L’expression « village planétaire » chère au Canadien Mc Luhan n’a jamais autant mérité son nom que dans ce contexte de pandémie de COVID-19 qui touche actuellement la planète entière, se moquant des niveaux de conditions de vie. La COVID-19 épousant ainsi les contours de la mondialisation et de la globalisation.
Au début, les images de la télévision nous montraient le virus en œuvre à Wuhan et ironiquement l’opinion se glosait à propos du « virus chinois » qui semblait très très lointain ; mais on est très vite arrivé à une crise sanitaire mondiale aux conséquences incalculables dont l’Afrique n’a pu échapper. Aucun des 54 pays du continent n’est aujourd’hui épargné par la pandémie avec, à ce jour, un lourd bilan en moins de trois mois : +100 000 cas et +3000 décès selon le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union Africaine.
Depuis le premier cas de COVID-19 détecté au Nigéria fin février, il a fallu seulement quelques semaines au virus pour qu’il touche tous les pays y compris le Sénégal.
Face à cette situation, l’État a mis en place des plans de riposte pour gérer la nouvelle donne. À défaut d’opter pour un confinement avec tous les moyens que cela nécessite, des mesures ont été prises telles que la fermeture des frontières, l’instauration de l’état d’urgence assortie d’un couvre-feu dont les horaires sont variables, l’interdiction des rassemblements publics, la fermeture des lieux de culte, etc.
Ces mesures viennent d’être allégées. Il ne reste aujourd’hui que la fermeture aérienne et terrestre des frontière et l’Etat d’urgence plus un couvre-feu de 23h à 6h du matin dont la pertinence est à démontrer.
Ayant touché à l’ensemble des domaines d’activités et des secteurs socioéconomiques, la pandémie a aussi impacté le domaine religieux qui est d’une importance capitale dans le pays qui semble moins affecté que beaucoup d’autres par les effets de la sécularisation et du recul théorisé du religieux. Ce dernier conserve toute sa vigueur dans la société sénégalaise.
Au regard de l’importance que revêt le champ religieux dans les dynamiques sociétales au Sénégal, il a semblé intéressant d’y jeter un regard.
Même si dans l’ensemble, les discours religieux se sont illustrés, dès le début de la pandémie, à travers leur adhésion à la plupart des mesures pour l’essentiel inédites, les acteurs religieux n’ont pas toujours eu des positions unanimes sur les décisions politiques et administratives régulant le culte et le domaine du « sacré » dans cette période spécifique.
Certes, la sphère du « sacré » a toujours été en interaction avec celle du politique dans le pays, mais ces derniers mois ont été marqués par un ensemble de mesures et de dispositions dont le but était de réguler le culte dans le cadre de précautions hygiéniques et sanitaires.
L’Etat a opté pour un dialogue ouvert avec les principaux recteurs de religions (Khalifes Généraux des confréries mouride et tidiane et le clergé catholique) et autres acteurs religieux en privilégiant la négociation.
Cependant, il convient de noter des voix dissonantes de certains groupes religieux, qui ont tenté de braver les interdits pour aller se regrouper pour s’acquitter de leurs obligations religieuses notamment la prière (ville de Kaolack–Leona Niasséne fief d’une importante confrérie), accusant l’Etat « d’ennemi de l’Islam », « de profiter du virus pour faire ce qu’ils veulent… », « ce qu’il n’osait pas faire en temps normal etc. »
On pourrait penser à une certaine illustration du « bio-pouvoir » mis en évidence par le penseur structuraliste Foucault[1] compris comme attitude coercitive de l’Etat qui au nom de la protection de la santé de la société peut prendre des mesures qui restreignent les libertés et droits fondamentaux voire franchement liberticides y compris la liberté de culte, fermer les mosquées, les églises, temples protestants.
