Alerte sur les pesticides
Valérie Murat : « Je suis porte-parole d’une association qui s’appelle Alerte aux toxiques, qui est une association d’information sur les pesticides, sur leurs dangers et sur les pratiques des firmes de l’industrie chimique, et aussi sur les freins qu’il y a ici, dans la viticulture bordelaise, pour faire avancer la viticulture, pour qu’elle devienne propre, respectueuse de la santé de l’homme et de l’environnement ».
(crédit Dessin : Visant, vidéo : Xavier Foreau)
Quel est le frein au développement du vin bio ?
Valérie Murat : « C’est qu’ils ne veulent pas changer de modèle parce qu’ils veulent continuer de croire qu’ils vont pouvoir inonder le monde avec du vin de Bordeaux dans des quantités faramineuses.
Mais ce modèle-là, il tue.
Ce n’est plus de la viticulture, c’est de la morticulture.
Il tue, et ils ne veulent pas se l’avouer à eux-mêmes. Et ce que je trouve vraiment inacceptable de la place où ils sont, c’est que du coup ils envoient des messages lamentables aux professionnels.
Moi je suis une fille de vigneron, je n’ai pas envie que les vignerons continuent de mourir, je n’ai pas envie que les vignerons soient montrés du doigt quand ils viennent de faire leurs épandages à côté de chez leurs voisins…
Pensez bien que la question de la culpabilité : ils les connaissent leurs voisins à la campagne, ils connaissent les gosses à l’école, leurs gosses y vont aussi. Ils le savent, les vignerons, que ce sont les premiers atteints, ils le savent parfaitement bien. Tant qu’on les montre du doigt, tant qu’on les pointe du doigt en disant « assassins », Bayer, Monsanto, Dow Chemical, Dupont, Chemchina, ils se frottent les mains, ils continuent à faire des profits et ils se frottent les mains !
Les vignerons, les agriculteurs ici et en Argentine et partout ailleurs où les firmes de l’industrie ont réussi à installer l’agro-industrie et à faire reposer l’agriculture sur la chimie de synthèse, partout ils ont dressé les gens, ils les ont domptés, ils les ont formatés.
Ici en Gironde jusqu’en Argentine, c’est pareil, et la première des choses à faire, c’est changer la mentalité que cette agriculture-là, on peut continuer comme cela. C’est pas possible : on est en train de tuer tous les sols, tous les paysans. En Argentine, c’est fulgurant ! Ici en France localement on a des taux d’incidence de cancers dans des parties de la population ou sur des enfants, qui sont à des taux d’incidence… ! mais c’est hallucinant ! C’est vertigineux !
Et je pense que nous en sommes qu’à la toute petite partie de l’iceberg, malheureusement. Donc on ne peut pas continuer comme cela. On va se retrouver avec une société de gens malades et tout cela, non seulement c’est mortifère, cela ne peut pas produire une agriculture qui nourrit, mais qui tue au contraire, mais en plus imaginez le coût en matière de santé pour la société, il faut voir cela aussi.
Ok, on va acheter une bouteille de bordeaux 5,50 euro à Carrefour en se disant : « allez, il y a une jolie étiquette verte, peut être que c’est bon pour l’environnement, il y a écrit « Terra vitis » ou « Agriconfiance » ou « Haute valeur environnementale », le label du CIVB, peut-être que c’est bien ».
Mais non ! Il faut faire attention à ce qui est vraiment dans le vin.
Si on veut acheter une bouteille de vin en étant sûr de quelle est la viticulture qu’on veut soutenir, qui respecte la santé de l’homme et celle de l’environnement, il n’y a pas 36 solutions, il faut acheter du bio, de la biodynamie.
Des bouteilles à 5 euros jusqu’à 30 euros, sur le blog de l’association, il y en a plein, du vin de Gironde ou d’ailleurs, il y en a plein. J’ai fait une liste aussi pour montrer que c’est possible, qu’on ne vienne pas me dire que le vin bio est plus cher, c’est faux !
Je connais et nous avons acheté des bouteilles de vin, à partir de 20 euros, qui sont bourrées de pesticides, je pense au Château Clément-Pichon de Parempuyre, les dernières bouteilles que j’ai faites analyser en décembre dernier, Lafon-Rochet. Là c’est encore plus cher, c’est le quatrième grand cru classé Saint-Estèphe dans le Médoc et ses bouteilles, elles sont bourrées de pesticides.
Sur le blog de l’association « Alerte aux toxiques », il y a des bouteilles de vin, un vin d’Entre-deux-mers à moins de 10 euros et qui est en bio, et tout est certifié, et c’est soit de la biodynamie, soit de la viticulture bio.
Donc il y a bien des exemples qui fonctionnent, et ici dans le Bordelais, et dans d’autres régions, dans d’autres appellations.
