Cette pandémie – bien que largement prédite, tôt ou tard (https://www.pressenza.com/it/2020/02/la-pandemia-prossima-ventura/) – absorbe évidemment toute l’attention, génère des situations que nous n’aurions jamais attendues, anticipe une grave crise économique et induit un réajustement des conditions des crises d’époque qui menacent l’avenir de la société humaine.
En ce qui concerne l’urgence climatique, s’il est clair que les grands mouvements comme le Fff (Fridays for future) sont « bloqués » et réorganisés par des connexions télématiques, il y a une réduction forcée de certains processus (par exemple, le trafic urbain et la pollution qui en découle) et de certaines consommations qui pourraient être le prélude à un changement des modes de vie si les gens ne reviennent pas à la mentalité commune, « Passata la … paura, gabbatu lu santu » (signifiant : Une fois que vous obtenez ce que vous voulez de quelqu’un, vous oubliez les promesses que vous avez faites pour obtenir ce que vous avez obtenu). Un jeu à jouer avec des règles changées, saurons-nous en profiter mieux que les pollueurs ? Au-delà des discours, voici notre anoblissement.
Le discours me semble totalement différent pour l’autre risque imminent d’une guerre nucléaire. Je crains que l’introduction de cette pandémie n’exacerbe considérablement ce danger. Les signes potentiellement négatifs me semblent nombreux.
Report de la conférence d’examen du TNP
Entre-temps, la conférence quinquennale de révision du Traité de Non-Prolifération nucléaire a été reportée de 2020 à 2021, ce qui aurait pu être une date limite mondiale pour la comparaison entre les pays nucléaires (ceux qui ont adhéré au TNP) et les pays non nucléaires : bien que les conférences organisées par le passé n’aient jamais pu résoudre les questions urgentes. Il y a aussi ceux qui pensent que ce report pourrait nous donner une nouvelle carte à jouer, si le nouveau Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entrait en vigueur (avec la 36ème ratification de la Namibie, nous avons atteint les 2/3 des 50 nécessaires pour que le traité devienne une norme du Droit international), nous aurions une carte de plus en main, celle de l’opposition au TNP, même si les puissances nucléaires refusent de le reconnaître.
Il serait alors crucial qu’un pays de l’Alliance atlantique ait le courage de franchir le pas de la signature, brisant le consensus de Washington et bouleversant l’équilibre. En Italie, les dizaines de manifestations du 25 janvier 2020 ont pris la forme d’une plate-forme unie demandant au gouvernement de signer le Traité, mais cette plate-forme n’a malheureusement pas généré de détermination collective concrète, il y a trop de divisions dans le mouvement « pacifiste » (https://www.pressenza.com/it/2020/02/uniti-pretendiamo-che-il-governo-firmi-il-trattato-che-vieta-le-armi-nucleari/).
Sanctions contre l’Iran au moment du coronavirus
Le déclenchement de la pandémie a ajouté d’autres facteurs qui ont aggravé la situation. Les sanctions prétentieuses et illégales décrétées par le président Trump contre l’Iran pour la pandémie (illégales car les inspections constantes de l’Agence internationale de l’énergie atomique le réfutent sévèrement) que Téhéran violait l’accord nucléaire iranien (JCPOA) signé en 2015, génèrent une situation explosive dans l’urgence actuelle.
Tout d’abord, il y a des rapports selon lesquels non seulement l’Iran pourrait reprendre l’enrichissement de l’uranium au-delà des restrictions imposées par le JCPOA (ce qui serait l’effet exactement opposé à celui que Trump voudrait souligner, confirmant qu’il s’agit d’un prétexte sous-jacent à de nombreux autres objectifs), mais aussi se retirer du TNP, comme l’a fait la Corée du Nord en 2003 avant de développer la bombe nucléaire (https://www.pressenza.com/it/2017/05/la-resistibile-ascesa-nucleare-della-corea-del-nord/). Il est superflu de gaspiller des mots pour commenter la gravité de ces actions.
Mais l’explosion de la pandémie a jeté de l’huile sur le feu, car l’Iran est l’un des pays les plus touchés au monde et les sanctions illégales risquent de le mettre complètement à genoux, l’empêchant d’acheter sur le marché le matériel médical nécessaire pour faire face à la pandémie (à la fois en raison de la crise financière et des obstacles posés par les sanctions). Il est également superflu d’ajouter que l’obstination de l’administration américaine affaiblit de plus en plus les courants réformistes en Iran et renforce les courants fondamentalistes et réactionnaires : un véritable chef-d’œuvre !
