Le 1er Congrès International de Communication s’est tenu à Caracas, Venezuela, du 2 au 4 décembre 2019. Encouragés par la devise « Maintenant les peuples parlent », environ 1700 communicateurs ont assisté à l’événement. Avec 150 invités internationaux de 37 pays, un grand nombre de militants appartenant à la structure communicative de base de la Révolution bolivarienne, en provenance des différents États du Venezuela, ont assisté à la réunion.
Le conclave a permis de clarifier les modalités de manipulation et la stratégie d’agression utilisées par les médias et agences hégémoniques au service de la guerre multimodale menée par l’impérialisme contre les projets d’émancipation. L’application des opérations de guerre psychologique, la mise en place de la suspicion et de l’accusation, la construction d’une barrière médiatique internationale en combinaison avec l’action politique et diplomatique du gouvernement états-unien sont les aspects révélés et examinés à différentes tables. Dans leurs aspects les plus encourageants, les interventions ont développé des thèmes liés à la Communication libératrice, à l’éthique de la Communication, à la Communication au sens décolonisant et à la possibilité de construire des réseaux solidaires de communication à partir des luttes des peuples.
Le Congrès a également permis l’échange de concepts théoriques et tactiques pour contrecarrer l’échec politique. Depuis les panels, débats et ateliers du Congrès, a émergé clairement l’impact de la falsification des sens communs, opérée de manière coordonnée par les médias de masse et leur influence sur l’usure des processus révolutionnaires et progressistes .
Au cours du Congrès, il a été révélé comment la critique impitoyable et quotidienne, l’éditorial astucieux, la moquerie, l’omission, la caricature ou la diabolisation d’aspects personnels des leaderships se sont constitués en armes de destruction massive visant à éviter l’atteinte de meilleurs niveaux de vie pour les populations marginalisées.
En même temps, le Congrès a consacré une large place à la discussion sur l’utilisation politique néfaste des appelées de façon trompeuse « réseaux sociaux », qui s’appuient sur l’atomisation sociale et la renforcent. L’absence de comparaison informative, la diffusion rapide, la gestion commerciale intéressée et l’espionnage individualisé ont fait de ces « réseaux sociaux » des éléments fondamentaux de l’arsenal moderne de confusion et de contrôle social. Ainsi, comme l’avaient déjà anticipé des initiatives pionnières telles que Internet Ciudadana, Just Net Coalition et d’autres, l’un des principaux défis de l’avenir immédiat est de construire des réseaux et une technologie numérique souveraine, loin des ruelles de l’architecture dépendante.
Depuis la nécessité d’unir des efforts pour contrer l’offensive unitaire conservatrice, qui a récemment pris des claires caractéristiques fascistes, racistes, fondamentalistes et misogynes, le Congrès a souligné comme une priorité la construction d’un réseau international de communication pour coordonner une action collective.
L’unité face à l’assaut rétrograde
L’énorme masse de contenus informatifs fustigés unilatéralement et de manière répétée sur la conscience humaine, les codes de manipulation insérés, la variété des formats et l’omniprésence de l’émetteur instrumental, rendent difficile pour un regard naïf de percevoir le message unique et ses objectifs.
Le décodage de la structure sous-jacente à l’objectivité apparente des émetteurs est donc primordial. Dans le contexte de la dégradation évidente et de l’insoutenabilité du modèle capitaliste, ils cherchent à truquer la réalité et à masquer leur propre rôle déformant afin de détourner et d’étouffer toute impulsion de transformation. D’autre part, l’hégémonie autrefois incontesté, les Etats-Unis d’Amérique, siège et gardien de l’ultralibéralisme, voit sa prééminence contestée par la montée vertigineuse du pouvoir économique et démographique des puissances asiatiques. Dans cette lutte pour le contrôle des ressources naturelles, commerciales et financières, la communication devient alors une arme de guerre. Une guerre qui exige la soumission totale des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes au mandat néocolonial.
C’est la motivation du projet unique de la droite, dont le bras communicatif est le média oligopolistique transnational. Comme l’a dit Atilio Borón lors de la cérémonie de clôture du Congrès au Palais de Miraflores, « seuls cinq conglomérats concentrent l’information du monde », information qui est ensuite reproduite d’innombrables fois et considérée comme vraie.
Les principaux médias locaux, financés par les groupes économiques dominants, dont l’intérêt est de maintenir leurs privilèges et leurs revenus, servent rigoureusement les tentacules locaux.
Face à une telle concentration et dominance du discours unique, face aux multiples astuces du réseau anti-populaire, les participants au Congrès se sont fait l’écho de l’appel à l’unité communicationnelle. Ainsi, parmi les résolutions du document final approuvé est annoncée la constitution d’un Réseau International de Communication, constitué par les partis politiques, mouvements sociaux et organisations du pouvoir populaire. Dans le même temps, ce réseau vise à établir une plateforme multiple internationale pour l’interaction, la génération et la diffusion de contenus alternatifs.
Afin d’assurer la continuité de l’initiative, le prochain Congrès se tiendra au Nicaragua en 2020.
Unifier, faire converger, articuler ?
