Mohamed Elmaazi examine comment les promesses historiques de la Conférence du Parti travailliste sur l’immigration marquent un changement significatif par rapport au racisme et à la xénophobie qui étaient profondément enracinés dans certaines parties du mouvement syndical britannique du siècle dernier.

Cet article a été publié conjointement par The Interregnum et Pressenza

J’ai assisté à la conférence du parti travailliste britannique à Brighton au nom de The Canary et j’ai été témoin de l’un des votes les plus importants de l’histoire du parti travailliste. Du 21 au 25 septembre, les délégués représentant des dizaines de syndicats et de partis syndicaux constitutifs (CLPs) de tout le Royaume-Uni ont discuté, débattu et voté des questions allant du réchauffement climatique à la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens ou au sauvetage [pdf, p13] de l`agence de voyage Thomas Cook.

L’un des votes les plus mémorables concernait l’immigration et le traitement des personnes nées à l’étranger. Comme je l’ai écrit précédemment en The Canary, parmi les propositions approuvées à l’unanimité[pdf p9/10] figurent les promesses d’engagement du Parti travailliste à : « fermer tous les centres de détention », « étendre l’égalité des droits de vote à tous les résidents du Royaume-Uni », mettre fin à toutes les « mesures environnementales hostiles » (qui ont conduit à terroriser les populations non blanches en particulier, comme l’a prouvé le scandale de la génération Windrush) et « garantir le droit absolu au regroupement des familles ».

Un changement radical pour le mouvement syndical britannique

Il peut être difficile d’apprécier le caractère radical de ces politiques. Non seulement des politiques d’attaque contre les immigrés au cours des deux dernières décennies, mais aussi du Parti travailliste britannique et du mouvement travailliste du siècle dernier.

Comme m’a dit Jorge Martin de Socialist Appeal :

« Au sein du Parti travailliste et du mouvement ouvrier, il y a toujours eu deux traditions, l’une socialiste et l’autre réformiste, et dans des domaines comme l’immigration, le racisme, les guerres impérialistes, etc., ils ont toujours été de part et d’autre de la barrière. La motion sur l’immigration s’inscrit dans la transformation du Parti travailliste sous Corbyn et s’éloigne des coupes d’Ed Milliband, du « We Must Celebrate the Empire » de Gordon Brown, et des « Guerres impérialistes » de Blair ».

Stephen Agnew, délégué de Bethnal Green [N.d.T. Quartier populaire à l’Est de Londres] et de Bow CLP, a reconnu que « les syndicats ont déjà été pauvres auparavant sur cette question. Et aussi la direction du parti…» Comme tous les autres délégués avec lesquels j’ai parlé, Agnew considérait le vote sur l’immigration comme une « évolution vraiment positive » qui selon son opinion était : « provoquée par l’organisation de la communauté et la conquête politique du peuple.»

Comprendre notre histoire anti-immigrés et anti-noirs

Pour comprendre l’importance de ce vote et l’importance du soutien unanime des électeurs et des délégués syndicaux, il convient d’examiner l’attitude historique du mouvement syndical britannique envers les travailleurs nés à l’étranger.

John Wrench, ancien enquêteur principal au Center for Research in Ethnic Relations de l’Université de Warwick, a décrit le même sujet en 1986. Dans son document politique « Camarades inégaux : syndicats, égalité des chances et racisme« , Wrench le décrit ainsi [pdf, p6] :

l’histoire montre que la trajectoire du mouvement syndical est caractérisée, au pire, par un racisme effroyable et souvent par une négligence indéfendable de la race et de l’égalité des chances. Entre les deux guerres mondiales, il y a eu un barrage de couleur efficace dans l’industrie britannique, ouvertement soutenue par les syndicats individuels. Apparemment, les travailleurs blancs et leurs syndicats ont clairement compris que leur plus grande « tolérance » envers les travailleurs noirs pendant les deux guerres était temporaire.

Il cite en exemple le licenciement [pdf, p6-7] de 120 travailleurs noirs, « employés depuis des années dans les raffineries de sucre de Liverpool et dans les moulins à huile et à tourteaux » en 1918 « car les blancs refusaient de travailler avec eux ». D’autres exemples de l’époque montrent comment « les syndicats de marins se sont formellement et ouvertement opposés à l’emploi de marins noirs lorsque les équipages blancs étaient disponibles».

Wrench note que [pdf, p7] alors que l’histoire du racisme et de la xénophobie dans le mouvement ouvrier est souvent « rejetée » comme faisant partie des « anciens mauvais jours » :

« Ce qui est gênant c’est que certains des cas les plus notoires d’hypocrisie syndicale et de racisme se sont produits depuis la Seconde Guerre mondiale. »

De haut en bas

Malgré les pénuries de main-d’œuvre d’après-guerre, « ce sont les syndicalistes et les membres du Parti travailliste qui ont d’abord exprimé leurs objections envers ‘l’immigration de couleur’ ». Cette réalité fut exacerbée par une direction du Parti travailliste qui :

« Se lavait les mains de toute responsabilité ou assistance dans l’accueil des immigrants. Le gouvernement travailliste était ‘aveugle’ au racisme – il le percevait comme une préoccupation des personnes impliquées dans les affaires coloniales, ‘quelque chose d’externe, sans rapport avec le courant dominant du mouvement syndical’ ».

