La nébuleuse du Crabe, rémanent de l’explosion d’une supernova de type II en 1054 de notre ère.
NASA, ESA, J. Hester and A. Loll (Arizona State University)

 

Alain Jorissen, Université Libre de Bruxelles

Depuis octobre 2019, l’éclat de Bételgeuse, une des étoiles les plus brillantes du ciel, baisse inexorablement. Une descente aux enfers avant sa mort brutale imminente ? C’est une suggestion qui apparut dans la presse ces dernières semaines, mais qui ne résiste pas à une analyse plus approfondie… D’ailleurs, aux dernières nouvelles, l’éclat de Bételgeuse remonte la pente depuis le 21 février 2020.

La constellation d’Orion, où Bételgeuse est indiquée par une flèche blanche.
Akira Fujii/ESA, flèche par Henrykus, CC BY

Image de Bételgeuse dans le domaine radio millimétrique, comparée à la taille du système solaire.
ALMA, E. O’Gorman, P. Kervella, CC BY

Qui est Bételgeuse ?

Bételgeuse, ou l’« aisselle du géant » en Arabe, est l’étoile rougeâtre en haut à gauche de la belle constellation d’Orion, visible en soirée au début de l’hiver dans la direction de l’est, et jusqu’au mois de mars où elle se situe alors dans la direction de l’ouest en début de nuit. C’est une étoile supergéante, c’est-à-dire une étoile de taille gigantesque. Si son cœur était placé au centre du système solaire, sa surface se situerait au-delà de l’orbite de Jupiter. Avec cette taille gigantesque, nous savons qu’elle est proche de la fin de sa vie. Bételgeuse était la deuxième étoile la plus brillante de la constellation d’Orion, mais son éclat a chuté entre octobre 2019 et février 2020 pour rejoindre l’éclat de la troisième (Bellatrix), mais l’éclat de Bételgeuse remonte désormais

Une succession de fusion de noyaux atomiques rythme la vie des étoiles

La « vie » d’une étoile est faite d’une succession de phases de fusions thermonucléaires, c’est-à-dire de phases pendant lesquelles l’étoile tire son énergie de la fusion de noyaux atomiques légers pour former des noyaux plus lourds. Entre chacune de ces phases de fusion thermonucléaire, alors que le cœur s’effondre, l’enveloppe grossit. Une étoile est constamment à la recherche de son équilibre, puisque le gaz qui la constitue a tendance à s’effondrer sur lui-même par suite de la force de gravité attractive. Les pressions gazeuses considérables qui résultent de cette force gravitationnelle produisent des températures très élevées au cœur de l’étoile : la température du gaz y atteint couramment plusieurs millions de degrés. Cette température élevée conduit à la fusion des noyaux atomiques, par le processus appelé fusion thermonucléaire. Dans le cœur du Soleil se déroule la fusion de l’hydrogène qui, à partir de 4 noyaux d’hydrogène, produit un noyau d’hélium. C’est l’énergie libérée par cette réaction qui permet au Soleil de rayonner de la lumière.




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Que cette source d’énergie vienne à manquer (suite à l’épuisement du combustible nucléaire), et c’est tout l’équilibre de l’étoile qui se trouve perturbé. Le cœur se contracte alors, tandis que l’enveloppe gonfle. La contraction du cœur entraîne l’augmentation de sa température (tel le gaz comprimé dans une pompe à vélo), jusqu’au moment où un nouveau combustible peut fusionner, rétablissant ainsi les équilibres. Une étoile supergéante massive comme Bételgeuse (dont la masse est estimée entre 15 et 20 fois la masse du soleil) a déjà accompli le stade de fusion de l’hydrogène, et doit passer ensuite par les stades de fusion de l’hélium, du carbone, du néon, de l’oxygène, et du silicium.

Mais où en est Bételgeuse ?

Le problème, c’est que la fusion à l’œuvre au cœur de l’étoile ne laisse pas de signature en surface. Nous n’avons donc aucune idée du stade évolutif atteint par Bételgeuse. Le dernier stade de combustion, celui du silicium produisant du fer, durera un peu plus d’un jour avant la catastrophe finale. Cette catastrophe, c’est l’explosion de l’étoile en supernova (dite de « type II ») – elle advient parce que la fusion du fer ne peut plus libérer l’énergie dont l’étoile a besoin pour maintenir constantes ses température et pression centrales malgré les pertes par rayonnement. Le noyau de fer constitue en effet l’assemblage de nucléons le plus stable existant dans la nature. Fusionner deux de ces noyaux requiert donc de l’énergie plutôt que d’en libérer.

Un feu d’artifice gigantesque en perspective donc. À la distance d’environ 650 années-lumière de la Terre, ce feu d’artifice transformerait Bételgeuse en un astre aussi brillant que la Pleine Lune pendant plusieurs jours, voire quelques semaines.

Un événement semblable eut lieu en 1054 de notre ère dans la constellation du Taureau. À cet endroit on trouve aujourd’hui la Nébuleuse du Crabe, qui constitue l’enveloppe déchiquetée de l’étoile explosée.

Une nébuleuse répondant au nom de N 49, ou DEM L 190, située dans le Grand Nuage de Magellan, elle aussi constituée des débris de l’explosion en supernova d’une étoile géante. La nébuleuse du Crabe est en photo en tête d’article.
NASA/ESA, Hubble Heritage Team, CC BY

A-t-on déjà observé des morts d’étoiles en direct ?

