Tania Díaz, vice-présidente de l’Assemblée nationale constituante, partage inlassablement son temps entre les engagements institutionnels et ceux du Comité d’agitation, de propagande et de communication (APC) du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), dont elle est vice-présidente. Nous l’avons rencontrée dans la salle du Bicentenaire de l’hôtel Alba, où elle dirige une petite équipe qui a préparé le Congrès international de communication les 2, 3 et 4 décembre. Un grand travail d’organisation, que la machine PSUV développe selon un schéma déjà consolidé, lancé par le 25ème Forum de Sao Paulo (du 25 au 28 juillet). Depuis lors, d’autres congrès internationaux ont été organisés (de travailleurs, de femmes, de peuples autochtones et d’afrodescendants, de communes de jeunesse), auxquels ont participé tous les secteurs de la Révolution bolivarienne. Un extraordinaire laboratoire d’expériences et de résistances qui rouvre la voie du socialisme pour ce XXIe siècle.
« Maintenant les peuples parlent. » Quelle est la signification de ce slogan, qui caractérise le Congrès international de la communication, et comment a-t-il été pensé ?
Notre Congrès réalise un autre chapitre de l’ordre du jour établi lors du Forum de Sao Paulo, l’avant-dernier. Il prend en compte un thème transversal à chacune des réunions précédentes, au cours desquelles le besoin d’une plate-forme internationale s’est fait sentir, d’un réseau international de communication populaire qui permette une articulation commune au niveau mondial. La situation régionale montre une réalité de répression, de criminalisation et de judiciarisation des expressions populaires qui sont entrées en jeu pour défendre leurs droits niés. Un réveil dont émerge, en réponse à l’agenda belliqueux du capitalisme, un drapeau commun, celui d’une Assemblée Constituante globale pour la vie et l’humanité. Nous organisons une réunion pour donner une voix à ces problèmes, en discuter et trouver des solutions communes. Une fenêtre qui transcende les frontières régionales de l’Amérique latine pour atteindre d’autres régions du monde, en accompagnant les partis, les syndicats, les mouvements sociaux, les organisations populaires qui ont participé au Forum de Sao Paulo et d’autres qui se sont ajoutées plus tard.
Comment le Congrès s’organise-t-il ?
Environ 1 000 délégués nationaux et internationaux sont attendus. Mais l’idée est que le Congrès sera ouvert à la ville et aux régions. La rencontre avec le pouvoir populaire aura lieu dans 7 espaces à Caracas, dans les régions où force de la guérilla communicative est la plus présente et dans quelques scénarios plus larges, en présence d’invités internationaux. Pour cette raison, les diverses instances d’organisations populaires ont été activées, qui ont envoyé leurs représentants et feront vivre le contenu du congrès dans les différentes réalités. Il y a des porte-parole des 335 municipalités du pays, des femmes, du Congrès des Peuples, qui comprend 57 mouvements, des structures de jeunesse du PSUV, du Front Francisco de Miranda et du collectif Robert Serra, des Comités locaux d’approvisionnement et de production CLAP, qui ont leurs propres moyens communautaires… Toute la guérilla communicative et créative, y compris les cercles de lecture de l’hebdomadaire du parti, Cuatro F, qui a réalisé deux éditions spéciales pour l’occasion. Tout d’abord, à l’hôtel Alba, nous présentons cinq scénarios de guerre qui se sont produits aux moments les plus critiques de cette année et à partir desquels nous avons pu renverser l’histoire médiatique dominante, le scénario de guerre symbolique, culturel et communicatif que voulait nous imposer l’impérialisme. Cette question sera discutée avec des théoriciens de la communication bien connus, à la lumière du contexte international. En résumé, nous poursuivons la ligne établie par les trois tables thématiques organisées par le Forum de Sao Paulo sur la communication, qui nous ont fourni quelques paramètres, développés par la suite également dans les Brigades internationales de communication solidaire (BRICS), et dans les diverses réunions des médias populaires et alternatifs. Notre parti, qui organise ce congrès, a proposé d’établir un projet d’université latino-américaine de communication populaire, d’abord conçu au niveau régional, mais qui, dans un second temps, s’étendra probablement au-delà de l’Amérique latine. L’élaboration du document final sera avant tout un plan d’action pour un agenda international concret, à commencer par une journée mondiale d’action, en vue des scénarios politiques à venir en 2020. Un plan qui accompagnera le congrès des partis politiques. Prévue pour le mois de janvier 2020, ce plan profitera des différentes élaborations théoriques envoyées lors des congrès précédents.
