J’ai beaucoup réfléchi après notre conversation téléphonique, et je suis convaincue que ces derniers évènements transformeront notre vie au quotidien.
Ces mois on été très intéressants malgré le bagage de peurs, d’insécurités, de malaises financiers, de désorientations, de maladies et de morts.
Au début de la quarantaine je me suis retrouvée en famille, mon mari mon fils et moi. Cela faisait longtemps que nous ne nous retrouvions pas comme ça, légèrement insouciants comme si on était en vacances. Tous ensembles à la maison, sans travailler, sans sortir, sans horaires, l’unique note alarmante était les infos à la télévision 24h/24.
La première dizaine de jours a été bizarre. Je n’arrivais pas à me concentrer, ni à dormir et j’étais complètement décalée. Dans un cocon, je voyais, je mangeais, je parlais mais c’était comme si je n’y étais pas. Etre un individu et ne pas l’être en même temps !
C’était un moment irréel, ça ne m’appartenait pas.
Cependant je savais dans mon être profond que je pouvais faire quelque chose d’autre que de me nourrir de cette réalité servie sur un plateau. Je sentais quelque chose en moi se rebeller.
Je travaille depuis plus d’an sur un projet : L’identité humaine entre le réel et le virtuel. Nos vies, nos relations, l’informatique, les réseaux internet qui font de nous de parfaits mannequins à modeler et à manipuler. Et je me posais une grande question : Quelle définition donne- t’on au mot LIBERTÉ ?
J’ai utilisé mes doutes, mes perplexités et mon unique langage l’art pour combattre la cage….
La cage où on nous a enfermés par obligation, ensuite la cage que nous nous avons créée nous même volontairement à cause des menaces et de la peur. Puis la cage s’est refermée sur nous doucement, petit à petit, comme la marée qui monte. A la fin, cela devient un automatisme et même un besoin…. on le voit comme tel mais que cache le monde virtuel ?
L’unicité de l’être humain est un trésor à sauver… deux mondes parallèles se croisent, le monde réel et le monde irréel… Le virtuel à réduit les distances du globe mais nous n’avons jamais été aussi semblables les uns des autres. Nous sommes les acteurs principaux de la scène mais en même temps nous sommes des spectateurs passifs sans nous en rendre compte.
La tête d’un mannequin inexpressive évoque et invoque l’être humain qui a perdu sa matière intérieure, sa richesse. L’anonyme tête supporte le globe dans son identité et dans son infirmité. Demain la matière inerte prendra-t-elle la place de l’être humain? Sommes-nous destinés à être de simples outils dans un monde virtuel?
Ce globe, c’est le monde réel et irréel mais il est là dans nos vies, dans notre quotidien, avec ses connections multiples qui nous rendent malades. Il représente les États handicapés, insouciants, vulnérables, soutenus par une poignée de magnats qui décident du reste du monde. C’est le deuil de l’intellect, de notre intime être humain, c’est le réel qui devient irréel mais aussi son inversion, heureusement.
Nos œuvres, c’est notre vie, ce sont nos douleurs, notre souffrance. J’étouffe et je suis possédée quand je travaille et c’est une obsession jusqu’à ce moment là, quand l’œuvre est terminée. Je la regarde et je me vois dedans, c’est le monde, c’est ma pensée de ce petit monde, mon point d’interrogation, et mon cri d’alarme. Cette série est une vision du futur, du globe toujours plus petit et bloqué par des figures de mannequins géants.
Après avoir fait les séries, je me sentais beaucoup mieux, c’est comme un accouchement, à la fin on entrevoit son bébé
Mon rôle d’artiste a une mission. Le message doit passer à tout prix, même si pour cela je devrais secouer très fort. Même si souvent je ne suis pas comprise tel est mon rôle : ne pas être commode. Je crains pour le futur, ça va être dur économiquement mais avoir un objectif est beaucoup plus important et décisif. Je tiendrai car ça mérite la lutte.
Ré apprendre à conjuguer le verbe connaître, et le mot solidarité dans toutes ses déclinaisons.
Mon projet affirme que nous sommes uniques, différents, et que nous vivons en société.
Je suis une femme, une épouse, une mère une artiste, 4 en une, les dés sont lancés.
Soyez courageux, ne courez pas derrière un rien irréel, nourrissez votre personne avec ce que vous aimez, pensez, interrogez-vous, cultivez-vous et laissez toujours la porte ouverte à l’étranger.
Jetez vos dés.
Faé A. Djéraba vit et travaille en Italie. Plasticienne et designer, elle travaille le volume, la peinture et la sculpture. Elle travaille sur les questions d’identités, et particulièrement à propos des femmes, de leurs corps, leurs obsessions, aux violences qu’elles subissent.