Avec une banderole accrochée sur la scène de Maryhouse derrière eux et sur laquelle on peut lire « Le Pape François proclame : La possession même d’armes nucléaires doit être fermement condamnée », se lève Emad Kiyaei : « Tout d’abord, merci beaucoup. Entrer dans cet espace a été vraiment profond, sachant que tant de personnes ici ont lutté contre une telle variété d’injustices dans ce pays et à l’étranger et comment cela nous a tous aidés. »
« Une remarque : c’est plutôt rare, et pas une blague, d’avoir une Israélienne (Sharon Dolev), un Palestinien de Jordanie (modérateur Dina Saadallah), et un Iranien (moi-même) assis ensemble pour parler des questions de guerre et d’armes de destruction massive ».
En fait, c’est extrêmement rare, un risque personnel pour chacun. Ils viennent directement de leur présentation aux Nations Unies, l’aboutissement d’années d’efforts, la conférence pour une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, où des diplomates de nombreux pays se sont montrés intrigués par la manière dont cela pourrait arriver. Avec les animosités, les murs, la rhétorique si forte et les guerres qui assassinent tous ceux qui sont impliqués, par où commencer ? En effet, le sous-titre de leur présentation de METO [Organisation du Traité du Moyen Orient, en anglais Middle East Treaty Organization] est « Réaliser le possible ». Plusieurs pays (Suède, Irlande, etc.) avaient déjà apporté leur soutien à cet effort courageux et manifestement nécessaire.
METO n’aurait très probablement jamais vu le jour si ces cofondateurs, une Israélienne et un Iranien, avaient eux-mêmes présenté publiquement le concept. Immédiatement, il aurait été considéré comme un autre stratagème dans le jeu de pouvoir. Il y a peu de mots qui évoquent immédiatement autant de préjugés et de haine que les mots Israël et Iran. Emad et Sharon font tous deux face à ce fait, souvent avec humour et sourires, et non pas avec une attitude défensive impulsive, soulignée par une connaissance profonde de la connexion entre êtres humains. Qualité rare chez les dirigeants, ils sont tous deux capables d’admettre les torts de leur nation respective et d’embrasser la sagesse d’aller ensemble, pas à pas, vers un avenir toujours meilleur.
En 2017, un de leurs collègues respecté, un Anglais, a présenté le projet de texte au monde entier, sans mentionner aucun des deux. Il a demandé un feedback et presque immédiatement, un dialogue sérieux, des réunions, des discussions ont eu lieu, établissant un cadre pour des négociations à venir sur ce qui serait nécessaire pour une telle zone exempte d’armes de destruction massive. Si jamais cela devait arriver, Insha’Allah, Shalom, la région aurait un outil prêt, une carte de base à partir de laquelle commencer, un guide affiné à tenir en main et à utiliser. Le projet est engagé dans un processus transparent et inclusif, facilitant la tenue de nouvelles rencontres régionales et internationales, faisant avancer des solutions dans une zone qui connaît les horreurs constantes de la terreur, de la guerre, de l’utilisation d’armes chimiques et biologiques, et de la menace non déclarée des armes nucléaires.
Sharon et Emad ont tous les deux partagé leurs histoires personnelles originales et nous ont rappelé les luttes complexes au sein de leurs nations. Sharon a parlé du silence presque complet de la presse israélienne, des politiciens et des citoyens sur leur politique en matière d’armes nucléaires. Pour elle, cela a été une lutte longue, dangereuse et solitaire en tant que représentante de Greenpeace en Israël, et plus récemment de la Campagne Internationale pour l’Abolition des Armes Nucléaires.
Il y a plus de dix ans, elle a organisé une action surprise à la Knesset, où [] les femmes se sont soudainement déshabillées et, les mains en l’air, ont appelé à la suppression des armes de destruction massive. La vérité nue et choquante a désarmé la structure du pouvoir dominée par les hommes et est devenue la première véritable médiatisation sur ce sujet.
Lorsqu’on lui demande pourquoi ils ne parlent pas de mettre fin aux armes légères et à la guerre dans la région plutôt qu’aux armes de destruction massive, elle répond : « Bien sûr, nous aimerions, mais les pouvoirs ne viennent pas à la table pour cela. Pour différentes raisons, ils parlent des armes de destruction massive. Nous commençons par là où nous sommes. Au Moyen-Orient, nous sommes divisés par les voisins, considérés comme des ennemis, et on estime avoir besoin d’armes pour se protéger, mais ici aux États-Unis, sans cette menace immédiate, vous ne pouvez même pas freiner votre NRA. Vous attendez de nous qu’on résolve cela ? Montrez-nous l’exemple. »
Emad poursuit : « Bien sûr, nous aimerions que toutes les armes soient éradiquées et que nous nous dirigions vers un monde où nos différends ne sont pas réglés par le canon d’un petit ou d’un grand pistolet. Les États-Unis sont le plus grand exportateur d’armes de mort. Le Moyen-Orient est de loin la région la plus militarisée du monde et le plus grand consommateur d’armes américaines. 53 % des armes américaines sont exportées vers le Moyen-Orient. La Russie vient en deuxième position. Nos crédits de défense et l’origine de ces engins de guerre proviennent des prêcheurs de la paix mondiale, les puissances mondiales. La Suède, la Suisse, la France, et l’Italie qui produit des pâtes, la Chine, oubliez tout cela, ils vendent des armes comme des cacahuètes. Ils sont dans les dix premiers vendeurs et promoteurs de nos guerres. »
« Huit de ces pays sont supposés être des démocraties. Je ne vois pas pourquoi la société civile ne se rend pas devant les sièges sociaux des cinq plus grandes entreprises ici, les Boeing, Lockheed Martin, etc… les industries qui en profitent alors que nous saignons. Si vous voulez éradiquer les guerres dans notre région, alors éliminez ce qui les alimente. Il faut que la société civile donne des coups de pied au cul dans ces pays. Tout le pouvoir est à vous ! Nous devons rendre la guerre non lucrative. Nous devons rendre la paix, de loin, plus lucrative. » Ils ont insisté sur le fait que la presse et les politiciens étaient trop occupés par les stéréotypes de l’autre, plutôt que par l’exploration des solutions judicieuses qui s’offrent à nous.
Le fait de voir ces trois personnes ensemble a été une affirmation forte et une grande bouffée d’air frais. Alors, gardons-les dans nos prières, mais écoutons aussi cet appel, reconnaissons notre pleine responsabilité dans ces horreurs et appelons à l’encouragement de cette noble et courageuse direction pour nous tous.
Le projet METO : http://www.wmd-free.me/
Traduit de l’anglais par Jean-Marc Dunet