Une autre forme de « contestation » peut être enregistrée au niveau de l’Eglise qui s’est opposée à la première date de reprise des cours qui était prévue le 2 juin 2020 arguant du fait que « l’Etat n’avait pas rempli sa part de mission dans les conditions d’ouverture des classes et que le Privé Catholique ne mettrait pas en danger son personnel et les élèves » et le refus d’ouvrir les églises malgré la levée d’interdiction des regroupements publics avec les respect des mesures–barrières standards connus.
La nature de l’islam confrérique au Sénégal, à savoir, l’encadrement des us et pratiques cultuelles sous la houlette et l’inspiration d’un guide religieux ou Khalife Général, a pu être testée à l’occasion de la gestion de la pandémie.
Les manifestations avec saccages à Touba en rébellion contre l’interdiction du transport interurbain, entre autres revendications, a eu comme conséquence une sortie ferme du Khalife face aux soulèvements.
C’est comme si de plus en plus le discours religieux en rapport aux thèmes sociaux / économiques passe son temps à rattraper la dynamique des mobilisations populaires de fidèles membres de ces confréries, qui de plus en plus cherchent des réponses propres face aux conditions économiques et sociales difficiles ; un processus d’autonomisation citoyenne observable depuis le début des années 2000 est en train de s’approfondir. L’exemple le plus pertinent est que les consignes de vote en faveur de tel ou tel autre candidat (présidentiel) ne se font plus. Les chefs religieux jouaient le rôle de Grands Electeurs. Ce phénomène est aujourd’hui révolu dans sa forme spectaculaire, à savoir, des déclarations publiques et appuyées pour tel candidat au détriment d’un autre.
Aucun d’entre eux ne se risque plus à ce type d’exercice… l’analyse de scrutins passés a bien montré que des consignes de vote n’ont pas été respecté et ceci de plus en plus depuis l’installation de l’isoloir, garanti du vote secret (code électoral 1988).
Dans leur pratique politique et citoyenne, les populations ne veulent plus qu’on leur dicte leurs choix électoraux. Ils l’ont démontré dans les urnes, (Exemple : la défaite du Président Abdou Diouf en 2000).
La chose la plus ridicule dans toute cette situation est l’attitude des politiciens de « gauche » et de « droite » confondus ; qui continuent d’investir les résidences des guides religieux à la recherche d’un hypothétique soutien de leur part. Les plus avertis de ceux-ci nuancent leurs discours pour ne pas incommoder leurs fidèles. Parce qu’il y a une diversité d’opinions et d’engagements politiques dans ces communautés religieuses.
Une certaine forme de neutralité prévaut chez les principaux guides religieux, cependant on peut trouver chez certains de moindre envergure, des parrainages vis-à-vis de certains hommes ou femmes politiques, du pouvoir comme de l’opposition.
Les consensus forts construits entre les sphères des guides religieux et les politiciens pour la « stabilité du pays » qui prennent leurs sources depuis la colonisation sont affectés durablement aujourd’hui par la crise généralisée du système qui, évidemment à des conséquences dans ces rapports-là qui ne se « renouvellent » que dans le cadre d’un statuquo devenu inopérant pour prendre en charge les nécessités des populations concernées. Une forme d’entropie se met en place comme le décrivait si bien Silo[2].
C’est comme si aujourd’hui les recteurs des principales confréries religieuses passaient la plupart de leur temps à tenter d’aider à éteindre les foyers de tensions et mobilisations des populations, qui n’en peuvent plus de subir les agressions économiques et sociales de cet Etat instrument des politiciens dont les intérêts ne convergent nullement avec ceux de la majorité des citoyens.
A terme, comment et jusqu’à quand les guides religieux pourront-ils « sermonner » les populations ? Là est la question, pensons-nous, et peut-être aussi des éléments de réponses du « Jour d’après COVID-19 ».
Notes
[1] Michel Foucault : « Il faut défendre la société ».
[2] Silo : « Lettres à mes amis », Éditions Références.