Mais un projet similaire doit être mesuré à l’aune de la guerre économique : Comment pouvons-nous rivaliser, les femmes ont déjà demandé au président Maduro le 8 mars dernier, si les coûts élevés ne nous permettent même pas d’avoir un téléphone portable avec WhatsApp ?
La contre-révolution a des médias gigantesques, tout un appareil médiatique et culturel auquel on ne peut s’opposer par décret ou dans un congrès. Mais nous devons commencer par ce que nous avons accompli avec nos téléphones patchés et nos batteries claudicantes. C’est pourquoi nous avons décidé de présenter les scénarios de guerre dont je parlais tout à l’heure. Le 23 février, à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, nous nous sommes retrouvés devant tout l’appareil contre-révolutionnaire : le vice-président nord-américain, les présidents de la Colombie, du Paraguay, du Chili, de l’Organisation des États américains, des paramilitaires du groupe Los Rastrojos, des camions chargés d’armes et des musiciens latino-américains connus pour ce méga-spectacle d’opposition. Et de l’autre côté de la frontière, il y avait nous, avec notre concert, avec nos jeunes organisés, avec la police bolivarienne. Et nous avons réussi à arrêter le programme de guerre qui affirmait non seulement de pénétrer notre frontière et d’attaquer le pays, mais aussi d’entamer une confrontation armée entre la Colombie et le Venezuela, comme le prévoyait le Pentagone. Nous l’avons fait avec les quelques moyens technologiques dont nous disposions, avec nos téléphones portables réparés, avec le pouvoir populaire. Les nouvelles technologies ne doivent pas être surestimées. Bien sûr, comme l’a dit Ignacio Ramonet lors de la réunion anti-impérialiste à Cuba, les nouvelles technologies ont changé notre façon de communiquer. Le même appareil permet d’obtenir la voix de la mère ainsi que l’information filtrée et la culture du consommateur. Une communication qui vous rapproche et qui vous éloigne en même temps. Mais nous ne devrions pas penser que c’est le seul moyen. Le Venezuela est un pays où, bien qu’avec quelques défauts, il existe une démocratie participative dans laquelle le peuple est véritablement protagoniste et où toutes les formes de communication sont présentes, pas seulement les numériques. Des messages forts et clairs proviennent des soulèvements populaires au Chili, de la résistance en Bolivie et même d’Haïti, un pays qui n’a pas d’électricité dans 90% de la capitale, Port-au-Prince. Pour cette raison, dire « Maintenant le peuple parle » indique la direction dans laquelle regarder, les luttes qui brisent la censure en utilisant la plate-forme technologique de l’ennemi et qui surprennent. Et même dans ce congrès, il y aura des surprises…
Une nouvelle internationale des peuples dans la société mondialisée comme le voulait Chavez ?
