L’R des centres de femmes est le plus grand regroupement féministe d’action communautaire autonome au Québec.
Alors qu’on s’adapte tous et toutes à cette nouvelle vie de confinement, nous avons pu voir les vrais héros – devrait-on dire les vraies héroïnes? – s’armer de courage et sauver le Québec au péril de leur propre santé. Cette guerre mondiale contre le Coronavirus appelle les femmes à aller au front, les soldates du travail invisible sont en marche.
Dans le domaine du soin (care), il va sans dire que le personnel médical et celui des services sociaux font un travail essentiel qui, ces jours-ci, est acclamé par la population. Nous savons qu’en majorité, ce sont les femmes qui occupent ces postes, 80% dans la plupart des professions, et elles sont invisibilisées la majorité du temps. Mais en temps de crise, le premier ministre les appelle « nos anges gardiens » à chacune de ses conférences de presse, alors que des initiatives de remerciement comme Flash tes lumières sont organisées pour montrer notre reconnaissance à ces travailleuses.
N’oublions surtout pas notre réseau communautaire où la définition de prendre soin prend tout son sens ces jours-ci. Durant les prochaines semaines, les inégalités de genre et de classe ne feront que s’agrandir et les travailleuses et travailleurs du communautaire devront pallier les manquements graves des services institutionnels. Là encore, un secteur où la majorité des forces de travail sont des femmes, on voit l’importance de celles qui nourrissent, de celles qui écoutent et interviennent, de celles qui font la différence pour les gens marginalisés.
Le 18 mars dernier, une lettre nous étant adressée précisait que le financement de nos organismes allait être maintenu malgré les fermetures et les diminutions d’activités et que des fonds d’urgence ne tarderaient pas à arriver pour les organisations qui débordent de demandes. Pour une fois, nous visibilisons collectivement l’apport essentiel du communautaire afin de maintenir le filet social et la dignité humaine.
Dans le domaine de la culture, on demande aux influenceuses, aux artistes, aux musiciennes de rejoindre la population et de passer les messages du Dr Horacio Arruda afin que la population comprenne l’importance de respecter les consignes de confinement pour des questions de santé publique et de survie. En dépit des coupures majeures dans le domaine de la culture et de l’audace de cette demande de cheap labor (travail gratuit), ces travailleuses ont répondu massivement à l’appel de « propager l’info pas le virus ». Elles ont usé de créativité pour nous divertir tout en expliquant du mieux qu’elles pouvaient les concepts de la crise. Elles ont fait ce que les organismes communautaires font à longueur d’année : de l’éducation populaire!
Malgré une plus grande parité dans le domaine de la culture, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un milieu typiquement féminin dont la valeur du travail est encore sous-évaluée. Il faudra donc en déduire que l’éducation populaire et l’accessibilité de l’information se retrouvent également à être des services essentiels.
Finalement, dans le domaine de l’éducation, on aura bien compris l’importance du travail des femmes, incluant les services de garde et les CPE (Centre pour la petite enfance et garderies), alors que les parents dénoncent avec humour leur ras-le-bol général après quelques jours de fermeture. Nous avons même vu passer des grand-mères voulant revendiquer un salaire annuel de 10 millions $ pour le corps professoral et le personnel scolaire, au vu de la tâche colossale de ce qu’elles accomplissent quotidiennement.
Au front, mais pas en avant
Lorsque ce sont des hommes qui occupent tout l’espace décisionnel, ils ont souvent des angles morts à leur plan de match. Le gouvernement s’est vite rendu compte qu’il fallait en fait nourrir la population, pas uniquement pallier les impacts économiques. Alors que nous, les femmes, nous savons pertinemment qu’il faudra nourrir, loger, soigner, organiser, planifier. Nous sommes toutes des gestionnaires habituées de porter la charge mentale(1).
Ces derniers jours, la notion de service essentiel a donc été révisée, voire élargie. Parce que la caissière de l’épicerie donne un service essentiel, on le sait maintenant. Elle brave la peur qui cogne à son ventre en sachant qu’elle sera en contact avec des centaines de gens pour assurer la continuité d’approvisionnement de nos produits essentiels. La serveuse n’aura pas le droit de rester confinée à la maison, car sans elle, les commandes et les livraisons ne pourront être acheminées. L’unique banque alimentaire du quartier ne peut pas fermer boutique parce que les familles dans le besoin ne feront qu’augmenter et il faut bien qu’elles aient de quoi se nourrir avec le chèque de chômage. La fermière devra redoubler d’efforts pour répondre aux demandes de sa clientèle.
Mais un problème majeur persiste. Les femmes sont bien en première ligne de cette crise, elles se retrouvent par contre exclues des cellules décisionnelles. Décider entre hommes n’aura jamais été aussi problématique. Il n’aura jamais été aussi essentiel d’avoir une pluralité de visions et de voix qu’en ces temps de crise. Pour être de vrais leaders, il vous faudra inclure les expertes de terrain dans vos processus décisionnels et vous ouvrir aux savoirs des femmes en marge, afin d’éviter l’aggravation des inégalités et de couvrir tous les angles morts. Cette revendication s’applique pour cette crise, mais aussi pour toutes celles à venir.
Dans les prochaines années, nous subirons de plus en plus les conséquences de la crise climatique. Les féministes et les groupes de femmes devront redoubler d’ardeur afin d’éviter qu’on brime nos droits et notre liberté de choix. Forte de sa perspective systémique et holistique, L’R des centres de femmes du Québec continuera de persévérer, dans les prochaines semaines et les prochaines années, à revendiquer la présence des femmes dans les cellules décisionnelles.
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1) Principe apporté par les féministes qui s’exprime par une charge cognitive concernant la gestion et la planification nécessaire au bon fonctionnement de la société. Cette charge peut être rattachée au travail, à la famille, à la vie de couple, etc. C’est un travail invisible qui revient aux femmes selon les normes.