Par N’diaga DIALLO
Le mercredi 3 et le jeudi 4 juin 2020 nous avons été témoins des mobilisations contre l’état d’urgence décrété par le président Sall en engageant la lutte contre le Covid-19. Dans les régions proches de Dakar des scènes de guérillas urbaines ont été observées. Ces manifestations se sont caractérisées dans un premier temps par la jeunesse des protagonistes, « qui en avaient marre de rester à la maison à partir de 21h », et plus tard par l’entrée en scène des transporteurs et des marchands ambulants, victimes de l’interdiction des voyages interurbains, situation qui a des effets terribles sur leurs revenus économiques, et sur leurs vies.
Ces émeutes dans plusieurs endroits du pays sont la somme de frustrations et de désillusions nées de la contradiction entre les espoirs, les attentes des transporteurs dans la gestion sociale de la pandémie et la recherche de solutions à leurs besoins.
Cette catégorie socioprofessionnelle qui n’est pas dotée de la culture de l’épargne est restée des mois sans travailler, donc sans revenus. Évidemment, cette situation génère une certaine angoisse existentielle qui finit par déboucher sur la violence comme méthode de résolution des conflits ou du moins pour « se faire entendre ».
Le transport est un secteur quasi-informel, difficilement maîtrisable. Il compte en son sein plusieurs acteurs invisibles mais qui interagissent dans le fonctionnement des gares routières et gares motos taxis. Dans ce milieu, le travail se fait au jour le jour. Ce qui signifie qu’un arrêt sur une durée assez longue aura des conséquences désastreuses dans le vécu quotidien et peut provoquer à moyen terme un désœuvrement et une précarité, qui pourraient déboucher sur des logiques de survie accentuées.
C’est cette stratégie de survie individuelle ou collective qui fait le lit de la violence.
A notre avis, les transporteurs qui manifestent ont tenté de donner un sens à leur action : une remise en question de la gestion sociale de l’aide apportée pour faire face à la pandémie.
« … AFTU 500 millions de FCFA par mois, taxi urbain 100 millions par mois, cars rapides et Ndiaga Ndiaye 100 millions, transport interurbain 450 millions… tel a été réparti le milliard 750 millions de FCFA par mois alloué au sous-secteur des transports routiers dans le cadre de l’accompagnement financier face au Covid-19. L’annonce a été faite par le Ministre Oumar Youm devant la presse. Une action du gouvernement qui va permettre de sauver des milliers d’emplois, selon les représentants des acteurs de ce secteur qui ont rencontré leur ministre de tutelle, ce 30 avril 2020 à Diamniadio. » Source : dakaractu.com
Si tel est le cas, ne serait-il pas raisonnable de se poser la question suivante : où est allé l’argent ?
Comme c’est souvent le cas, n’a-t-il pas atterri en grande partie dans quelques poches y compris dans celles de certains « notables » ou affairistes sulfureux du secteur au détriment de la base ? Transparence, où es-tu ?
Nous en parlons parce qu’il s’agit des deniers publics en grande partie fruit des impôts directs et indirects de la population.
Comment se fait-il que ce sont les transporteurs qui sont arrivés les premiers dans ses affrontements, alors que tous les secteurs d’activités sont touchés économiquement par le surgissement du Covid19 ? Se questionner sur cela peut renvoyer au thème des inégalités sociales. C’est évident que certains secteurs sont plus vulnérables que d’autres.
Seuls les fonctionnaires et ceux qui sont dans le privé ont des revenus réguliers, avec une certaine et relative capacité d’épargne.
Quant aux autres secteurs dits informels ou en processus de formalisation, les revenus sont aléatoires et circonstanciels. S’il y a arrêt ou suspension du transport, le transporteur peut très rapidement basculer dans la précarité.
Nous le savons, cette pandémie va nous tenir compagnie pour quelques temps. Et la situation s’avérera catastrophique si l’on n’y prend pas garde ; la crise sanitaire, en exacerbant les inégalités sociales et la défiance certes légitime, envers les autorités étatiques, peut entrainer d’autres émeutes qui pourraient accélérer la spirale de violence déjà en marche dans certaines localités. Quasiment tous les indicateurs sont rouges.
Les mesures que l’Etat a annoncé ce 4 juin ne feraient que retarder l’explosion, à savoir, (a) repousser le couvre-feu de 23h-6h du matin ; (b) la levée de l’interdiction de la circulation interurbaine, si elle n’est pas accompagnée d’une permanente et intelligente stratégie dans le suivi de la campagne de sensibilisation contre le Covid19 et (c) la mobilisation de moyens conséquents à cet effet.
D’autant plus, que la frilosité des autorités étatiques, leur gestion « à la petite semaine » de la pandémie ; leur logique autoritaire et policière fondée sur un juridisme archaïque du type « force restera à la loi » se heurtera inexorablement à la logique sociale et existentielle de catégories sociales en errance et dans le désespoir constitué en grande majorité de jeunes, de plus en plus attentifs à l’appel du vide.
La réduction du train de vie de l’Etat, la réduction les niches de confort et une nouvelle loi de rectification budgétaire serait un premier pas, pour ensuite affecter tout cet argent pour répondre aux défis multiformes posés par le Covid19, tout de suite et maintenant, en gardant en coprésence la nécessité de solutions pérennes et radicales.
Il s’agira également pour les citoyens, les populations, de mettre l’accent aussi, nous semble-t-il, sur notre créativité et capacité à réinventer de nouvelles formes de solidarité à la hauteur de la situation de Pandémie… apprendre ou réapprendre à se parler, à prendre soin de son prochain, de bien le traiter, de se coordonner, d’identifier les vrais responsables des manques de lits, de médicaments, de clochardisation des enseignants qui apportent le savoir à nos enfants, la rareté et cherté des denrées de première nécessité, du manque d’eau dans beaucoup de quartiers de la banlieue et dans les régions, cf. : les émeutes de l’eau récemment au Cap Skirring, dans le sud.
Et ceci sans violence c’est possible !!!