Dans le monde d’aujourd’hui, il y a une forte tendance à la désarticulation, à la déstructuration. On résiste au centralisme et le sentiment des peuples réclame plus d’autonomie et de décentralisation.
Comme on le sait, le capitalisme exacerbe le culte de l’individualisme et de l’exclusivité, imposant en général le détachement du collectif.
L’impérialisme est monté sur ce courant pour affaiblir les organisations populaires et les gouvernements, pour promouvoir la sécession, la désintégration, pour essayer de détruire, ainsi, Tania Díaz, première Vice-présidente de l’Assemblée Nationale Constituante de Venezuela et principale responsable de l’organisation du Congrès, proposait comme réponse la construction de « tout sens unificateur d’identité ».
Les forces progressistes et de gauche font face à un défi de coalition. L’effort pour surmonter : les caprices égocentriques, les radicalismes centrifuges, les sectarismes qui divisent, l’indéfinition en tant que programme, mais aussi le manque de participation et de protagonisme des gens, le centralisme excessif ou le dogmatisme sans critique, doit avoir pour but l’unité vers des horizons humains supérieurs.
Dans le domaine de la communication, entendue comme dialogue, comme voyage d’aller et de retour, comme droit humain, ce défi présente plusieurs options. Un excès d’unification discursive risque de produire un rebond, surtout chez les jeunes, assoiffés de créativité et de libre arbitre et dans certains segments de la classe moyenne, moins sensibles à la harangue dans le sens communautaire.
D’autre part, il faut éviter l’effet de « chambre réfractaire », selon lequel les significations et le langage ne deviennent compréhensibles que pour les convaincus, mais cryptiques et inintéressants pour les autres secteurs sociaux, risquant ainsi un isolement peu conseillé. Enfin, pour que le message soit en rapport avec le sentiment profond du peuple, il doit être associé à des formes culturellement diverses, au-delà du reflet de la concomitance intime des problèmes.
Au-delà de ces préventions, il est essentiel d’unir les critères, les agendas d’action, pour accumuler les forces devant le monstre. Probablement la façon de voyager à cette époque est la confluence d’espaces d’articulation d’origines diverses et de codes dissemblables. Ainsi, la diversité de la sémantique peut agir sans censure sous des drapeaux similaires et avec des objectifs communs.
Pour renforcer l’orientation de cette organisation souple, il est essentiel d’ajouter un esprit déterminé de solidarité internationale stratégique avec les justes causes des peuples, avec des initiatives organiques tendant vers une intégration régionale souveraine et la répudiation manifeste des tentatives néocoloniales d’étouffer les projets des majorités délaissées.
L’université populaire ou rien
A l’issue de ce premier congrès international, le Président Maduro a ratifié la volonté du gouvernement bolivarien d’accueillir et de contribuer à la fondation de l’Université internationale de la Communication. Cet espace académique sera consacré à « la formation politique et technique et à l’analyse du discours pour générer des propositions capables de confronter les campagnes des entreprises et des institutions au service de l’incommunication, la désinformation et l’acculturation ».
Parmi les considérations fondamentales, l’accréditation des connaissances et des capacités existantes en matière de communication populaire et le renforcement du potentiel des médias communautaires et alternatifs sont prévus. L’installation de multiples sites dans toute la région a également été proposée, ainsi que la possibilité de programmes de formation itinérante et à distance.
Ces objectifs seront mis à l’épreuve par les efforts des secteurs impliqués dans le soutien de la participation populaire dans la conception de cette importante conquête sociale intégratrice, une Université de la Communication au service des peuples.
Intégrer la communication dans la lutte sociale
Pour que la communication soit au service de l’amélioration de la vie – comme le Forum de la communication pour l’intégration de notre Amérique l’a déclaré dans sa présentation – il est impératif que les mouvements sociaux de la région intègrent dans le cadre de leurs luttes la demande de démocratisation de la communication. Cette démocratisation, bien qu’incluant traditionnellement la création de nouveaux médias, la demande de licences, de fréquences, de financement public et de formation, ouvre la porte à l’idée d’un activisme de communication permanent, dans lequel les peuples communiquent et se communiquent. C’est précisément dans cette direction qu’Ignacio Ramonet a envoyé un message lors de la cérémonie de clôture, qui a symboliquement brandit un téléphone portable comme une arme appelant à l’activisme des communications de masse.
Cet activisme, en revanche, est essentiel lorsque les dictatures, comme dans le cas le plus récent du régime putschiste en Bolivie, appliquent des blocus de l’information et ordonnent la persécution des journalistes.
Protestation mondialisée, mondialiser la proposition
Le Congrès international de Communication est la réponse communicationnelle de la gauche issue du Forum de Sao Paulo à l’agression multidimensionnelle du néocolonialisme dans la région. Une réponse qui devra nécessairement construire des ponts avec d’autres collectifs et articulations du monde progressiste pour résister aux râles d’un monde capitaliste dangereusement blessé à mort.
Les gens le crient dans la rue, la protestation est mondialisée. En même temps, la proposition doit être connue et mondialisée. Nous, les communicateurs populaires de la planète, sommes appelés à cette tâche.