C’est l’un des aspects les plus importants de notre système médiatique, et il est malheureusement très peu connu de l’opinion publique : la majeure partie des informations internationales que diffusent nos médias sont originaires de trois agences de presse internationales situées à New York, Londres et Paris.
Le rôle déterminant de ces agences fait que nos médias rapportent la plupart du temps les mêmes sujets et utilisent le plus souvent les mêmes formulations. Les gouvernements, les services militaires et les services de renseignement utilisent ces agences comme multiplicateur de propagation de leurs informations dans le monde. Le réseau transatlantique de ces médias bien établis fait que leurs points de vue sont peu remis en cause.
Une analyse illustre ces effets de manière évidente, elle reprend des communications au sujet de la guerre en Syrie faites par trois quotidiens importants en Allemagne, en Autriche et en Suisse : 78% des analyses sont basées partiellement ou totalement sur les communications des agences, mais 0% sont basées sur des investigations propres. De plus 82% des commentaires et entrevues sont en faveur des Etats-Unis / de l’OTAN, alors que la propagande porte exclusivement sur le camp adverse.
Les résultats de l’analyse sont résumés dans l’étude « le multiplicateur de propagande ». Ci-dessous, nous publions l’introduction et le premier article de cette étude. L’étude complète peut être téléchargée sur le site de Swiss Propaganda Research.
Le multiplicateur de propagande :
Comment les agences de presse mondiales et les médias occidentaux
reportent de sujets géopolitiques
Une étude de Swiss Propaganda Research
Juin 2016
Introduction : « Quelque chose d’étrange »
« D’où est-ce qu’un journal sait ce qu’il sait ? » La réponse à cette question devrait surprendre beaucoup de lecteurs de journaux. « En général, leur savoir provient des agences de presse. Les agences de presse travaillent presque de manière anonyme et sont en quelque sorte la clé des évènements mondiaux. Qui sont les agences de presse ? Comment travaillent-elles et qui les finance ? On devrait savoir tout cela afin de pouvoir comprendre si on nous rapporte vraiment fidèlement les évènements à l’Est et à l’Ouest » (Höhne , 1977, p. 11)
Un chercheur suisse spécialisé dans les médias indique : « les agences de presse sont celles qui font l’actualité, elles sont d’importants fournisseurs de matières pour les médias. Aucun média quotidien ne peut faire sans elles. Les agences de presse influencent l’image que nous avons du monde. Nous sommes mis au courant de ce qu’elles ont choisi de mettre en avant ». (Blum 1995, p. 9)
Vu leur importance, c’est encore plus surprenant de voir que ces agences sont à peine connues du public. «Beaucoup de gens ignorent qu’il existe des agences de presse… Elles jouent un énorme rôle sur le marché des médias. Malgré cette importance, on ne leur a montré que très peu d’attention dans le passé » (Schulten-Jaspers 2013, p. 13)
Un président d’une des agences de presse s’étonne : « Il flotte quelque chose d’étrange autour des agences de presse. Elles ne sont que peu connues par le public. Au contraire d’un journal, elles ne mènent pas leurs activités sous le feu des projecteurs, mais elles demeurent toujours LA source d’informations. » (Segbers 2007, p. 9)
« Le centre névralgique invisible du système médiatique »
Qui sont ces agences qui sont toujours « à la source de l’information » ? Il ne reste aujourd’hui plus que trois agences internationales.
1. Associated Press (AP) : l’agence américaine compte 4.000 collaborateurs dans le monde. L’AP appartient à des sociétés de médias américaines dont le siège se trouve à New York. Les informations de l’AP sont utilisées par plus de 12.000 médias et touchent ainsi plus de la moitié de la population mondiale.
2. Agence France-Presse (AFP) : l’agence de presse française, quasi publique dont le siège est à Paris, compte environ 4.000 collaborateurs. L’AFP envoie tous les jours plus de 3.000 informations et 2.500 photos aux médias dans le monde.
3. Reuters : L’agence britannique Reuters à Londres, est organisée comme une entreprise du secteur privé et emploie plus de 3.000 personnes. En 2008, Reuters a été achetée par l’entrepreneur média Thomson, l’une des 25 personnes les plus riches au monde, et est devenue Thomson-Reuters, dont le siège est à New York.
A leurs côtés, on trouve diverses agences de presse nationales, plus petites. Dans les pays germanophones, on dénombre surtout :
– La Deutsche Presse-Agentur (DPA), qui en tant qu’agence semi-mondiale emploie environ 1.000 collaborateurs journalistiques déployés dans environ 100 pays. La DPA appartient à la société de médias et de radio allemande. Sa rédaction principale se trouve au siège d’Axel-Springer à Berlin.
– La Austria Presse Agentur (APA), agence de presse autrichienne, compte 165 rédacteurs et appartient aux quotidiens nationaux et au groupe ORF.
– La Schweizerische Depeschenagentur (SDA), agence de presse suisse, compte 150 collaborateurs et appartient à une maison d’édition suisse comptant entre autres Tamedia, le Groupe NZZ et la SRG.
La SDA et l’APA ne disposent pas de réseau propre à l’étranger. Ainsi elles coopèrent avec la DPA et les autres agences mondiales afin d’avoir accès aux informations internationales. Elles nourrissent ensuite leurs médias nationaux. La DPA, quant à elle, travaille en étroite collaboration avec l’agence américaine AP et possède une licence pour diffuser les informations de l’AP dans les pays germanophones.
Wolfang Vyslozil, l’ancien dirigeant de l’APA a décrit en 2005 le rôle clé des agences de presse : « Les agences de presse se retrouvent rarement en ligne de mire d’intérêts publics. Elles sont des sources d’informations influentes, et pour autant elles sont peu connues. Elles sont des institutions clé, de grande importance pour tout le système médiatique. Elles sont un centre névralgique invisible, qui relie l’ensemble des composants d’un système. (Segbers 2007, p. 10)
Les points évoqués ensuite dans l’étude sont :
Petites abréviations, gros impacts
Le rôle des correspondants
« Ce que l’agence ne reporte pas n’a pas lieu »
« Introduire des informations discutables »
Comme le rapport le « New York Times » …
Le scénario souhaité
Conclusion : La « première loi du journalisme »
Étude de cas : Rapport sur la Syrie
Conclusion
Références
Pour lire l’étude dans son intégralité, accédez à ce lien https://swprs.org/der-propaganda-multiplikator/
Nous remercions la Swiss Propaganda Research pour cette étude révélatrice, ainsi que leur accord pour la publication d’une partie de l’étude.
Traduction de l’allemand, Frédérique Drouet