Dans le contexte de la forte explosion sociale que traverse le Chili, le président du Collège des enseignants, Mario Aguilar, a appelé ses collègues à la solidarité et à la désobéissance civile nonviolente. Ses paroles sont reproduites ci-dessous, ainsi que la vidéo qu’il a fait circuler sur les réseaux sociaux.
Transcription de la vidéo
Chères et Chers collègues :
Il et 19h45 ce samedi 19 octobre, je parle depuis chez moi. Immédiatement après avoir fini d’enregistrer ce message audio, je me rendrai à la Plaza Egaña pour participer aux chaudrons et casseroles (N.d.T. concert de casseroles ou casserolade), avant le couvre-feu qui vient d’être annoncé.
Le couvre-feu vient d’être annoncé dans la ville de Santiago ! Ceux d’entre nous qui sont plus âgés se souviennent immédiatement des temps durs et sombres de la dictature…
C’est difficile, la situation est complexe. Je veux parler à mes collègues enseignants.
Demain dimanche, nous allons nous réunir en tant que conseil d’administration, pour évaluer la situation et aussi pour évaluer avec d’autres syndicats ce qui se passe. Il y a eu une véritable explosion sociale au Chili.
Bien sûr, nous ne cautionnons pas la violence ou le vandalisme, nous ne l’avons jamais fait. Nous, les enseignants, avons toujours été clairs à ce sujet, mais nous comprenons aussi que la violence a son origine, que la violence part des puissants, que la violence part d’un système violent qui produit de la violence avec tant d’abus, qui produit de la violence à travers tant d’inégalités, qui produit de la violence avec l’arrogance, avec l’arrogance de ceux qui dirigent ce pays, de la classe politique.
C’est une explosion que la société chilienne et elle est particulièrement dirigée contre le gouvernement, et soit dit en passant, il est le principal responsable de ce qui se passe. Mais je crois aussi que c’est un signal contre toute la classe politique.
Ici, gauche et droite ont échoué. Ici, ce gouvernement a été l’expression de la pire façon de gouverner, sans aucun doute, mais les gouvernements précédents sont aussi responsables de ce qui se passe. Aussi, les gouvernements précédents ont fixé cette manière abusive de fixer les tarifs du métro, de l’eau, de l’électricité. Les gouvernements précédents ont également été complices de tout ce qui se passe et ont été les architectes de tout ce qui se passe.
Bien sûr, le gouvernement d’aujourd’hui est le plus maladroit de tous. Bien sûr, nous avons un président qui n’a aucune sensibilité sociale. Bien sûr, nous avons un cabinet de ministres qui sont tous des gens qui sont toujours au-delà de la cote 1.000, dans ces quartiers élégants où ils vivent, avec tout ce dont on a besoin, qui ne savent pas ce que signifie dans un budget le fait de devoir augmenter les tarifs de 30 ou 40.000 pesos par mois. Parce que pour eux, 30 ou 40.000 pesos, c’est un pourboire. Mais pour la grande majorité des Chiliens – y compris les enseignants – ce n’est pas un pourboire. 30 ou 40.000 pesos sont importants dans notre budget. Donc les gens sont en colère, ils sont fâchés.
Bien sûr – j’insiste sur ce concept pour que les prétentieux ne viennent pas nous attribuer autre chose – nous ne sommes pas d’accord avec la violence, mais nous comprenons que le malaise survient et se produit quand il y a tant d’arrogance, tant d’insensibilité de la part de ceux qui nous dirigent. C’est là le problème fondamental. Ils sont responsables. Ils créent les conditions de la violence.
Enfin, la violence que l’on voit dans les rues, bien sûr, est fonctionnelle pour le pouvoir parce qu’elle justifie la présence de militaires dans les rues, la répression, le couvre-feu, comme ils le font actuellement.
Nous devons inviter à la désobéissance civile nonviolente et à la lutte. Telle est notre position en tant qu’enseignants. Nous l’avons toujours dit. Mais surtout aujourd’hui, je veux inviter mes collègues à prendre soin les uns des autres, à être attentifs les uns aux autres, à être connectés les uns aux autres.
Hier, par exemple, un collègue n’était pas revenu. Après avoir participé à des manifestations et des protestations, il n’était pas rentré chez lui. Jusqu’à très tard, nous étions tous, un grand nombre d’enseignants attentifs à ce qui se passait. On est allés dans les commissariats de police, dans les hôpitaux… Enfin, le collègue est apparu et il allait bien, mais je tiens à dire que ce réseau de solidarité est nécessaire.
Les choses sont difficiles, elles peuvent devenir encore plus difficiles. Nous ne pouvons pas dire avec certitude ce qui va se passer dans ce pays tel qu’il est aujourd’hui et, pour la même raison, nous devons être très solidaires entre nous, très attentifs à prendre soin de nous, à nous protéger, à être attentifs, à savoir ce qui arrive à l’autre. Chacun dans son école doit être très, très attentif et très vigilant à chacun de ses collègues de travail. Très attentifs et très vigilants aussi par rapport aux élèves et à leurs parents.
Nous sommes les communautés éducatives qui allons nous protéger et prendre soin les unes des autres. Je fais cet appel : que nous prenions soin les uns des autres.
Aussi pour que les réseaux sociaux soient attentifs. Ne croyez pas à n’importe quelle information. Croire les informations qui sont vraies, les informations qui ont des sources fiables, les informations qui ont des sources crédibles. Ne croyez pas ce que disent les puissants et les menteurs, être attentif à ce qui arrive par les réseaux sociaux, et prenez soin les uns des autres !
Aujourd’hui, il y a un manque de gouvernance, il y a un gouvernement qui est absolument incapable de gouverner en ce moment.
Les choses peuvent devenir plus difficiles et l’union et la solidarité entre nous, la camaraderie entre nous, celle que nous avons eue récemment dans nos mobilisations, celle d’être attentifs à ce qui est arrivé à l’autre, qu’aujourd’hui pour moi et demain pour vous, qu’une main lave l’autre et les deux lavent le visage, sont des paroles populaires qui sont très bien applicables dans ce cas. Unité, solidarité, affection, camaraderie entre nous.
Prenons soin de nous ! C’est le but de cet appel.
Demain, on a notre réunion. Nous allons vous faire savoir ce que nous allons résoudre. Il faut faire attention, la semaine prochaine va être complexe. Je pense que le gouvernement devrait certainement suspendre les cours dans la région métropolitaine. Je ne comprends pas pourquoi il ne l’a pas fait officiellement, mais j’espère qu’ils le feront. Nous allons le demander aussi. Il n’y a pas de conditions aujourd’hui pour que les gens prennent les transports ou… Il n’y a pas de condition de normalité dans le pays, mais nous allons informer sur ce qui se passe et ce qui se décidera.
Nous parlons aussi à d’autres corps de métier, nous parlons à d’autres organisations sociales, nous sommes alertes. Aujourd’hui, nous défions l’état d’urgence en allant jusqu’à La Moneda [N.d.T. Centre du gouvernement] même, en marchant avec un groupe de leaders sociaux. C’était aussi un signe de désobéissance civile, de désobéissance civile nonviolente. C’est ce qui correspond, c’est ce que nous pensons avoir le droit de faire.
Je vous envoie donc un message de tranquillité mais aussi ce message que je réitère : très connectés entre nous, les enseignants, très connectés avec nos communautés éducatives. Aujourd’hui, il y a un vide de gouvernance, il y a des gens absolument incapables qui dirigent le pays, nous devons prendre soin les uns des autres.
Une accolade. Nous rendrons compte de ce qui se passe.