Par Brigitte Cano
Dans ce moment si particulier que nous vivons, tellement extra-ordinaire, plus de 2 milliards d’êtres humains confinés sont en train de vivre une même expérience commune, ce qui est probablement une première dans l’histoire de l’humanité.
Une épreuve douloureuse, tragique qui bouleverse notre monde intérieur, notre quotidien, nos habitudes, nos relations, notre mode de vivre, nos croyances, nos acquis, nos corps, nos pensées, nos âmes, et aussi le temps, et l’espace.
Dedans, dehors plus rien n’est à sa place !
Avec ce bouleversement presque total, il m’est apparu que nous tous, nous les 2 milliards, sommes probablement en train de partager les mêmes émotions.
Alors j’ai demandé à quelques ami.e.s qui me sont chèr.e.s de témoigner de ces émotions importantes.
Pas un simple témoignage mais un chemin de compréhension partagée qui puisse nous permettre de sortir d’une crise émotionnelle.
Isabelle Montané a su à certains moments de ma vie, m’écouter, m’accompagner pour aller au-delà de mes difficultés, avec bonté. Elle est la première à témoigner.
Témoignage
Après le choc et la sidération, voilà qu’arrive le vide.
Pas un vrai vide, parce que ma vie est remplie de tout un tas de choses. Mais le vide de cette chose obligatoire et qui prenait presque toute la place dans ma vie : le travail.
Actuellement je n’ai plus la possibilité de travailler, ni partiellement ni en télétravail. Moi qui avais tant rêvé de ne plus devoir aller travailler tous les jours, voilà qu’étrangement je ressens un grand vide du fait de ne plus pouvoir y aller.
Ne plus être obligée de me lever le matin à heure fixe, de ne plus m’engloutir dans les transports en commun… j’en avais tant rêvé que je ne comprends pas cette sensation de vide qui m’envahit.
Qu’est-ce que ce vide troublant et inconnu ?
Qu’est-ce qui me dérange tant dans ce fait de ne plus travailler ? Je serais tentée de me faire croire que le vrai problème est le fait de ne plus pouvoir sortir de chez moi.
Mais je sens bien que ce vide anxiogène est plus profond que cet empêchement temporaire de sortir.
Ce confinement me permet de prendre conscience que mon mode de vie occidental a transformé le temps en une denrée aussi rare que l’eau dans le désert.
Je n’ai finalement plus le temps de rien. Plus les années passent moins j’en ai. Que se passe-t-il avec le temps ?
Heureusement, depuis des années, je suis dans le courant de pensée du Nouvel Humanisme, dans lequel j’ai appris à m’arrêter et à me relaxer. J’y ai appris à me regarder avec vérité intérieure et à regarder les choses depuis des points de vue chaque fois plus amples.
Et là, je sens une nouvelle fois la nécessité de m’arrêter vraiment. Pas seulement de m’arrêter de travailler, pas seulement de m’arrêter de « faire des choses » pour enfin me détendre avec un livre ou un écran.
Non, m’arrêter complètement. M’assoir et accepter de rester dans le silence… sans écran, sans stimuli.
Je m’arrête, donc, tous les jours un petit peu. J’essaie de rester avec moi-même chaque jour un tout petit peu plus.
Je cherche le silence mais ne rencontre que le brouhaha de mes pensées, de mon monde intérieur.
Qu’est-ce donc que ce vide anxiogène qui me fait si peur ?
Ma vie est remplie d’occupations de plus ou moins bonne qualité. Mon intériorité est pleine de « bruits » en tout genre, souvent désagréables.
Et pourtant la peur de ce vide ne me lâche pas…
Je m’assois et me demande en moi-même à comprendre ce qui m’arrive. Je demande avec une sincère nécessité de sortir de ce paradoxe vide/suroccupation …
Je réalise que du temps, j’en ai… j’en ai plein… je n’ai même que cela !
Pas à cause du confinement, non. Simplement parce que je suis née. De notre naissance et jusqu’à notre mort la seule chose que nous possédons tous… c’est du temps.
Et finalement, je prends conscience que la seule vraie question est ; « Qu’est-ce que je fais de ce temps qui m’est donné ? »
Qu’est-ce que je fais de ma vie pour être persuadée que je n’ai plus de temps pour rien ? Je me demande avec authenticité : « A quoi est-ce que je passe mon temps ? »
Il y a peu, j’aurais répondu : « Ben je travaille ! Faut bien gagner sa vie, non ? »
Gagner sa vie… étrange formulation… si j’avais vraiment « gagné quelque chose » est-ce que je ressentirais ce vide qui me fait peur ?
Je me souviens d’un travail sur soi qui nous avait été proposé il y a quelques années. On nous demandait de faire la liste de nos valeurs et intérêts, le plus sincèrement possible… trier par ordre décroissant : reconnaissance sociale, famille, argent, savoir, amitié, travail, spiritualité, couple, engagement social, sexe, développement de soi, loisirs/amusement, santé…
Chacun y allait de son ordre de préférence.
Puis à l’échelle d’une semaine habituelle nous devions indiquer combien nous passions de temps sur chacun de ces sujets… Pour finalement classer ces temps par ordre décroissant également. A la fin nous comparions les deux listes… pour en tirer nos propres conclusions.
Je me suis décidée à refaire ces 2 listes avec le plus d’authenticité possible.
Et finalement, je l’ai trouvé ce grand vide anxiogène… Je suis vide de moi. Je suis vide de mes valeurs. Je suis vide de ne pas vivre ce qui est réellement important pour moi.
L’obligation de travailler, la fatigue des transports, le plaisir de la consommation, les écrans de tous types ont rempli ce vide durant des années.
Je me suis perdue… ce n’est pas mon temps qui a disparu… non lui, il est toujours là tous les matins, pleinement offert à mon intention. C’est surtout moi qui me suis perdue, de mes vrais besoins.
Je retourne m’asseoir et je formule une nouvelle demande : « Comment vais-je faire pour me retrouver ? »
Isabelle Montané, mère de 2 filles, est consultante-formatrice en communication bienveillante et cohésion d’équipe en entreprise. Elle est aussi présidente de l’association qu’elle a créée : Le laboratoire de la nonviolence active.
Lien : www.vieetprojets.com
Et : www.labo-nva.org