Je me trouvais dans un quartier populaire de Bruxelles avec ses terrasses chaleureuses, des cafés et petits restaurants portugais. Un peu en avance pour un rendez-vous, je rentre dans un café-bouquinerie nommé « La vieille Chèchette ». La vieille Chèchette est une vieille moche, un peu sorcière mais avec cœur de grand-mère, personnage d’un conte de Louise Michel. Au milieu de la vitrine de la bouquinerie, « La seule révolution » était là : un livre recueil de cinq conférences de Martin Luther King, publié en 1968, dont le titre original est « The Trumpet of conscience ». J’échange ce joyau contre 2 euro.
Arrivé à la maison, le livre trouve sa place dans les piles de bouquins à lire un jour peut-être, et pris par les choses à faire du quotidien, je l’oublie. Il y a peu, en mettant un peu d’ordre dans la « bibliothèque », entre la page 88 et 89, au chapitre 4 intitulé : « La non-violence et la réforme de la société », je découvre un tract de 1970, signé Jean Van Lierde, intitulé « Appel aux officiers, sous-officiers et soldats de l’armée Belge ».
Il y dit notamment :
« Le service militaire que vous accomplissez vise uniquement à vous préparer à cette guerre moderne et au massacre généralisé des populations. Vous faites l’apprentissage du meurtre légalisé au nom d’une future «légitime défense» de votre pays. Mais les moyens de guerre d’aujourd’hui n’ont plus aucun rapport avec la finalité morale qu’on vous enseigne. La guerre du Vietnam est là pour attester que votre fonction de soldat peut mener à une criminalité collective et individuelle, sans que chacun de vous ne puisez jamais contester les ordres de son Etat-major « internationalisé ». Vous êtes solidaires, dans l’armée, de la dictature que l’OTAN a engendrée en Grèce, vous êtes complices de l’incroyable gaspillage que suscite la course aux armements, vous êtes la caution du pillage du Tiers-Monde par votre incorporation dans l’ordre militaire, et par là vous participez à l’oppression des pauvres et des déshérités, chez nous et dans le monde. […] A travers le monde, nous sommes des dizaines de milliers d’objecteurs de conscience dressés contre la tyrannie militaire et la course au suicide nucléaire. II est encore temps pour vous de rejoindre notre action. » [N.d.E. Voir le texte complète du tract à la fin de l’article.]
Jean Van Lierde, antimilitariste et non-violent tout au long de sa longue vie, a entre autres refusé son enrôlement obligatoire dans l’armée. Après 15 mois de prison et des travaux obligatoires dans les mines, son combat aboutira à la reconnaissance du statut d’objecteur de conscience en Belgique. En novembre 1950, recevant une nouvelle fois un ordre de rejoindre l’armée, il écrivait au ministre de la défense :
« […] je tiens à vous avertir une nouvelle fois, de ma non-coopération à cette course au suicide qu’entreprend le monde, de mon refus d’accomplir le service militaire. (…) Je reste intimement lié aux profondes aspirations des peuples qui luttent contre l’exploitation colonialiste et l’oppression des Etats. La course aux armements sauve une fois de plus le capitalisme, qui ne peut résoudre ses crises qu’en déclenchant la mobilisation économique, et celle-ci s’oppose irrémédiablement à la Révolution sociale. En disant NON à l’armée, j’exprime mon internationalisme socialiste, En refusant l’uniforme, j’affirme que tous les hommes sont frères. En n’acceptant pas l’apprentissage du meurtre légal, je proteste contre la folie des Gouvernements qui massacrent des générations au nom de la liberté et du droit à la vie. (…) J’espère Monsieur le ministre, que vous comprendrez les exigences d’un pacifisme réaliste, tout à l’opposé du pacifisme verbal des Pouvoirs (…) ».
Il n’y a pas grand-chose qui ne soit encore d’actualité.
En 1991, il écrivit aussi :
« Une certitude en moi : après le fascisme et divers totalitarismes – de gauche et de droite – je pense qu’un nouveau manuel doit être préparé pour toutes les écoles du monde, c’est l’Éloge de la désobéissance. »
Ou encore :
« Il faut un maximum de culture politique pour être un militant non-violent et anti-militariste ».
A la première page du livre de Martin Luther King, se trouve le nom de la détentrice du livre, une femme : Danielle Deheyser, à moins que ce soit Dekeyser. On la devine… une très belle femme. On l’imagine… militante, engagée, amoureuse de la vie. Elle est là, assise sur un banc au soleil, lisant, s’inspirant, avec un tract comme marque-page.
Dans ce moment crucial pour l’humanité où nous vivons la recrudescence de la course aux armes nucléaires, l’extinction en masse d’espèces du vivant, et la perspective de génocides climatiques, cette « rencontre » réchauffe les cœurs. Merci à Monsieur Martin Luther King, à Monsieur Jean Van Lierde, merci à Madame Danielle Dekeyser et à la « vieille Chéchette ».
Dans ce moment où les peuples se réveillent, tandis que les dirigeants continuent de soutenir un système économique suicidaire, oui, il est venu le temps de la désobéissance civile.
En ce jour de solstice d’hiver, où un nouveau cycle de Lumière commence, cela réchauffe le cœur de se sentir enracinés et portés vers le futur. Un nouveau cycle, oui, mais nous ne tournons pas en rond. Nous pouvons œuvrer dans la spirale ascendante de l’intention humaine sur la trace de nos anciens, en direction d’un futur imprégné de Liberté et de Justice.
Bon… je vous laisse, j’ai un livre à lire.
Joyeux solstice d’hiver ! Que la lumière revienne, réveille la conscience et réchauffe les cœurs !
Gilles Smedts
Porte-parole du Parti Humaniste en Belgique