Un capitalisme en crise terminale jette des coups à toute machine, veut assassiner l’énergie vitale des peuples, nations, cultures et identités. Il veut imposer la culture de la mort, de la ségrégation, de l’exclusion, en faisant ressortir le pire de l’être humain. C’est à nous de donner la parole à cette autre partie de l’être humain que nous sommes par essence, et que nous voyons dans les révoltes massives qui appellent à une Assemblée constituante nationale. Je le dis avec beaucoup d’humilité, mais nous sommes fiers d’avoir ouvert la voie. Chávez, un grand communicateur qui a anticipé les temps dans beaucoup de choses, a brisé tous les vieux modèles de communication. Quand il parcourait les rues, il donnait toujours la parole aux humbles. Dans les réseaux nationaux, il a laissé le micro ouvert à une femme, un ouvrier, un paysan, un étudiant qui le consultait dans la rue. Et partout où il allait, il valorisait la culture locale, la nourriture, les chansons, les héros, il les faisait connaître et aimer. Par conséquent, il a unifié le sentiment national, notre identité en tant que peuple : notre sentiment patriotique, il faut le dire, même si le mot peut ne pas plaire ailleurs car il n’a pas le même sens que le nôtre. Chavez nous a unifiés autour du concept de Patrie. Et quand il nous a dit au revoir, de retour de Cuba en décembre 2012, il nous a laissé ses mots. Il a dit : « Il y aura ceux qui essaieront de profiter de la situation économique difficile pour réinstaller le capitalisme, le néolibéralisme et mettre un terme à la patrie. Il nous a laissé comme antidote se donner corps et âme : « Unité, lutte, bataille et victoire ». Il a chanté « Patria querida », qui est devenu depuis lors un deuxième hymne national. C’était le chant du Bataillon Bravo d’Apure, où il était militaire et dit : « Chère patrie, tu es la lumière, tu es mon soleil ». Un ciment fort qui identifie notre histoire, notre culture, notre identité et qui continue d’être une orientation. Pour cela, l’ennemi essaie par tous les moyens de détruire notre drapeau. C’est pourquoi, en Bolivie, les putschistes brûlent le drapeau de l’État plurinational, le whipala, obligeant les femmes autochtones d’enlever leurs vêtements traditionnels. Les conspirateurs apportent la Bible des colonisateurs en Bolivie. Cette question et le rôle des multinationales religieuses en tant qu’instrument d’oppression néocoloniale feront l’objet d’un débat approfondi dans notre Congrès.
Il n’y a pas d’accord entre le Pentagone et la Maison-Blanche sur la manière de poursuivre la stratégie d’attaque du Venezuela. Pendant ce temps, que se passe-t-il dans l’opposition vénézuélienne après son retour au parlement « violant ainsi leurs propres lois » ?
J’ai beaucoup confiance dans la table de dialogue. Cela fait vingt ans que nous essayons d’amener l’opposition qui cherche le coup d’État à la sphère institutionnelle, mais il semble maintenant qu’elle soit devenue imprésentable même pour ses propres électeurs. Beaucoup ont réalisé qu’ils n’ont servi à rien dans un crescendo de mensonges, de corruption, d’agression et d’échec. Je vois se dessiner un nouveau type d’opposition, une combinaison des forces de la quatrième république et des secteurs émergents, prêts à s’attaquer à ce mécontentement et à revenir au jeu politique national. Pour eux, les prochaines élections législatives sont un test important dans lequel ils doivent gagner la faveur des électeurs dans leurs circuits territoriaux. Je fais partie de la commission qui élabore des propositions, par exemple, sur d’éventuelles modifications de la loi électorale en ce qui concerne le seuil de la barrière, ce qui permettrait même aux petits partis d’avoir une plus grande participation. Il y a des formations qui se sont éloignées du chavisme mais qui, dans la nouvelle situation, devront peut-être dépoussiérer leur propre anti-impérialisme. Aujourd’hui, une délégation parlementaire de plus de 8 partis visite les différents parlements du monde. Notre proposition est claire : le socialisme bolivarien pour le XXIe siècle, défini par le Plan de la patrie et réalisé d’abord par Chávez et ensuite par les deux mandats de Nicolás Maduro. C’est à d’autres de définir les leurs, et c’est en cela que nous ferons face au jeu politique.