Wrench décrit comment [pdf, p7]:

« L’attitude de laissez-faire du gouvernement [travailliste] était d’établir le modèle pour l’inaction qui a suivi le Congrès des syndicats (TUC). Le gouvernement travailliste était d’avis que toute disposition spéciale en matière d’aide sociale ou de logement serait discriminatoire à l’égard des peuples autochtones ; ce point de vue a été partagé par le TUC dans les années 1950 et 1960. »

Bien qu’il soit utile de revoir l’analyse de Wrench dans son intégralité [en particulier en pdf, p7-12], les échecs du mouvement syndical britannique dans la lutte contre le racisme et la xénophobie après la Seconde Guerre mondiale incluent des cas de « collusion passive et active de délégués syndicaux et de fonctionnaires locaux » dans la discrimination. Ainsi :

« Le manque général de sensibilisation aux questions de race et d’égalité des chances et des circonstances particulières des membres des minorités ethniques, qui ne peuvent se manifester sous forme de racisme, mais réduisent en fait la participation des membres noirs dans le syndicat ». 

Un microcosme de la société en général

Il convient également de noter que, d’un point de vue historique, les travailleurs noirs et asiatiques étaient statistiquement [pdf, pg. 6] encore plus susceptibles d’adhérer à un syndicat que leurs homologues blancs/indigènes, malgré l’attitude plutôt méprisante des dirigeants syndicaux envers leurs préoccupations.

Mais les intolérances et les attitudes de nombreuses parties du mouvement syndical britannique reflétaient également des attitudes sociales plus larges.

Activiste, artiste et dramaturge, Jackie Walker, d’origine jamaïcaine, portugaise et russe, est arrivée au Royaume-Uni en 1959. Elle m’a dit que lorsqu’elle était enfant, c’était le conseil du Parti travailliste de Bristol de qui dépendait « l’interdiction officieuse » de fournir un logement social à la population noire. Elle a également décrit comment son professeur d’anglais refusa d’accepter que, lorsqu’elle était une fillette noire de cinq ans, elle savait lire et écrire ; aussi au bout d’un certain temps elle s’est tout simplement arrêtée. Et qu’elle avait « appris à courir » parce qu’autrement « ils l’auraient battue ».

Un changement d’attitude chez les jeunes générations.

Dans le train de retour de Brighton, après la fin de la conférence, Walker me disait que la Labor Left Alliance [Alliance de gauche du parti travailliste] à Brighton avait aussi discuté de l’importance du vote sur l’immigration. Il a convenu que « organiser la communauté et gagner politiquement des gens » en faisait partie. Mais il a également souligné qu’en général, la jeune génération était plus tolérante que celles plus âgées.

Owen Lloyd-Jones, un jeune délégué du CLP du Nord-Somerset, a décrit les centres de détention comme « une manière cruelle et inhumaine de contrôler les personnes qui essaient simplement de vivre leur vie. » Quand je lui ai demandé pourquoi il soutenait le droit de vote de tous les résidents du Royaume-Uni, il a répondu :

« Il semble clair et évident pour la démocratie de base que les gens doivent voter pour les services qui les concernent, pour le gouvernement dont ils dépendent. La question n’est pas de savoir où vous avez commencé, mais où vous en êtes maintenant qui influe sur les services dont vous avez besoin. »

Cette façon de penser était commune aux délégués à qui j’ai parlé.

La façon dont ces politiques sont « expliquées » va faire la différence

Si la jeune génération britannique est peut-être plus informée et plus démocratique dans sa perspective, il est également vrai que certains éléments du Royaume-Uni restent enracinés dans leurs attitudes conservatrices, intolérantes et même rétrogrades envers les résidents étrangers en général, et envers la population non blanche en particulier.

J’ai demandé à Jorge Martin s’il craignait que les promesses ne soient « trop radicales » pour la population britannique dans son ensemble et qu’elles ne finissent par être « contre-productives » pour le parti travailliste. Il m’a dit :

« Ça dépend de la façon dont on les explique. La classe dirigeante veut promouvoir l’idée qu’il y a un problème de manque de ressources et que cela affecte la santé, l’éducation, le logement, l’emploi, etc. La réponse que Corbyn a habilement présentée est la suivante : « Non, les ressources ne manquent pas, et les problèmes de prise en charge en matière de santé, d’éducation et de logement sont causés par des politiques d’austérité conservatrices »; cela combiné avec le reste des politiques du travail liées au logement, à l’abolition des frais de scolarité, à l’abolition des frais de prescription, à la réduction de la semaine de travail, au plein droit à l’emploi dès le premier jour, au rétablissement des droits syndicaux, et à un salaire vital, etc. devraient faire un programme qui peut gagner et remporter des élections générales à une grande majorité ».

 

Traduction de Ginette Baudelet