Il convient d’ajouter, bien que cela ne soit pas directement lié à la menace nucléaire mais que cela soit significatif pour révéler les intentions réelles, que les États-Unis ont posé leur veto à la demande du Fonds monétaire international d’un prêt de 5 milliards de dollars pour faire face à l’émergence de la pandémie. Et récemment, on a appris que l’administration Trump a même accusé le président Maduro et plusieurs de ses ministres de narco-terrorisme et de conspiration pour exporter de la cocaïne vers les États-Unis, proposant y compris une récompense de 15 millions de dollars pour toutes informations qui seraient utiles à son arrestation.
D’autre part, ne faisons pas semblant d’être surpris, n’oublions pas comment, après l’attaque furieuse et prétentieuse (vous vous souvenez des fausses éprouvettes agitées par Colin Powell à l’ONU ?) sur l’Irak en 2003 et sa destruction, la secrétaire d’État de l’époque, Madeleine Albright, a répondu à la question sur un ton désobligeant : « Ça en valait la peine ! (https://www.pressenza.com/it/2019/03/20-marzo-2003-iniziava-linvasione-delliraq-il-caos-creativo-ideato-dai-neocon-che-continua-a-devastare-il-medio-oriente/)
Le démantèlement absurde du régime international de non-prolifération
Les événements dramatiques en Irak s’inscrivent également dans le prolongement de la résurgence de l’attitude agressive et belliqueuse des États-Unis au niveau géopolitique au cours des vingt dernières années, après la décennie d’ajustement qui a suivi la dissolution de l’Union soviétique et du bloc communiste. (1)
L’une des principales opérations, que je n’hésite pas à qualifier de criminelle, a été le démantèlement méthodique par les États-Unis de ce qui était un « régime mondial de non-prolifération nucléaire » (bien que déficient) issu de la résolution de la crise des euro-missiles dans les années 1980. Le début de ce processus de démantèlement remonte à la fatidique année 2001 (vous vous souvenez des Twin Towers ?), lorsque Bush Jr. a rompu le traité ABM (Anti-Ballistic Missile) pour entamer le développement fou de défenses anti-missiles (qui, loin d’être une nécessité stratégique, était une affaire colossale pour l’industrie militaire américaine). En termes généraux, le processus de réduction des arsenaux nucléaires a été inversé avec le lancement fou (déclenché par le prix Nobel de la paix Obama) des processus de soi-disant « modernisation » des arsenaux avec la création de nouvelles ogives et de nouveaux vecteurs encore plus meurtriers, pour arriver à l’annulation par Trump de l’accord nucléaire iranien, après le traité historique FNI (Forces nucléaires intermédiaires) de 1987 (https://www.pressenza.com/it/2018/10/trump-rottama-il-trattato-inf-del-1987-e-avvicina-la-guerra-nucleare/).
La révision de la posture nucléaire de Trump en 2018 a donné une impulsion décisive au projet de « modernisation », qui s’entend sans ambiguïté comme la construction de nouvelles têtes nucléaires et de nouveaux porteurs (https://www.pressenza.com/it/2018/01/trump-aggrava-irresponsabilmente-la-minaccia-delle-armi-nucleari/). Il est important de noter à cet égard que le nouveau traité START de 2010 impose aux États-Unis et à la Russie des limitations sur le nombre d’ogives et de porteurs, limitations qui sont pour l’instant (voir ci-dessous) respectées, limites qui correspondent à peu près à la taille de la fin des années 1950 : le problème, cependant, est que les ogives et les porteurs d’il y a 50 ans, par rapport à ceux d’aujourd’hui, sont comparables aux avions de 1915 par rapport aux chasseurs modernes. Le remplacement des ogives et des porteurs par des ogives « modernisées » est donc un véritable bluff : un exemple très parlant est le développement d’un « super-fuselage » – donc d’un dispositif non nucléaire – qui triple la précision, la capacité offensive, des ogives des missiles balistiques de la Marine américaine déployés sur les sous-marins, sans en augmenter le nombre (https://www.pressenza.com/it/2017/04/emergenza-nucleare-sabotaggio-del-regime-non-proliferazione/).
