples de mobiliser des ressources pour satisfaire des besoins. Voici quelques exemples :
ABCD. John McKnight et Jodi Kretzmann ont fondé le Mouvement de développement communautaire basés sur des actifs. (8) McKnight a raconté comment l’histoire de ABCD a débuté dans une ancienne église noire du centre de Chicago. Aux Etats-Unis, le « centre ville » est un endroit où personne ne souhaite investir. Dans le passé, les centres d’affaires s’installaient dans le centre ville de Chicago et y employaient des gens, ils espéraient faire des profits ainsi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les paroissiens ont dû faire un choix : fermer leurs églises et déménager, ou se réinventer. Ils devaient inventer une nouvelle manière de penser pour les aider à utiliser les ressources disponibles et créer des moyens de subsistance décents et durables.
Ils se sont demandés quelles étaient les compétences, les expériences professionnelles, les choses (camions, motos, sous-sol d’une église utilisé uniquement le dimanche) disponibles dans leur communauté. Quels espaces (espace libre à côté d’un hôpital qui deviendrait plus tard une clinique mais qui pour le moment pouvait être un jardin public) ? Quelles passions (garder les enfants, jardiner, s’occuper des plus âgés) ? Quels contacts ? Quels programmes gouvernementaux et quels programmes à responsabilité sociale pourraient fonctionner pour eux ?
J’ai participé une fois à une réunion ABCD à Los Angeles pour recenser les ressources. Nous avons inscrit nos « cadeaux » sur des cartes, puis nous les avons scotchées sur les murs de la salle. Nous avons ensuite réfléchi à la manière dont ces « cadeaux » pourraient être combinés afin de créer une activité utile et viable, une activité qui mobiliserait les ressources et satisferait les besoins.
Au fur et à mesure, ce process qui avait commencé dans une église noire du centre ville de Chicago a évolué et donné lieu à la publication de manuels qui ont été vendus par centaines de milliers d’exemplaires, et des cours ont été suivis par des milliers d’étudiants. Deux de ces étudiants sont Michelle et Barack Obama.
L’ÉCONOMIE DU PEUPLE. Il s’agit d’affaires et de pratiques professionnelles dont le but est d’aider un foyer, ce n’est pas d’investir de gros montants pour en retirer de plus gros montants.
PERMACULTURE. (Recherchez sur internet si vous ne savez pas ce que c’est) Selon son fondateur australien, Bill Mollisson, elle suit 3 principes : 1. Aimer la terre. 2. Aimer les gens. 3. Partager le surplus. Bien souvent la permaculture s’accompagne d’un système économique local ou d’une monnaie d’échange communautaire. (9)
FAMILLES
PROGRAMMES D’EMPLOI PUBLIC SUD-AFRICAINS Il y en a plusieurs. L’un d’eux utilise l’emploi public pour catalyser le développement de la communauté. A Alexandra, un quartier de Johannesburg, des jeunes gens sont employés pour danser et chanter. Ils doivent auditionner. Ils répètent régulièrement. Ils se produisent dans des écoles primaires. Ce dépassement de soi et ce bonheur est rémunéré par des partenariats publiques-privés. Cela permet d’entrevoir un avenir où la technologie fera le plus gros du travail répétitif et les êtres humains roderont leurs compétences pour en faire des choses intrinsèquement bonnes !
Il n’y a aucune raison que les grosses entreprises privées qui font des profits et que les individus qui possèdent de grosses richesses se pavanent et dominent. Ils pourraient tout simplement être des partenaires moralement responsables qui génèrent des surplus qui peuvent être redistribués là où on en a le plus besoin. Il existe une quantité infinie de manières de créer des moyens de subsistance décents, allez visiter le site de la fondation catholique Caritas. Vous y trouverez des exemples complémentaires à ceux listés ci-dessus. (10) Plus vous surferez sur la toile, plus vous trouverez d’idées progressives déjà mises en pratique.
Il est facile de trouver un moyen de faire partie de la solution et non du problème, vous avez votre rôle à jouer pour libérer l’humanité du gros capital qui dirige avec peu de conscience. Trouvez d’autres personnes qui en ont marre de ce monde dans lequel pour avoir un travail il faut rendre un riche encore plus riche. Trouvez des gens qui sont déjà en train de construire un monde basé sur l’éthique et non sur ce que Amartya Sen dénomme « la croissance inutile » (11). Trouvez un point de croissance proche de vous et rejoignez le !
Pour finir, tant que je serai en vie, je m’occuperai de sauver la planète contre le coronavirus et d’autres virus, l’occupation des terres et d’autres problématiques de propriété, et la corruption.
Notes
*John Maynard Keynes (1937) Théorie Générale de l’emploi. Journal Trimestriel de l’Economie. Vol. 51, p. 209 à 223. P. 221
1 Julius Nyerere (1973) Ujamaa – Essais sur le socialisme. Oxford : Oxford University Press.
2 David Ricardo (1817) Principes de l’économie politique et de l’impôt. London : John Murray. Cf début du chapitre 4 sur les salaires. Smith écrit :« la demande de main d’oeuvre, qu’elle soit en augmentation, stationnaire ou en déclin, qu’elle nécessite une population croissante, stationnaire ou en déclin, régule la subsistance des travailleurs ». Richesse des nations (1776) Kindle Edition, Position 13796. Digireads.com Publishing.
3 Thomas Piketty (2015). L’économie des inégalités. Cambridge MA : Harvard University Press.
4 Peter Diamandis et Steven Kotler (2012). L’abondance est notre futur. New York : Free Press.
5 Bureau International du Travail. (2017). Emploi et Questions sociales dans le monde. Genève : Bureau International du Travail.
6 Pour des discussions théoriques complètes, cf Démystifier l’économie de Steve Keen (2001). Londres : Zed Books. L’ouvrage est actualisé sur le site internet de l’auteur.
7 Joanna Swanger, Catherine Hoppers et moi-même faisons partie de ceux qui pensent, à l’instar d’auteurs comme Yanis Varoufakis, Thomas Piketty, MMTers, Joseph Stiglitz, Robert Reich mais aussi de nombreux féministes, post-marxistes, écologistes, Gandhiens et théologiens que les règles culturelles constituant la modernité occidentale doivent être revues. L’intervention gouvernementale à elle seule ne peut pas corriger les erreurs commises par le marché.
8 John Kretzmann et John McKnight (1993) Bâtir des communautés depuis l’intérieur. Chicago : Institut de recherche sur les politiques.
9 Edgar S. Cahn. Plus de personnel jetable : l’impératif de la co-production Washington DC, Essential Books.
10 Fondation Caritas Qui sommes-nous ? – Fondation Caritas
11 Amartya Sen (1999) Le développement comme liberté. New York : Alfred Knopf.
Traduction de l’anglais, Frédérique Drouet