La diminution d’éclat actuelle de Bételgeuse est-elle le signe avant-coureur de ce feu d’artifice final ? Rien n’est moins sûr ! Nous avons malheureusement peu de points de comparaison précis, car la dernière explosion en date d’une supernova de type II « proche », celle de 1987 dans la galaxie voisine du Grand Nuage de Magellan, n’a pas bénéficié d’un suivi photométrique préalable à l’explosion, car aucun signal préexplosion n’alerta la communauté astronomique (à l’exception d’un flash de neutrinos arrivé environ trois heures avant le flash de lumière). Il est vrai que celle-ci se produisit à une distance de 168 000 années-lumière.

Nébuleuse de l’homonculus autour de l’étoile η (Eta) de la Carène, elle aussi candidate supernova de type II du futur. Un épais nuage de poussière et de gaz fut éjecté par cette étoile en 1837, annonciateur de l’explosion encore à venir.
Jon Morse (University of Colorado) and NASA Hubble Space Telescope

Une autre étoile supergéante, supernova en puissance, est l’étoile η (Eta) de la Carène. En 1837, elle présenta un sursaut d’éclat majeur qui la transforma temporairement en l’étoile la plus brillante du ciel, et après ce sursaut, elle diminua rapidement d’éclat pour devenir invisible à l’œil nu. Ce n’est que vers 1973 qu’elle redevint visible à l’œil nu. En cause : une éjection de matière, qui absorba d’abord la lumière visible en provenance de la surface de l’étoile, qui ne put percer à nouveau le nuage éjecté que lorsque celui-ci se fut suffisamment dilué. On observe en effet aujourd’hui autour de l’étoile η de la Carène une nébuleuse en expansion, dénommée « Nébuleuse de l’homonculus ». C’est sans doute un événement de ce type qui s’est produit ces dernières semaines autour de Bételgeuse.

Mais le cas le plus éclairant en relation avec Bételgeuse fut celui d’une supernova de type II qui explosa dans une galaxie située à 1,2 milliard d’années-lumière de la Terre. L’explosion de cette supernova fut captée dès les premiers instants par le satellite Kepler de la NASA en 2011. Et cette explosion ne fut pas précédée par une baisse d’éclat.

Observation par le satellite Kepler de la courbe de lumière (encart en bas à droite) associée l’explosion de la supernova de type II KSN 2011d. L’animation visuelle constitue une vue d’artiste du phénomène qui démarre dans une étoile supergéante rouge 20 000 fois plus brillante que le Soleil et 500 fois plus étendue. Quand la fusion nucléaire s’arrête au cœur de l’étoile, elle s’effondre sous l’effet de la gravité, et une onde de choc se propage vers l’extérieur, qui résulte en un flash soudain marquant le début de l’explosion. (Ames/NASA, G. Bacon/STScI).

Quelle est la cause de la diminution d’éclat de Bételgeuse et pourquoi brille-t-elle à nouveau ?

La variation d’éclat de Bételgeuse au cours du siècle écoulé se révèle complexe.

Bételgeuse présente en effet des variations de luminosité quasi périodiques avec une période dominante de 420 ± 15 jours. Mais Bételgeuse montre également des variations de luminosité plus faibles à long terme (de l’ordre de 2 000 jours, soit 5,5 ans). Actuellement, son éclat est le plus faible que l’étoile ait connu depuis près de 40 ans. Un éclat aussi faible a cependant déjà été enregistré en 1941, 1948, 1973, 1980, et 1982, comme le montre la courbe de lumière de Bételgeuse obtenue tout au long du XXᵉ siècle. Ces variations complexes de luminosité proviennent de pulsations de l’enveloppe ainsi que de l’apparition et de la disparition de grandes cellules de convection à la surface de l’étoile.

Sur cette vidéo figure l’étoile Bételgeuse avant et après son affadissement sans précédent. Les observations, effectuées en janvier et décembre 2019 au moyen de l’instrument SPHERE qui équipe le Very Large Telescope de l’ESO, témoignent de la baisse de luminosité de l’étoile ainsi que de ses variations de forme (M. Montargès et coll./ESO).
Les panaches de poussière de Bételgeuse observés grâce à la caméra infrarouge VISIR installée sur le Very Large Telescope de l’Observatoire Européen Austral. Le disque noir obscurcit le centre de l’étoile et sa proche périphérie, deux régions particulièrement brillantes qui doivent être masquées afin de pouvoir observer les panaches de poussière de moindre luminosité. Le point orange central est l’image de la surface de Bételgeuse acquise par l’interféromètre SPHERE du Very Large Telescope.
ESO/P. Kervella/M. Montargès et collaborateurs, ESO/VLTI, CC BY

En outre, une éjection de matière telle que celle qui affecta η Carinae peut conduire à des obscurations soudaines mais temporaires. Cette dernière hypothèse est étayée par les images récentes obtenue par Miguel Montargès, Pierre Kervella et leurs collègues au moyen du Very Large Telescope de l’Observatoire Européen Austral. La vidéo ci-dessus révèle que la diminution d’éclat de Bételgeuse est causée par l’obscuration de la moitié inférieure du disque de Bételgeuse, liée à du gaz et de gros grains de poussières, tandis que l’image ci-contre montre la lumière infrarouge émise par la poussière entourant Bételgeuse en décembre 2019.

L’analyse de l’événement qui affecta Bételgeuse ces derniers mois nécessitera encore du temps, mais nous permettra au final d’obtenir une meilleure compréhension des phénomènes physiques à l’œuvre au sein des étoiles supergéantes, les progéniteurs des supernovae de type II. Quoi qu’il en soit, il y a peu de chances que ces événements soient les signes avant-coureurs d’une explosion imminente ; celle-ci pourra avoir lieu dans un mois, dans un an, dans mille ans, ou même dans un million d’années…

Alain Jorissen, Maître de recherches honoraire, Fonds National de la Recherche Scientifique, Université Libre de Bruxelles

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.