La « menace » croissante des dépenses américaines en matière d’armes nucléaires
Les dépenses liées aux armes nucléaires sont devenues un poste de plus en plus important dans le budget militaire du Pentagone. Par rapport à l’année dernière, les augmentations sont de l’ordre de 20 à 30 %, et même certains soldats expriment la crainte que cela puisse cannibaliser la puissance militaire conventionnelle des États-Unis. La demande pour le budget nucléaire de l’exercice 2020 est de 37,3 milliards de dollars (plus 5 % en 2019), et les projections pour les années à venir sont de 44,5 (+ 6 %) pour 2021, 45,9 (+ 701 %) pour 2022, 49,3 (+ 6,4 %) pour 2023, 53,6 (+ 6,8 %) pour 2024, 55 (+ 5,8 %) pour 2025. (Voir tableau) (2)
(Titre de l’image : Dépenses totales en armes nucléaires (EF18-FY25) et dépenses totales en armes nucléaires en pourcentage des dépenses totales de la défense nationale)
L’augmentation disproportionnée concerne surtout la National Nuclear Security Administration (NNSA), 15,5 milliards, soit 25% de plus (+ 3,1 milliards) qu’en 2020 : le plan pour les 5 prochaines années prévoit une demande totale de plus de 81 milliards. 15,5 milliards, c’est presque le double des 8,3 milliards décrétés le 6 mars pour lutter contre la pandémie ! En comparaison, 35 milliards de dollars de dépenses pour les armes nucléaires [exercice 2019] suffiraient à payer 300 000 lits de soins intensifs, 35 000 ventilateurs et les salaires de 150 000 infirmières et 75 000 médecins. (3)
Un Far West nucléaire ?
En février 2021, les termes du nouveau traité START de 2010 expireront, le dernier à survivre au carnage opéré par le « cow-boy nucléaire » Donald Trump. Personne ne semble capable de prédire ce qui va se passer. Pour l’instant, il ne semble pas que les États-Unis aient envisagé ne serait-ce qu’une simple prolongation de cinq ans. Un traité de cette complexité et de cette délicatesse n’est pas renégocié en 10 mois, il nécessite des années de négociations laborieuses, en partant du principe que l’on a vraiment la volonté d’arriver à un résultat.
Pendant ce temps, le Conseil de (in)sécurité de l’ONU est paralysé par des plaintes sur la manière d’organiser la réponse à la pandémie, au point d’ignorer largement l’appel du Secrétaire général de l’ONU à un cessez-le-feu mondial ! (4)
Peut-être pensez-vous à une bonne guerre nucléaire pour purifier la planète du virus, comme lorsque D’Annunzio parlait de guerre purificatrice !
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P.S. – Les références à mes précédents articles sur Pressenza abondent et, pour ceux qui veulent en savoir plus, couvrent les étapes de ces dernières années.
(1). J’ai développé ce sujet dans l’article Mosaico de la Paz, novembre 2019, p. 29-30, «Il Mondo dopo il Muro», en el Dossier «L’abbattimento del muro tra storia e prospettive».
(2). “Surging U.S. Nuclear Weapons Budget a Growing Danger”, Arms Control Association, Volume 12, Issue 3, March 19, 2020, https://www.armscontrol.org/issue-briefs/2020-03/surging-us-nuclear-weapons-budget-growing-danger.
(3). M. Impelli, “One Year of U.S. Nuclear Weapons Spending Would Provide 300,000 ICU Beds, 35,000 Ventilators and Salaries of 75,000 Doctors”, Newsweek, 26 de marzo de 2020, https://www.newsweek.com/one-year-us-nuclear-weapon-spending-would-provide-300000-icu-beds-35000-ventilators-salaries-1494521.
(4). C. Lynch, “U.N. Security Council Paralyzed as Contagion Rages”, Foreign Policy, 27 de marzo de 2020, https://foreignpolicy.com/2020/03/27/un-security-council-unsc-coronavirus-pandemic/?utm_source=PostUp&utm_medium=email&utm_campaign=20503&utm_term=Editor#39;s%20Picks%20OC&?tpcc=20503.
Traduction de l’espagnol, Claudie Baudoin