Ici on est très en retard parce que cela freine historiquement des quatre fers. On est dans la plus grande appellation, c’est soixante mille hectares, il y a beaucoup d’enjeux économiques. »
Analyse chimique des vins
Valérie Murat : « Nous, nous allons très clairement continuer nos analyses, parce qu’on s’est rendu compte que c’est un excellent levier ; parce que j’ai des petites antennes au CIVB qui m’ont rapporté que lorsqu’il y a des AG au CIVB, les vignerons qui participent à ces AG se regardent tous un peu en chiens de faïence en se demandant « alors tu penses que les prochains sur la liste, c’est toi c’est moi ? »
Eh bien j’ai envie de leur dire : « vous allez tous y passer, messieurs dames, vous allez tous y passer », on pourra vraiment voir, dans les faits, où vous en êtes et pas dans les annonces et le blabla…
Donc on va continuer là-dessus et après, je pense que les consommateurs et les citoyens ont les moyens à leur niveau de faire des choses.
Le vin c’est un produit de plaisir, on n’a pas besoin de vin pour être en bonne santé, pour avoir une bonne alimentation.
Comme c’est un produit de plaisir, moi j’ai envie de dire aux gens, quand vous avez envie de vous faire plaisir réfléchissez bien à quoi vous voulez trinquer.
Quand vous êtes devant la bouteille, imaginez-vous, est ce que vous voulez trinquer à la chimio du paysan qui l’a produite ou est-ce que vous voulez trinquer à sa santé et à la vôtre ?
Et quelle viticulture vous voulez soutenir aussi ?
Parce qu’il faut que ces familles puissent continuer à vivre de cette économie, dans le respect de la santé de tous, la leur, les riverains, etc… donc quelle viticulture vous avez envie de soutenir ?
Inclure le coût de la santé dans un produit pesticidé
Après pour l’alimentation, je pense qu’en fait, le prix du coût sur la santé de l’agriculture qui repose sur la chimie de synthèse devrait être affiché et devrait faire partie du prix du légume qui est pesticidé, du fruit qui est pesticidé.
Cela ne devrait pas être l’agriculture biologique qui est parfois plus chère que l’agriculture chimique, cela devrait être l’inverse.
Et cela devrait pas être au bio de payer leur certification, cela ne devrait pas fonctionner comme cela.
Il faut qu’il y ait des contrôles, parce que de la triche, il y en a partout, il y en a toujours eu, mais il faudrait aussi que les conventionnels, les agriculteurs chimiques, les viticulteurs chimiques soient contrôlés.
On ne sait pas ce qu’il y a dans une bouteille de vin qui est produit avec des pesticides de synthèse, on ne sait pas ce qu’il y a dans un paquet de fraises locales, les tomates c’est pareil, on ne sait pas ce qui est balancé dessus et je suis certaine que si les consommateurs savaient, ils changeraient peut-être le fusil d’épaule.
Il y a la question du coût, le poulet à 2 euros qui arrive d’Amérique du sud, pour une famille qui est en dessous du seuil de pauvreté, il va être beaucoup plus facile à acheter que le poulet fermier, forcément, et cela, ce n’est pas acceptable, pour moi aussi.
Ce n’est pas acceptable parce que ce sont les pauvres qui se nourrissent mal, ce sont les pauvres qui tombent encore plus malades.
Quand on voit l’état de notre système de santé aujourd’hui en France qui est complètement démantelé, et ben en fait les coûts, ils sont répercutés sur les plus fragiles dans la population, les plus fragiles.
Mais moi je pense qu’il faudrait basculer le problème à l’envers, que les pollueurs paient, que celui qui utilise des pesticides de synthèse, il y est écrit « agriculture chimique », « bouffe de merde », « élevage de poulets dans des conditions lamentables », déjà.
Et que ce poulet-là, ce concombre-là, ces tomates-là, ce soit les prix les plus chers sur le marché, parce qu’on a impacté dedans le coût sur la santé, pour celui qui l’a produit, pour celui qui a travaillé, pour celui qui le mange.
Là, cela serait vachement plus égalitaire, à mon sens …»
Note Importante
Depuis l’interview de Valérie Murat, le gouvernement a mis en consultation jusqu’au 4 octobre 2019, un nouveau « dispositif de protection des riverains » qui ramène les distances à « 10 mètres minimum pour l’épandage des substances les plus dangereuses » … « avec la possibilité d’adapter ces distances minimales » … « après échanges entre les agriculteurs, les riverains et les élus. Ces distances minimales pourront être ramenées à 3m pour les cultures basses et la viticulture … ».
https://agriculture.gouv.fr/produits-phytosanitaires-mise-en-consultation-dun-nouveau-dispositif-de-protection-des-riverains
Autres Références :
1ère partie de l’interview : https://www.pressenza.com/fr/2019/10/de-la-viticulture-a-la-morticulture-dans-le-bordelais-1-2/
CMR : https://fr.wikipedia.org/wiki/Canc%C3%A9rog%C3%A8ne,_mutag%C3%A8ne_et_reprotoxique
SDHI : https://fr.wikipedia.org/wiki/SDHI
Estimations départementales d’incidence et de mortalité par cancers en France,2007-2016
https://alerteauxtoxiques.files.wordpress.com/2019/01/rapport-estimations-regionales-departementales-incidence-mortalite-cancers-france-2007-2016-nouvelle-aquitaine.pdf
Nous remercions chaleureusement Valérie Murat pour sa disponibilité et sa patience.