Par José Gabriel Feres (*)

Les partis gouvernementaux, de la vieille Concertation et quelques-uns du Frente Amplio (Révolution Démocratique, Commune et Parti Libéral) ont souscrit un accord qu’ils ont dénommé « Accord pour la paix sociale et la Nouvelle Constitution » et dans lequel ils déclarent « chercher la paix et la justice sociale au travers d’un procédé indéniablement démocratique ».

Un des objectifs de cet accord est de de mettre fin au mouvement social qui s’exprime depuis plus de trois semaines dans tout le pays. On a également renoncé à tout ce qui est nécessaire pour que la droite s’aligne sur une « convention constitutionnelle », euphémisme qui permet d’éviter l’expression « assemblée constituante », qui s’en rapproche. Mais elle ne fait que conditionner et mettre des limites à la souveraineté du peuple(**). Par rapport au conditionnement, on doute de son efficacité comme instrument de démobilisation sociale. Par rapport à la seconde partie, alors même que tout ce qui a été obtenu l’a été grâce à la pression populaire, on veut estomper ces succès pour revenir aux bons vieux critères de gouvernance par les élites, et priver une fois encore la base de la société du pouvoir constituant.

Il est très discutable que les partis politiques soient aujourd’hui les interlocuteurs désignés pour représenter les demandes profondes du peuple, peuple qui s’est massivement exprimé. On devrait se demander s’ils ne sont pas davantage une partie du problème plutôt que de la solution. Quelque chose de semblable est arrivé avec les dirigeants sociaux coordinateurs à la Table de l’Unité Sociale.  Alors même que nous pouvons reconnaître l’importance et le protagonisme qu’ils possèdent à l’intérieur de ce dense ensemble qui exprime aujourd’hui son mécontentement, on ne peut pas dire qu’ils sont des représentants légitimes de ce sentiment populaire.

Ni les uns ni les autres ne sont les interlocuteurs qui doivent discuter avec le gouvernement ; le gouvernement devrait chercher des moyens d’établir un dialogue direct avec le peuple. Nous voyons que la clameur populaire s’est exprimée dans les rues durant plus de vingt jours et a été suffisamment claire pour tous ceux qui sont disposés à écouter : les chiliens ne veulent plus vivre comme ils vivent, ils veulent participer à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, via un processus démocratique de consultation directe tel qu’une Assemblée Constituante, ils veulent de la dignité, ils ne veulent pas être sous-estimés, ils veulent assumer le pouvoir souverain qu’ils méritent.

Devant une crise évidente, le gouvernement tente de minimiser les risques liés au changement en profondeur d’un système grâce auquel les groupes économiques obtiennent leurs privilèges qui ensuite favorisent leurs figures de proue politiques. En définitive, n’importe quelle tentative de revalider l’institutionnalité politique ou syndicale ou encore sociale actuelle en tant qu’interlocuteur du dialogue populaire si important aujourd’hui, n’est rien de plus qu’un acte grossier de gatopardisme très typique de la politique traditionnelle : que tout change pour que tout reste identique.

 En réalité, la seule façon d’avancer aujourd’hui pour le gouvernement réside en l’approfondissement ferme de la démocratie. On reconnait que la souveraineté du peuple peut s’exercer directement, sans l’intervention des intermédiaires qui sont aujourd’hui contestés universellement. Si le gouvernement a quelque chose à offrir, alors qu’il se mette d’accord directement avec le peuple. Qu’il leur dise ce qu’il propose et nous verrons s’il a correctement interprété, et si les mouvements prennent fin. Il va falloir faire un bel effort pour que le peuple le croit. S’il n’y parvient pas, la seule issue est sa démission, pour que d’autres personnes plus aptes puissent avancer dans la relation avec le peuple et ouvrir de nouvelles portes de sortie.

Le plus intéressant en ce moment, ce qu’il faut comprendre et assumer, c’est que la démocratie représentative est en crise. La situation actuelle nous oblige à aller de l’avant, vers des formes de démocraties directes qui ouvrent de nouvelles voies à la participation. Les solutions que nous connaissons ne serviront pas, et de nouvelles idées vont encore venir.

Nous sommes à la croisée des chemins, c’est une voie inévitable, que nous devons parcourir. Nous possédons désormais l’opportunité historique de faire les premiers pas dans un scénario social inexploré, nous pouvons avancer ainsi vers un nouveau Chili réellement démocratique qui explore toute forme d’auto-organisation et autogestion sociale.

La responsabilité de tous ceux qui perçoivent ce moment comme opportunité fondatrice d’une Démocratie Réelle qui remplace la démocratie représentative usée et moribonde, leur responsabilité est d’accompagner cette mobilisation populaire, de soutenir sa cause par des canaux actifs nonviolents et de contribuer à consolider un tissu social capable de donner les directions et soutenir les changements à venir.

 

(*) Vice Président du Parti Humaniste

(**) Une Assemblée Constituante suppose par définition la liberté d’établir de manière autonome ses fonctions, sa durée. Au contraire, pour la Convention Constitutionnelle, on pré-établit dans le pacte uniquement la fonction : un mécanisme réducteur exclusivement, pour une période de neuf mois.

 

Traduit de l’espagnol par Frédérique Drouet